Le dévoilement de l’uniforme « alternatif » de l’Avalanche du Colorado en hommage aux Nordiques de Québec a mis un peu de soleil dans la vie de Michel Bergeron, il y a trois semaines.

Comme bien d’autres, l’ancien entraîneur des Nordiques devenu analyste sportif tente du mieux qu’il peut de combattre la grisaille de 2020.

« Moi, j’ai adoré l’idée, lance-t-il. Ça me fait revivre de beaux souvenirs. Certains ont été scandalisés par les fleurs de lys. Pourquoi pas ? Les Nordiques ont fait parler de Québec partout en Amérique à l’époque, ne l’oublions pas. On n’aurait pas nécessairement parlé de Québec au Minnesota sans notre club de hockey. J’ai hâte de voir ce match ! »

Michel Bergeron respecte néanmoins l’opinion d’anciens fans choqués de voir des fleurs de lys bourgogne.

Chacun a droit à son opinion. Mais je trouve beaucoup plus grave le fait qu’on n’a pas retiré au Colorado les numéros de l’époque avec les Nordiques, le 16 de Michel Goulet, le 8 de Marc Tardif, le 26 de Peter Stastny et le 3 de Jean-Claude Tremblay1.

Michel Bergeron

Michel Bergeron a eu 74 ans cet été. Il admet sentir le poids des années. « C’est difficile de vieillir. Surtout maintenant. À 50, 60 ans, c’était pas pire. C’est plus difficile quand je repense au passé. J’ai tellement vécu de beaux moments. J’étais tellement choyé. »

Michel Bergeron vit aussi une année charnière. « J’ai obtenu le poste d’entraîneur des Nordiques il y a 40 ans. J’en suis à ma 30e année dans les médias. Mon père est mort d’une crise cardiaque il y a 50 ans, en 1970. C’est une année marquante. »

Le Tigre, comme on l’a toujours surnommé affectueusement, a lui aussi vécu des épisodes cardiaques. « Mon père et tous ses frères sont morts de crises cardiaques. C’est dans les gènes. À un moment donné, je ne croyais pas [vivre vieux]. Ça aurait pu m’arriver quand j’ai eu ma première crise cardiaque, en 1990. J’espérais me rendre à temps à l’hôpital. Je suis content d’être encore là. »

Michel Bergeron tente de passer le temps comme il peut depuis le début de la crise sanitaire. « Malheureusement, il n’y a pas de sport à la télé. Ça me manque beaucoup. C’est dur. On regarde les téléromans. Je suis abonné à Club illico. On regarde des séries. Comme tout le monde. Il y a Netflix aussi. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Bergeron passe le temps comme il le peut actuellement. « Malheureusement, il n’y a pas de sport à la télé. Ça me manque beaucoup », dit-il.

Et il dit suivre les consignes sanitaires à la lettre. « J’ai beaucoup de craintes. J’écoute ce qu’on nous demande. J’ai tellement de respect pour François Legault, il doit faire face à la musique tous les jours, ça doit être terriblement difficile. Je suis la situation de près et ma famille aussi. On avait déjà décidé de ne pas voir nos enfants et nos sept petits-enfants aux Fêtes. Avec les problèmes de santé que j’ai eus, ceux que ma femme aussi a eus, il n’est pas question de ne pas suivre les consignes. »

« Quand je vais à Québec, on m’en parle moins »

Les nouvelles de la LNH lui donnent un peu d’espoir. Il a hâte de revenir au jeu, même si son rôle à la télé tend à changer un peu.

« J’ai de bons patrons à TVA Sports. Ils font attention à moi. Je suis le plus vieux de la gang, j’ai toujours été le plus vieux de la gang, finalement. Je dois ralentir, c’est évident. Il y a de bons jeunes qui prennent leur place. Louis Jean et Dave Morissette commencent à avoir du vécu. »

Les Nordiques ont déménagé il y a 25 ans déjà. Michel Bergeron a dirigé son dernier match il y a 30 ans. Notre homme est lucide, l’univers change. « C’est un monde beaucoup plus jeune. La plupart ont l’âge de ma plus jeune. Je dois m’ajuster moi aussi. Ça veut dire être là moins souvent, ne pas être celui qui a le dernier mot. J’ai toujours été un gars d’équipe et je le demeure. J’essaie de garder ma place quand même. Mais le monde du hockey a changé. Les entraîneurs ont changé. »

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Michel Bergeron derrière le banc de ses Nordiques dans un match au Forum de Montréal, contre le Canadien, le 24 janvier 1985

Je ne veux pas être le “Ti-Joe connaissant”, celui qui répète qu’il a coaché. Les gars avec qui je travaille ont entendu parler de moi, mais ils ne m’ont pas vu coacher. Mais je sens un respect.

Michel Bergeron

L’ancien coach des Nordiques et des Rangers a du temps à tuer. À l’occasion, il revisite ses souvenirs en images. « Sans que je le sache, mon bon ami Jean-Marie Tancrède m’a monté au fil des années une quarantaine de scrapbooks. Il me ramassait tout ce qui s’écrivait sur moi. »

C’était une période folle. Michel Bergeron était au cœur d’une rivalité qui galvanisait le Québec. Les artistes les plus populaires évitaient souvent de s’afficher pour un club ou l’autre par crainte de décevoir leurs fans. Des familles se sont déchirées.

« Je réalisais à quel point c’était gros avec les premiers ministres. René Lévesque et Robert Bourassa venaient aux matchs à l’occasion. Une fois, alors que je me rends à l’entraînement au Colisée de Québec, j’aperçois une série de limousines avec un drapeau du Canada sur Henri-IV. Ça m’intrigue. Je dépasse les limousines pour arriver à la première. Je baisse ma vitre et le chauffeur me regarde avec un petit sourire. Puis la vitre arrière se baisse. C’est Pierre Elliott Trudeau qui me fait un pouce en l’air ! Ça m’a marqué. »

PHOTO ROBERT NADON, ARCHVES LA PRESSE

Michel Bergeron, à sa deuxième saison à la barre des Nordiques, en septembre 1981

« Une fois, poursuit Michel Bergeron, Robert Bourassa m’a dit à la blague : “Michel, réalises-tu que tu fais la première page plus souvent que moi ?” C’était le premier ministre qui me disait ça, moi qui avais commencé comme chauffeur de camion pour ensuite diriger les Nordiques. C’était la folie du temps. »

Les Nordiques seront-ils de retour à Québec un jour ? « Avec la pandémie, j’espère qu’on va y penser avec les clubs en difficulté. J’étais très optimiste au début, surtout avec la construction du [Centre] Vidéotron. C’était évident qu’on allait revenir. Mais plus le temps avance, moins je le suis. Ceux qui étaient partisans à l’époque ont tous vieilli de 30 ans au moins. Ça ne sera plus des détenteurs de billets de saison. Est-ce que la jeune génération en voudra ? Je ne sais pas. Quand je vais à Québec, on m’en parle moins. J’espère que ça arrivera ! »

En attendant, comme tout le monde, il a hâte de retrouver une vie normale. Hâte de retourner voir à l’œuvre son petit-fils Alexis Gravel, l’un des jeunes joueurs de baseball les plus doués au pays, le fils de son aînée, Annick. « Disons que j’ai très hâte au vaccin… »

Nous aussi, Michel. Nous aussi.

1. Il est à noter qu’à l’heure actuelle, chez l’Avalanche, Cale Makar porte le 8 (numéro porté par Marc Tardif avec les Nordiques), Nikita Zadorov avait le 16 (Michel Goulet) avant d’être échangé, personne n’a porté le 26 (Peter Stastny) depuis le départ d’un certain Andrew Agozzino et le 3 (Jean-Claude Tremblay) a été porté la dernière fois par Chris Bigras, il y a quelques années.