Tous les regards étaient tournés vers Gatineau, samedi après-midi. Si la température extérieure était maussade, c’était tout le contraire entre les murs du Centre Slush Puppie, rempli à pleine capacité pour la première fois de sa jeune histoire. La raison ? Ève Gascon.

Dans une défaite de 5 à 4 en prolongation, la jeune gardienne aux jambières rouges est devenue la première femme depuis Charline Labonté en 2000 à garder les buts dans un match régulier de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ). Elle affrontait l’Océanic de Rimouski.

« C’est sûr que j’étais un peu déçue d’avoir perdu, mais ça fait partie de la game et ç’aurait pu aller d’un bord ou de l’autre. Mais je suis fière de ce que j’ai fait », a laissé entendre l’athlète de 18 ans devant les nombreux médias qui l’attendaient après la rencontre.

« C’était vraiment le fun à vivre. Je vais me rappeler de ça toute ma vie », a-t-elle ajouté.

À 15 h 30, Gascon, chandail des Olympiques numéro 37 sur le dos, sautait sur la patinoire pour l’échauffement. Les quelques centaines de spectateurs déjà sur place lui ont offert une première salve d’applaudissements bien sentie. Une demi-heure plus tard, la portière a eu droit à une ovation debout, quand l’annonceur maison a prononcé son nom en annonçant l’alignement partant.

Tout au long du duel, chaque fois que la gardienne bloquait un lancer, les partisans se manifestaient avec ardeur, comme pour dire : nous sommes derrière toi.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

La jeune gardienne aux jambières rouges est devenue la première femme depuis Charline Labonté en 2000 à garder les buts dans un match régulier de la LHJMQ.

« C’était fort, donc je l’entendais, a confié en riant la principale concernée. J’avais des frissons un peu, mais j’essayais de rester concentrée pour aller chercher la victoire. »

L’entraîneur-chef de la troupe gatinoise, Louis Robitaille, n’avait que de bons mots à l’endroit de sa gardienne, qui a été au centre d’une forte – le mot est faible – attention médiatique au cours des derniers jours.

« Je suis extrêmement fier d’Ève, a-t-il dit. J’avais des frissons pour elle en entendant la foule. Habituellement, je ne vais pas voir l’échauffement, mais je voulais voir comment elle se sentait, comment elle réagissait. Avant de partir, je lui ai rappelé de s’amuser, et c’est ce qu’elle a fait tout au long de la soirée. »

Son rappel n’est en effet pas tombé dans l’oreille d’une sourde.

« J’ai essayé d’avoir du plaisir même si je me suis mis beaucoup de pression, a justement expliqué Gascon. Mais j’ai eu du fun à jouer. »

Tirs de qualité

Ultimement, Ève Gascon a bloqué 18 des 23 tirs dirigés vers elle. Huit longues minutes se sont écoulées avant qu’elle n’affronte sa première rondelle. C’était un tir puissant et précis de Julien Béland dans une descente à trois contre deux qui s’est retrouvé au-dessus de son épaule gauche. Le cœur des quelque 5000 partisans présents s’est un peu déchiré sur le coup. C’était 1-0 Océanic.

Les Rimouskois ont ensuite profité d’un avantage numérique pour faire 2-0 sur leur quatrième lancer. Pas question, pour Robitaille, de blâmer sa gardienne : elle a fait face à des « chances de qualité ».

« C’était un match difficile pour un gardien : beaucoup d’avantages numériques, des chances de l’enclave, des tirs déviés… Ça a pris un certain temps avant le premier lancer. On espérait un dégagement sur elle en début de match pour lui donner confiance, a-t-il confié. Tu as les nerfs qui entrent en ligne de compte. Plus le temps s’écoulait au tableau, plus j’avais hâte qu’elle ait son premier lancer. »

« J’ai commencé avec deux buts en partant, donc c’est sûr que c’était difficile mentalement, a quant à elle indiqué Gascon. Je voulais gagner ce match, mais je suis quand même contente de ce que j’ai fait aujourd’hui. »

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Tout au long du duel, chaque fois que la gardienne bloquait un lancer, les partisans se manifestaient avec ardeur, comme pour dire : nous sommes derrière toi.

Après deux périodes, les Olympiques tiraient de l’arrière 3-2. Mais l’équipe s’est levée en troisième période. Donovan Arsenault a égalisé la marque après cinq minutes de jeu. Quelques minutes plus tard, Mathieu Bizier donnait l’avance aux Gatinois pour la première fois du match lors d’une supériorité numérique. Le sol a tremblé sous les cris de la foule.

Gascon, sans doute énergisée par la remontée des siens, s’est dressée devant deux dangereuses tentatives adverses en milieu de troisième vingt, provoquant les « Gascon ! Gascon ! Gascon ! » dans l’amphithéâtre.

« Plus le match avançait, plus j’étais en confiance, a-t-elle affirmé. J’étais plus sortie de mon filet aussi. Le coach des gardiens venait me voir entre les périodes pour m’aider, me donner de petits conseils […]. Les gars ont vraiment été bons devant moi. Ils n’ont pas laissé beaucoup de lancers. »

Alexander Gaudio a toutefois créé l’égalité 4-4 avec un peu plus de cinq minutes à faire au match. Xavier Cormier a clos le débat rapidement en prolongation avec un tir dans le haut du filet lors d’une descente à deux contre un.

Louis Robitaille a précisé qu’il rencontrerait Gascon dimanche afin de voir quelle sera la suite pour elle avec l’organisation. « On va la revoir avec nous », a-t-il assuré. Tout dépendra de l’état de santé de Rémi Poirier.

« Je ne sais pas ce qui m’attend, mais s’ils ont besoin de moi, je vais être prête », a quant à elle lancé la native de Terrebonne, sourire aux lèvres.

Fierté parentale

Conscients du buzz entourant le premier match de leur fille dans la LHJMQ, Caroline Dupuis et Stéphane Gascon étaient à la fois excités et nerveux, quelques heures avant la rencontre. Avec raison.

On attendait une foule record de près de 5000 personnes au Centre Slush Puppie. Les projecteurs étaient braqués sur la gardienne de 18 ans.

« As-tu vu les chandails des employés de l’aréna ? C’est écrit : “Bravo Ève !” », nous fait remarquer Caroline Dupuis, la fierté dans la voix, avant de s’installer pour un entretien avec La Presse entre les murs de l’amphithéâtre.

« Je trouve ça le fun pour elle de pouvoir recevoir cette attention, dit M. Gascon. Mais ça reste toujours particulier de la voir à la télé, en entrevue. »

Ève Gascon était en pleine séance de FaceTime avec ses parents quand elle a reçu l’appel, avec un grand A, de l’entraîneur-chef des Olympiques, Louis Robitaille, en milieu de semaine.

« Elle m’a dit : “Attends, je te rappelle, Louis est sur l’autre ligne”, raconte Mme Dupuis. Elle a raccroché. Elle m’a rappelée et elle avait le sourire fendu jusqu’aux oreilles, les yeux pleins d’eau. J’ai dit : “C’est toi qui goale !” Elle a dit : “Oui !” Et là, elle pleurait. Elle était super contente. Elle se rend compte de l’ampleur, mais pas tant en même temps. »

La jeune athlète revient de loin. Elle a vécu la déception de ne pas être repêchée, il y a deux ans. Ses parents s’en souviennent très bien.

« L’année d’après, elle espérait être invitée à un camp. Elle ne l’a pas été. À ce moment-là, elle s’est dit : “Ça n’arrivera jamais.” On lui disait : “Ça n’arrivera pas, et ce n’est pas grave. Ç’aurait été le fun, mais ça n’arrivera pas, donc passe à autre chose et fixe-toi d’autres objectifs.” »

Ce n’est qu’un an plus tard, en septembre dernier, qu’elle a été invitée au camp d’entraînement des Olympiques. La gardienne a été à la hauteur des attentes, et pas qu’un peu. Elle a été retournée chez les Patriotes du cégep Saint-Laurent, où elle connaît une excellente saison.

« Son pourcentage d’efficacité, elle en vient malade », lance M. Gascon avec le sourire.

Quoi qu’il en soit, chez les Gascon, il n’est pas question de mettre de la pression.

« Si ça ne marche pas et que ça ne va pas bien [aujourd’hui], ce ne sera pas le fun demain, mais ça va quand même être de l’expérience, laisse entendre le père de famille. Sa préparation, comment elle a géré ça, ce n’est pas perdu. »

« Ça reste que son but est de gagner la médaille d’or avec le Canada contre les Américaines. C’est ça, le but ! »

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