À 20 ans seulement, on l’a catapulté à Montréal pour remplacer l’un des plus grands gardiens de but de l’histoire du Canadien.

Un défi injuste et cruel, dont il est sorti meurtri trois ans plus tard. Jocelyn Thibault était devenu un souffre-douleur au Centre Molson et son départ à Chicago a été accueilli avec soulagement par ses proches et lui.

La situation était à ce point insoutenable que sa mère, Micheline, ne se présentait jamais sur place pour les matchs à domicile. Elle pouvait les regarder à la télé au sous-sol, mais remontait à la cuisine après deux périodes tant le stress la ravageait.

Le gardien a disputé six saisons supplémentaires avec les Blackhawks, deux avec les Penguins, une avec les Sabres, avant de prendre une retraite pleinement méritée en 2008 et de construire une organisation de premier plan à Sherbrooke dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec.

Aujourd’hui, presque 23 ans plus tard, celui qu’on avait chassé du Centre Molson à son dernier match sous des huées cruelles et injustes, alors que son rendement était pourtant tout à fait acceptable, vient d’être désigné pour relancer notre sport national, à la tête de Hockey Québec. Que de chemin parcouru…

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Jocelyn Thibault, dans l’uniforme des Blackhawks de Chicago, lors d’un passage au Centre Bell

Même les expériences les moins agréables se révèlent extrêmement positives à long terme. Mon passage à Montréal étant ce qu’il est, ça fait partie de moi. Ça forge la personnalité, les valeurs profondes, une volonté, une carapace… C’est tout bon.

Jocelyn Thibault

L’homme âgé de 46 ans se retrouve devant un autre défi de taille. Les inscriptions sont en baisse dans le hockey mineur, on vit une pénurie d’arbitres et on développe de moins en moins de joueurs, à la position de gardien de but en particulier.

Mais sa tournée médiatique de la dernière semaine renforce son optimisme. « Il y a pas mal plus de monde qui pense comme moi que le contraire. La vague est encore plus forte que je ne le croyais. C’est le fun parce qu’en fin de compte, le hockey va en sortir gagnant. »

Ses prédécesseurs, pourtant, n’ont pas réussi à renverser la situation malgré de bonnes intentions. « On pourrait se dire qu’il n’y a rien à faire, ou encore on lance une nouvelle tentative. Je préfère la deuxième option. Les dommages qu’on subit vont être pires dans cinq, dix ans. On n’a pas fini de vivre les répercussions. Il faut mettre nos priorités à la bonne place et mettre le développement de l’athlète et le plaisir au cœur de nos priorités. Il faut arrêter de niaiser parce qu’on est en train d’échapper notre sport. »

Prendre les décisions difficiles

Forgé à la dure pendant ses années à Montréal, à tenter de faire oublier Patrick Roy, Jocelyn Thibault n’a jamais craint de prendre des décisions difficiles. Il l’a fait avec le Phœnix de Sherbrooke, en s’attribuant le poste de directeur général en 2015 malgré son inexpérience et en confiant le poste d’entraîneur-chef à Stéphane Julien, lui aussi inexpérimenté.

Quatre ans plus tard, le copropriétaire du Phœnix et du vaste complexe sportif Thibault, à Sherbrooke, était nommé DG de l’année dans la LHJMQ, et Sherbrooke constitue l’un des clubs phares de la Ligue.

Stéphane Julien, lui, est non seulement toujours entraîneur, mais il a pris la relève de son ancien patron comme directeur général !

La somme de mes implications depuis ma retraite en 2008 fait en sorte qu’on se parle de Hockey Québec aujourd’hui. Si tu m’avais dit ça il y a deux ou trois ans, je n’y aurais pas cru.

Jocelyn Thibault

Jocelyn Thibault n’a pas l’intention de quitter sa région. Mais il cherche un pied-à-terre près de Montréal.

« Je garde ma résidence dans les Cantons-de-l’Est, j’y suis enraciné solidement, mais on se cherche quelque chose dans le sud-ouest de Montréal, à L’Île-des-Sœurs ou sur la Rive-Sud. C’est important pour moi d’être au bureau. »

Ses trois filles ont désormais quitté la résidence familiale. « J’ai deux filles à l’université ; une joue à Bishop’s, ma deuxième est à Concordia chez les Stingers, avec Caroline Ouellette et Julie Chu, et la troisième est à Champlain avec les Cougars, au collégial. »

Les trois jouent au hockey, mais aucune n’est devenue gardienne de but comme lui. « C’est drôle parce que ma deuxième avait essayé d’être gardienne dans le novice. Je suis allé quelques fois sur la glace pour enseigner. Elle ne m’écoutait pas et je commençais à m’impatienter. À un moment donné, elle s’est tournée vers moi et m’a dit : “Laisse-moi tranquille parce que tu ne connais rien là-dedans !” [Rires] Je ne suis plus jamais retourné sur la glace ! Quelques semaines plus tard, elle ne semblait pas s’amuser, j’ai profité d’un moment de faiblesse de sa part pour lui suggérer une autre position. Être un parent et coacher ses enfants, c’est deux choses ! »

Les parents en ligne de mire

Parlant de parents, justement, l’une de ses missions consistera à instruire les plus réfractaires. « J’en ai vu, des parents fous. Les miens n’étaient pas fous. Les gens autour de moi n’étaient pas tant fous, il y a plusieurs actions qui peuvent contribuer à changer les choses et il y a comme un momentum en ce moment. Ça va prendre du temps, mais il faut taper sur le clou et faire du hockey pour les bonnes raisons. »

Il faut instruire, mais aussi, surtout, mieux informer. « Le développement d’un athlète, c’est un peu comme une chaîne de montage. C’est une séquence d’acquisitions de connaissances, de gestes techniques et tactiques qu’on accumule de mois en mois, d’année en année. Dans l’atome, par exemple, spécialiser de jeunes athlètes, gagner des matchs, ça ne fait pas partie du développement à long terme de l’athlète. »

Ce qu’on doit dire, c’est que chaque parent, chaque entraîneur, chaque directeur technique a un rôle primordial dans le développement des jeunes. On a tous un rôle dans la chaîne de montage.

Jocelyn Thibault

Il a vu, à Sherbrooke, le monde du hockey mineur se transformer. Et ça l’encourage. « C’est un microsystème qui me permet d’y croire. Sherbrooke a l’une des organisations de hockey mineur les plus progressistes dans la province, à tous les égards. Dans le pee-wee et le bantam, tu dois faire jouer tout le monde à parts égales, sauf dans les deux dernières minutes du match. Les joueurs changent de position. L’approche de développement est plus accentuée. Tu commences à travailler dans la spécialisation à partir des rangs midgets seulement. Les structures civile et scolaire travaillent ensemble. Ils ont tous le même chandail sur le dos. Et je sais qu’il y a d’autres endroits au Québec qui fonctionnent comme ça. »

Il espère aussi relancer le développement des gardiens. Naguère un leader mondial dans le domaine, le Québec n’a presque plus de représentants dans la LNH. Marc-André Fleury est le seul gardien numéro un du Québec, et il aura bientôt 37 ans.

« C’est un dossier qui me titille beaucoup. Je n’ai pas toutes les réponses. On va se consulter dans les prochains mois et on va remuer plein de dossiers, le hockey féminin, les gardiens, il faut comprendre ce qui se passe et pourquoi les gardiens de but américains et européens ont réussi à passer devant nous. Il faut avoir l’humilité de le dire. Mais ça me fatigue, je l’annonce. »

Si l’enthousiasme, la sensibilité et le professionnalisme de Jocelyn Thibault deviennent contagieux, le hockey mineur au Québec s’en portera mieux.

Jocelyn Thibault sur Carey Price

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Carey Price, lors des dernières séries éliminatoires

« J’ai été touché par tout ce qu’il a vécu ces derniers mois. Je comprends tellement le genre d’émotions qu’il a dû vivre. Je le trouvais tellement fort, je trouvais que c’était presque un surhomme, pour passer à travers toutes ces années dans un marché comme celui de Montréal. Le fait qu’il ait mis un genou à terre, et le voir revenir, il faut saluer ce qu’il fait. C’est une occasion pédagogique importante pour l’ensemble du monde. On vit dans un monde où les attentes sont immenses, même si tu es super bon dans ce que tu fais, c’est correct d’avoir un bout difficile. Au final, dans deux, trois, quatre, cinq ans, il ne le réalise pas, mais il va avoir fait avancer bien du monde de la bonne façon. »