Ce n’est jamais de gaieté de cœur qu’un directeur général échange un défenseur qui lui a donné plus de 600 matchs.

Or, la pilule passe généralement mieux quand deux ou trois joueurs sont prêts à prendre la relève. Et peut-être encore davantage quand ils ont grandi au sein de l’organisation.

David Poile, des Predators de Nashville, l’a vécu deux fois en cinq ans. Il a cédé son capitaine Shea Weber au Canadien de Montréal en 2016. Et l’été dernier, il s’est résolu à envoyer Ryan Ellis, l’un de ses plus vaillants soldats, chez les Flyers de Philadelphie.

« Ç’a été vraiment difficile », a témoigné Poile au cours d’une entrevue avec La Presse, vendredi midi. Assis dans les gradins du Centre Bell, le DG assistait à l’entraînement de son équipe, à la veille du duel de samedi soir contre le CH.

« À nos yeux, Ryan était, et est toujours, un défenseur d’élite dans la LNH. C’est dur à trouver, et encore davantage à remplacer. Évidemment qu’on s’ennuie de lui. Quand on prend une décision comme celle-là, on sait qu’on fait un pas en arrière pour éventuellement en faire deux en avant. »

Des contraintes salariales ont certes forcé les Preds à sacrifier l’un de leurs principaux défenseurs. Mais les conditions, sans être idéales, étaient néanmoins favorables. Comme au moment du départ de Weber, on savait que des piliers continueraient de soutenir la forteresse.

Le contexte était quelque peu différent en 2016, alors qu’en P.K. Subban on acquérait un défenseur vedette au sommet de sa carrière. Il n’empêche qu’à l’époque, Ellis, avec Roman Josi et Mattias Ekholm, était prêt à assurer la continuité. Les deux derniers sont toujours là aujourd’hui ; cette fois, c’est l’émergence d’Alexandre Carrier et de Dante Fabbro qui a mis Poile en confiance. Le temps était venu.

« Avec le temps, en donnant la chance à des gars plus jeunes, on va retrouver toute notre efficacité en défense », assure le dirigeant.

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Qu’on en commun Weber, Ellis, Josi, Ekholm ainsi que Dan Hamhuis, Ryan Suter et Kevin Klein ? Ils ont tous été repêchés par les Predators de 2001 à 2009 et ont disputé au moins 400 matchs avec l’équipe.

On pourrait presque ajouter Kimmo Timonen à la liste, lui qui, bien que repêché par les Kings de Los Angeles, a disputé les sept premières saisons de sa carrière avec les Preds et amorcé le premier véritable cycle de développement de défenseurs d’impact de l’organisation.

Chaque fois que l’un d’entre eux a quitté Nashville, par choix ou dans le cadre d’une transaction, on comptait encore sur un solide « noyau » auquel on a greffé soit des jeunes qui étaient prêts à une promotion, soit des vétérans à bas prix – à l’exception, encore une fois, de Subban. La roue tourne ainsi depuis 20 ans.

PHOTO ANDY CLAYTON-KING, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

John Hynes, entraîneur-chef des Predators

Cette idée de noyau, c’est l’entraîneur-chef John Hynes qui l’exprime. Même s’il n’en est qu’à sa troisième saison derrière le banc de l’équipe, il a bien saisi la mécanique derrière l’évolution de son effectif défensif. Il assiste aujourd’hui à la passation des savoirs amorcée par Josi et Ekholm.

« On constate bien la manière dont ils ont grandi à Nashville, explique Hynes en entrevue. Ce sont de bonnes personnes, des gars de caractère, qui ont appris de bons leaders et qui transmettent la culture de la bonne façon. »

Leurs élèves du moment : Alexandre Carrier, 25 ans, Dante Fabbro, 23 ans, et Philippe Myers, 24 ans.

Le premier, choisi au quatrième tour en 2015, a disputé 279 matchs dans la Ligue américaine avant de s’établir à Nashville pour de bon la saison dernière. Il est résolument là pour longtemps, car l’équipe l’a protégé au récent repêchage d’expansion – en réalité, les trois l’ont été, les Predators ayant été la seule équipe de la LNH à protéger un total de cinq défenseurs.

Fabbro, lui, est précédé du pedigree prestigieux d’un choix de premier tour (2016). Malgré tout, après qu’il eut fait le saut des rangs universitaires en 2018-2019, on lui a laissé le temps de s’établir peu à peu. Voilà aujourd’hui qu’il prend du galon.

Quant à Myers, jamais repêché, il a disputé 115 matchs avec les Flyers de Philadelphie avant de passer chez les Preds dans l’échange impliquant Ryan Ellis. L’Acadien a lui aussi vanté, vendredi, l’influence que Josi et Ekholm exercent sur l’équipe en général, et sur la défense en particulier. « Ils montrent l’exemple, et nous, on suit, a-t-il résumé. Ce sont de bons modèles pour moi. »

Patience

Personne n’est obligé de le croire, mais David Poile assure qu’il n’a jamais priorisé une position en particulier au repêchage, privilégiant plutôt « le meilleur joueur disponible ».

Il n’empêche que son palmarès est impressionnant. À la brochette décrite plus haut, il faut ajouter le nom de Seth Jones qui, bien qu’il n’ait pas joué longtemps à Nashville, est aujourd’hui l’une des grandes vedettes du circuit à sa position.

John Hynes, lui, parle sans surprise de la qualité du recrutement de l’organisation. En outre, son patron et lui évoquent un thème particulièrement à la mode à Montréal, sans qu’on l’applique forcément : la patience.

À l’exception de Fabbro et de Jones, tous les défenseurs cités dans ce texte ont passé au moins une saison dans la Ligue américaine.

« Chaque joueur suit son rythme : que ce soit un choix de premier tour ou un joueur non repêché, il arrive quand il arrive », insiste Poile. À plus forte raison, la position de défenseur est la plus complexe, renchérit John Hynes, qui donne l’exemple d’Alexandre Carrier. Il avait remarqué le Québécois dès le moment où il a été nommé entraîneur-chef de l’équipe, en janvier 2020. Mais pas pour les bonnes raisons.

Le défenseur de 5 pi 11 po et 174 lb goûtait alors à la LNH pour la première fois en trois ans, et son retour vers le club-école de Milwaukee n’a pas tardé. « Il peinait dans les facettes compétitives du jeu, que ce soit devant le filet ou dans les batailles à un contre un », se souvient Hynes.

Son sens du jeu et son maniement de rondelle étaient ceux d’un joueur de la LNH, mais « il avait encore besoin de temps et d’expérience », notamment pour travailler plus efficacement en dépit de son petit gabarit.

Voilà que Carrier est aujourd’hui au troisième rang des défenseurs des Predators pour le temps de glace par rencontre. Et son entraîneur se confond en éloges à son sujet.

« Il est intelligent, très intelligent, lance John Hynes. C’est un bon patineur qui voit bien la glace. Il prend toujours la bonne décision : s’il a trois options devant lui, il va choisir la meilleure. C’est ce qui le rend si important pour nous. »

Structure

Toute cette discussion sur la défense n’est pas fortuite. Avec les départs de Ryan Ellis, Calle Jarnkrok et Viktor Arvidsson pendant la saison morte, David Poile ne cache pas que son club a reculé sur le plan offensif. Le DG parle donc d’un retour « aux fondements et à la structure » pour connaître du succès.

« On vise probablement des victoires de 3-2 en ce moment ; si on marque trois fois, on risque de gagner parce qu’on joue de manière responsable », analyse-t-il.

À l’évidence, la formule fonctionne. Bien qu’ils évoluent dans la très relevée division Centrale, les Predators présentent une fiche plus que respectable de 9-6-1. Ils viennent de remporter cinq matchs de suite, dont quatre contre des rivaux directs de leur division.

« Notre but est de nous améliorer à mesure que la saison avance, conclut le DG. Rien ne sera facile. On ne parle pas de Coupe Stanley, mais d’entrer en séries éliminatoires. »

On le sait, la suite peut parfois surprendre. Ce qui est un peu la spécialité des Predators de Nashville.