C’est comment, jouer avec Alexis Lafrenière ? Et contre lui ? Onze coéquipiers et adversaires racontent ce qui se passe vraiment sur la glace – et à l’extérieur.

Jouer avec lui

Cédric Paré se souvient très bien de son premier match sur le trio d’Alexis Lafrenière, avec l’Océanic de Rimouski. C’était à Baie-Comeau, en septembre 2019. Les deux gars étaient sur la même unité en supériorité numérique.

« Alexis avait la rondelle. J’étais en position pour lancer sur réception. Complètement à l’autre bout de la zone. Je me suis dit : il va tirer, c’est sûr. Juste le temps d’y penser, la rondelle était rendue sur ma palette. Je te le jure, je ne l’ai jamais vue venir. J’ai raté un filet désert. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Alexis Lafrenière

La surprise.

C’est la grande force d’Alexis Lafrenière. Son superpouvoir. Ses passes sont magiques. Ses feintes, prodigieuses. Comme s’il pouvait téléporter la rondelle sur la glace.

Je ne sais pas comment il fait. Sa vision du jeu est exceptionnelle. Il te trouve même quand tu es dans son dos. Ce jour-là, à Baie-Comeau, j’ai eu ma leçon. Quand tu joues avec Alexis, sois prêt.

Cédric Paré

À la mi-novembre, après seulement 28 matchs aux côtés d’Alexis Lafrenière, Cédric Paré battait son record personnel de points en une saison.

Les deux centres précédents d’Alexis Lafrenière, Samuel Dove-McFalls et Jimmy Huntington, ont eux aussi reçu des passes surnaturelles. Plus d’une fois.

« Alexis aurait fait tellement plus de points si j’avais converti plus de chances de marquer », rigole Samuel Dove-McFalls. Lorsqu’ils ont commencé à jouer ensemble, Lafrenière avait 15 ans. Dove-McFalls, 20 ans. « Pourtant, c’est moi qui ai dû m’adapter. Au début, on créait beaucoup d’occasions, mais on avait de la misère à finir. Plus la saison avançait, mieux on se complétait. Peu importe où j’étais sur la glace, il me trouvait. Même s’il regardait ailleurs. C’était impressionnant. »

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Alexis Lafrenière avec l’Océanic de Rimouski, en octobre 2019

Jimmy Huntington a également connu des débuts difficiles sur le trio d’Alexis Lafrenière. « Le premier mois, ça ne fonctionnait pas. » Avec le temps, les deux gars ont fini par se trouver sur la patinoire. Et ça a débloqué. Pas à peu près. En novembre 2018, alimenté par Lafrenière, Huntington réussissait cinq matchs de deux buts. Il a terminé la saison avec 40 buts. Soit plus que dans tout le reste de son parcours midget AAA et junior majeur.

« Je n’avais jamais joué avec un gars comme lui. Moi, si j’ai la rondelle, je vais rentrer dans la zone adverse à toute vitesse. Lui, il ralentit le jeu. Et tout le monde ralentit autour. C’est fou.

– Comme Evgeni Malkin ?

– Plutôt comme Nikita Kucherov. Et quand tout le monde ralentit, c’est là qu’il décide d’attaquer. C’est tout un passeur. Le meilleur avec lequel j’ai joué. »

Un joueur physique

Une autre facette du jeu d’Alexis Lafrenière qui impressionne ses coéquipiers, c’est sa force physique. Rares sont les attaquants élites – passeurs ou compteurs – qui vont se battre pour la rondelle le long de la bande. Lui, il adore ça.

« Tu ne t’attends pas à ça d’une vedette. En tout cas, on ne voit pas ça souvent dans le junior », souligne Samuel Dove-McFalls.

Il est vraiment très fort. Il ne va pas juste chercher la rondelle. Il va te sortir du jeu avec une bonne mise en échec.

Le défenseur Isaac Belliveau

Alexis Lafrenière – 6 pi 1 po, 195 livres – maîtrise parfaitement le contre-plaquage. C’est un de ses jeux préférés. Une technique qu’il a perfectionnée dans le midget AAA, avec son coéquipier et grand ami, Nathan Légaré.

« C’est un jeu qu’on a pratiqué des centaines de fois avec [notre entraîneur-chef] Martin Daoust. Alexis prend la rondelle et s’installe dans un coin en zone offensive. Il aime ça attirer un adversaire vers lui. Lorsque le défenseur s’approche, il lui donne un coup d’épaule [dans la poitrine]. »

Souvent, le défenseur tombe. Ce qui donne à Alexis Lafrenière le temps nécessaire pour repérer un coéquipier à découvert. « Pour protéger la rondelle à un contre un, il est A-1 », note le défenseur Charle-Édouard D’Astous.

Drôle et… mauvais perdant !

Et comme coéquipier, il est comment, Alexis Lafrenière ?

Ça dépend s’il est sur la patinoire. Ou ailleurs.

« Sur la glace, il est très, très compétitif. Et un peu mauvais perdant (rires) », confie Samuel McDove-Falls.

« Cet été, on jouait un match à trois contre trois juste pour le fun, raconte Xavier Parent, des Phœnix de Sherbrooke. J’étais dans son équipe. On perdait 14-5. Alexis a pogné les nerfs. Il a cassé son bâton sur la bande. Les gars et moi, on a tous gelé. Pendant qu’Alexis était au vestiaire pour prendre un nouveau bâton, on s’est dit : peut-être qu’on devrait monter notre niveau de jeu.

– Et comment ça a fini ?

– On a gagné. Quelque chose comme 17-16. »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM D’ALEXIS LAFRENIÈRE

Nathan Légaré et Alexis Lafrenière sont adversaires sur la glace, mais amis à l’extérieur.

« Alexis est un gars très compétitif, renchérit Nathan Légaré. Pas juste au hockey. Dans tous les sports. L’été, on aime ça jouer au basketball ensemble. On essaie toujours d’être dans la même équipe. Parce que moi aussi, je n’aime pas ça perdre. Je suis capable d’être assez intense. On aime ça se narguer. Si on est adversaires, c’est clair que ça va mal finir (rires) ! »

Mais hors du terrain, Alexis Lafrenière est beaucoup plus relaxe. « C’est un gars loose », m’ont dit trois de ses anciens coéquipiers.

« Il est vraiment très drôle, raconte Cédric Paré. Il a toujours le sourire aux lèvres. Dans le vestiaire, il est bon pour changer l’atmosphère. Si c’est trop sérieux, il va faire une joke. Les gars ne se sentent pas intimidés autour de lui. »

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Alexis Lafrenière s’amuse pendant la photo d’équipe de l’Océanic de Rimouski, en janvier 2018

« C’est vrai qu’il est drôle, acquiesce Charle-Édouard D’Astous. Alexis s’entend bien avec tout le monde. Il n’est pas intimidant. C’est d’ailleurs une de ses grandes qualités. Avec son talent, il pourrait vivre sur un nuage. D’autres s’enflent la tête pour moins. Mais pas lui. Il est humble. Il respecte les autres. Sérieux, tu ne peux pas ne pas l’aimer. »

Jouer contre lui

La première fois que le gardien des Voltigeurs de Drummondville, Francesco Lapenna, a affronté Alexis Lafrenière, c’était dans le bantam AAA. Lafrenière venait d’avoir 14 ans. Il empilait les points à la douzaine. À mi-chemin en troisième période, son équipe menait 2-1.

« J’étais quand même content, raconte Lapenna. Je trouvais que je me débrouillais bien contre lui. Surtout que j’étais un an plus jeune. Sauf que je m’étais réjoui trop vite. » Dans les 10 dernières minutes, Lafrenière a réussi un tour du chapeau et ajouté une aide. Résultat final : 7-1.

Difficile d’affronter un joueur si talentueux.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Alexis Lafrenière, avec les Vikings de Saint-Eustache dans le midget AAA.

Parlez-en à Félix Lafrance. De 4 à 15 ans, il a été le partenaire de trio d’Alexis Lafrenière, à Saint-Eustache. « Quand nous étions enfants, nos parents nous disaient qu’on se trouvait sur la glace. On avait le même sens du jeu. »

Dans le junior majeur, leurs chemins se sont séparés. Alexis est allé à Rimouski. Félix, au Cap-Breton. Pour la première fois, les amis sont devenus des adversaires. « Ses feintes, ses passes, je les avais vues [des centaines de fois]. Je pensais bien le connaître. Je me suis mis à l’affronter. Puis souvent, il me surprenait encore. Tu remarques encore plus son talent quand tu joues contre lui, qu’avec lui. »

Dans notre plan de match, avec les Eagles, le nom d’Alexis était toujours encerclé. Il n’est pas celui qui va marquer tous les buts. Mais c’est lui qui fera les jeux. Il faut rester plus proche de lui que des autres joueurs. Notre but, c’était que la rondelle ne se rende pas à lui.

Félix Lafrance

Maintenant, lorsqu’il possède la rondelle, comment la lui enlever ? Comment le neutraliser ?

J’ai posé la question à Xavier Parent. Peut-être le joueur qui a le plus souvent affronté Alexis Lafrenière. Les deux ont grandi à quelques kilomètres de distance, sur la Rive-Nord de Montréal. « On a même joué au baseball un contre l’autre ! » Des plans pour freiner Lafrenière, il en a vu plusieurs.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Alexis Lafrenière en janvier 2018

« Dans toutes nos rencontres d’avant-match, quand je jouais à Halifax, il était le centre d’attention. Le coach nous expliquait les jeux d’Alexis. Contre un joueur dominant comme lui, souvent, on nous demande de jouer plus physique. Sauf qu’Alexis, il est vraiment fort. En plus, il est rapide et intelligent. À la mise au jeu, quand il est en face de toi, tu dois jouer plus serré [tight]. »

« Sur la glace, il faut que tu sois trois fois plus alerte que d’habitude », renchérit Samuel Poulin, un choix de premier tour des Penguins de Pittsburgh qui a aussi grandi sur la Rive-Nord, avec Parent et Lafrenière.

Sa vision de jeu est incroyable. Je l’ai vu réussir des passes extraordinaires. Marquer d’angles impossibles. À deux contre un, il ne regarde jamais la passe. Ça rend la couverture plus difficile. En plus, il est excellent pour garder la rondelle. Tu ne peux pas lui laisser de l’espace.

Samuel Poulin

Son ancien coéquipier, Nathan Légaré, du Drakkar de Baie-Comeau, en arrive à la même conclusion. « Ta seule chance contre lui, c’est en réduisant l’écart. Il attend toujours que le défenseur fasse le premier geste. Souvent, les gens mordent à sa première feinte. Si tu fais ça, tu es mort. Moi, je le laisse [se commettre] en premier. »

Xavier Simoneau, joueur vedette des Voltigeurs de Drummondville, dit avoir essayé d’exploiter le côté compétitif d’Alexis Lafrenière. Pour le déconcentrer « en jouant dans sa tête ». Sans succès.

« C’est très difficile de jouer contre lui. D’abord, c’est rare qu’il se trouve en zone défensive. Il est difficile à tasser. Et tu ne sais jamais ce qu’il fera avec la rondelle. […] Ça fait longtemps qu’on se côtoie. On a joué ensemble sur l’équipe nationale. Mettons que j’aime mieux l’avoir de mon côté que contre moi. »