La controverse suscitée par la décision du Canadien de Montréal de repêcher Logan Mailloux, reconnu coupable d’un crime sexuel il y a moins d’un an, continue de prendre de l’ampleur. L’équipe a l’intention de faire paraître une lettre ouverte sur le sujet ce mercredi, mais tout indique qu’elle n’entend pas renoncer à son choix de repêchage, a appris La Presse. Mardi, Justin Trudeau a qualifié le choix du Tricolore « d’erreur de jugement » et des partenaires ont exprimé un « inconfort ».

Jusqu’ici, le président et chef de la direction, Geoff Molson, est demeuré muet. Selon des informations obtenues par La Presse, le directeur général Marc Bergevin profiterait d’un point de presse sur la chasse aux joueurs autonomes ce mercredi après-midi pour donner les grandes lignes du plan de l’organisation au sujet du jeune hockeyeur

CAPTURE TIRÉE D’UNE VIDÉO

Logan Mailloux en visioconférence samedi matin

Mardi, La Cage – Brasserie sportive, Desjardins et le Groupe Jean Coutu ont tour à tour fait connaître leur malaise à la suite de la sélection du joueur ontarien. « Nous avons communiqué avec le Canadien [lundi] pour obtenir des explications et partager notre inconfort », a souligné une porte-parole de Desjardins.

« Nous n’accorderons pas d’entrevue sur le sujet, mais je vous confirme que La Cage – Brasserie Sportive est inconfortable avec la décision du Canadien de repêcher Logan Mailloux », a pour sa part indiqué la chaîne de restaurants par courriel. Le Groupe Jean Coutu a également confirmé être « en réflexion » quant à ses liens d’affaires avec l’équipe.

Chez Intact Assurance, le porte-parole Louis-André Bertrand affirme lui aussi qu’une réflexion est en cours, et que tout dépendra des actions du Tricolore.

En tant qu’entreprise guidée par nos valeurs – le respect et l’intégrité étant au cœur de ces valeurs –, nous sommes profondément préoccupés par cette affaire.

Louis-André Bertrand, porte-parole d’Intact Assurance

« Nous avons fait part de nos préoccupations à l’organisation des Canadiens de Montréal et nous attendons de voir les mesures qu’ils prendront », a réagi M. Bertrand dans une déclaration mardi soir.

Bell, un autre partenaire majeur du club, n’a pas répondu au courriel de La Presse lorsque questionnée à ce sujet mardi. Ces réactions s’ajoutent à celle de Groupe St-Hubert, qui a expliqué lundi qu’il songeait à rompre son partenariat avec le club montréalais.

« Tempête parfaite »

Est-ce une stratégie de la part des commanditaires de dire qu’ils réfléchissent présentement ? « Les commanditaires ont été pris de court », répond Mylène Forget, présidente de Massy Forget Langlois relations publiques, dont la firme ne compte pas parmi ses clients les commanditaires du Canadien.

« C’est sincère lorsqu’ils disent qu’ils réfléchissent, croit-elle. Ils représentent le public et les consommateurs. Ils subissent énormément de pression. […] Une grande chaîne de restaurants sportifs pourrait sonder ses clients et rester fidèle au Canadien si 85 % des clients appuient la décision de l’équipe, comme l’a fait Nike à l’époque avec Tiger Woods. Mais une chaîne de restos familiaux considérerait les choses autrement. »

L’affaire est une « tempête parfaite », dit la spécialiste, « car on sait que le hockey est une passion au Québec ». « Comme le Canadien s’est rendu loin en séries, l’équipe a consolidé sa place dans le cœur des partisans », explique-t-elle.

Cette situation est rendue politique, sportive, sociale et communautaire. Il n’y aura pas de bonne ou de mauvaise décision pour les commanditaires. Ils ne feront pas l’unanimité.

Mylène Forget, présidente de Massy Forget Langlois relations publiques

Spécialiste en communication et en gestion de crise à l’UQAM, le professeur Bernard Motulsky abonde dans son sens. « Ce qui est difficile dans ces situations-là pour un annonceur est prendre une décision, donc de voir s’il y a un impact, et si c’est dommageable. Ensuite, la question devient : qu’est-ce qu’on fait, est-ce qu’on réduit la commandite, est-ce qu’on reste ? On parle de décisions assez complexes parce qu’il y a peu d’éléments très précis sur lesquels se fonder. Et aujourd’hui, on n’est pas dans la même situation qu’hier ou demain », dit-il.

« On est dans une polémique où on voit que ça tire des deux bords, alors, quelle que soit la décision qu’on prend, on va se faire critiquer, réitère-t-il aussi. C’est le propre des controverses de toute façon, et les commanditaires n’aiment pas ça. Parce qu’ils ne veulent pas mécontenter leur clientèle. »

Trudeau très déçu

Les critiques entourant la sélection de Logan Mailloux au premier tour du repêchage de la Ligue nationale de hockey ne s’essoufflent pas depuis vendredi.

En novembre 2020, alors qu’il jouait en Suède et qu’il avait 17 ans, Logan Mailloux a photographié sa partenaire à son insu lors d’une relation sexuelle pour ensuite partager le cliché avec ses coéquipiers par messages textes. Le défenseur avait lui-même demandé de ne pas être sélectionné cette année. Vingt-quatre équipes avaient d’ailleurs choisi de s’abstenir.

Le premier ministre Justin Trudeau, qui se décrit comme un « fan fini » du Tricolore, s’est dit « très déçu » du choix de repêchage de l’équipe montréalaise, qu’il a qualifié mardi « d’une erreur de jugement ».

PHOTO JOHN MORRIS, REUTERS

Le premier ministre Justin Trudeau, mardi

Le Canadien a des explications à offrir aux Montréalais et aux fans à travers le pays.

Le premier ministre Justin Trudeau

Au Québec, la réaction du gouvernement Legault était venue de la ministre responsable du loisir et des sports, Isabelle Charest, dès le lendemain de la sélection. Sur Twitter, la ministre – aussi responsable de la Condition féminine – a déclaré que les gestes faits par la recrue sont « inacceptables ».

Vers un changement « sociétal » ?

Pour la cofondatrice du mouvement Québec contre les violences sexuelles, Mélanie Lemay, « c’est très encourageant de voir que d’autres institutions prennent la question au sérieux, se responsabilisent et remettent en question la décision du Canadien ». « Ça monte qu’elles ne sont plus dupes aussi face à ça. Il y a une solidarité intéressante qui est en train de se construire », note-t-elle.

Mais sur les réseaux sociaux, la situation est différente. « Je trouve ça fascinant parce qu’on voit en ce moment des hommes qui s’identifient aux gestes posés par Logan Mailloux, qui l’excusent et qui sont solidaires avec lui, en laissant entendre qu’une chance qu’il n’y avait pas internet à leur époque », soutient à ce sujet Mme Lemay.

Ça fait des années qu’on dit que partout au Québec, des gens commettent des violences sexuelles, mais le débat qui n’a peut-être pas encore eu assez lieu, c’est qu’on connaît tous un agresseur et que même nous, on peut adopter des comportements problématiques. Il y a une discussion à avoir sur la place que revêt le monde du sport dans tout ça.

Mélanie Lemay, cofondatrice du mouvement Québec contre les violences sexuelles

À la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, la directrice Manon Monastesse salue Québec et Ottawa pour « n’avoir laissé aucune zone grise ».

« Ça montre qu’au moins, le message a bien passé, comme quoi les agressions sexuelles dans tous les contextes, c’est inacceptable. Au fond, ça marque un certain changement au niveau sociétal. C’est dommage que le Canadien de Montréal en soit déconnecté. Ce qui a été très dommageable, c’est la réponse très laconique de l’équipe. Il aurait pu y avoir une réponse beaucoup plus concrète, au-delà des mots », dit-elle, en plaidant aussi pour une prise d’actions concrètes avec Logan Mailloux.

Le CH peut-il larguer Mailloux ?

Au-delà des prises de position sur cette saga, une question demeure : le Tricolore peut-il, selon les règles de la Ligue nationale, se départir de son choix de repêchage ? Le passé nous démontre que oui.

Pas plus tard que l’an dernier, en octobre 2020, les Coyotes de l’Arizona avaient en effet renoncé à leurs droits sur le jeune espoir Mitchell Miller, après qu’un article du journal local The Arizona Republic eut révélé qu’il avait été impliqué dans un dossier policier d’intimidation et de racisme auprès d’un ex-collègue de classe noir.

Avec un complice, Miller avait notamment été accusé d’agression et d’infraction aux règles de sécurité, après avoir entre autres frappé le jeune et l’avoir forcé à manger des bonbons dans un urinoir.

Dans les jours qui ont suivi la controverse, les Coyotes avaient d’abord dit vouloir travailler avec l’espoir pour « confronter l’intimidation et le racisme ». Mais peu après, ils ont finalement annoncé qu’ils avaient « décidé de renoncer aux droits » sur le jeune joueur, avouant qu’ils étaient au courant de cette histoire avant de le repêcher, au 111rang au total.

Avec Isabelle Massé et Guillaume Lefrançois, La Presse