(DRUMMONDVILLE) On était venu rencontrer Michel Germain pour parler de trois personnes : Vincent Lecavalier, Sidney Crosby et Alexis Lafrenière.

Pourquoi ces trois-là ? Parce que Germain est descripteur des matchs de l’Océanic de Rimouski à la radio depuis 25 ans. Ce matin-là, il se prépare à décrire un duel entre l’Océanic et les Voltigeurs de Drumondville. Si Rimouski se rend loin en séries, Germain atteindra le chiffre magique des 2000 matchs au micro.

Bref, il est bien placé pour nous parler de la progression de Lafrenière, qui pourrait suivre les traces de Lecavalier et de Crosby et être le premier joueur réclamé au repêchage de la Ligue nationale en juin prochain.

Mais au bout de la rencontre de deux heures, on aura à peine effleuré le hockey. Et on aura plutôt parlé de trois autres personnes : de son père, de Maurice Tanguay et d’une certaine madame Castonguay, sa psy. « Ces trois personnes-là m’ont sauvé la vie. »

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Le 15 décembre 1998, Michel Germain est au PEPS de l’Université Laval, où il se prépare à décrire un duel entre l’Océanic et les Remparts de Québec. À Rimouski, sa fille, Jennely, obtient son congé de l’hôpital. La fillette de 9 ans y a passé les cinq derniers jours pour un mystérieux problème d’estomac. Martine et Georgette, respectivement la femme et la mère de Germain, vont chercher Jennely pour la ramener à la maison, à Mont-Joli.

Une heure avant le début du match, un collègue de Radio-Canada monte sur la passerelle et lui tend un bout de papier.

« Il tremblait, il avait le teint verdâtre. Je pensais qu’il ne feelait pas. Il me dit : “ Va au bureau des Remparts et appelle à ce numéro-là. ” C’était le numéro de Yolaine, ma belle-sœur, qui était célibataire depuis un an. Mais il y avait le nom d’un sergent de police. Je pensais qu’elle m’appelait pour m’annoncer qu’ils étaient en couple ! »

Germain descend au bureau des Remparts. Diane, une employée, lui conseille de s’asseoir avant de faire l’appel.

« J’appelle le sergent Roussel. Je ne le laisse pas placer un mot. Je lui dis : “ Je suis content que vous rentriez dans la famille, Yolaine est une bonne fille. Mais vous savez, il reste une heure avant le match. ” Il me laisse parler, ne dit pas un mot. Quand j’arrête, il me dit : “ Michel, votre mère devait aller chercher Martine et Jennely à l’hôpital aujourd’hui ?

— Oui, elle devait. Elle n’y a pas été ?

— Non, elle y a été.

— Elles ont sûrement eu un accident.

— Oui.

— Là, vous m’appelez parce qu’il y en a une de décédée. ”

De façon inconsciente, tu sais que tes grands-parents vont mourir avant tes parents, tes parents vont mourir avant toi, et toi, tu vas mourir avant tes enfants. Donc dans ma tête, ma mère est morte. Le reste est inimaginable.

Michel Germain

Le sergent Roussel reprend la parole. « Elles sont décédées les trois. »

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« Un commentateur perd d’un coup les trois femmes de sa vie », titre Le Soleil dans son numéro du 16 décembre 1998.

Georgette Germain voulait tourner à gauche à l’intersection qui marque l’entrée à Mont-Joli. Les roues étaient tournées pour amorcer le virage, mais le véhicule était immobilisé, le temps de laisser passer un semi-remorque qui arrivait en sens inverse.

Une autre voiture s’amenait toutefois et a percuté par-derrière la voiture de Mme Germain, projetant ainsi le véhicule devant le camion.

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C’est dans ce contexte que Michel Germain a eu l’aide de trois personnes pour lui « sauver la vie ».

D’abord, de son père, Fernand. Un « alcoolique de fin de semaine » qui est devenu sobre en 1984, après un avertissement de son médecin.

Michel Germain est enfant unique. Dans l’accident, Fernand Germain devenait donc veuf, perdait son unique belle-fille et son seul petit-enfant. C’est chez lui que Michel Germain s’est rendu à son retour de Québec, en début de nuit.

« Je pensais arriver chez mon père et le voir soûl. Ça faisait 15 ans qu’il était sobre. Je suis arrivé et il y avait du monde dans la maison, c’était hallucinant ! En rentrant, mon père avait une casserole et un linge à vaisselle dans les mains. C’était un homme de sa génération, disons. Mon premier réflexe a été de lui dire : “Ça va pas ben !” Mais il était complètement à jeun. »

Quelques jours plus tard, les funérailles ont lieu.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Michel Germain raconte des événements épouvantables avec une sérénité étonnante.

« On est arrivés au salon, il y avait ma mère, il y avait Jennely à côté, et il n’y avait plus de place sur ce mur-là, donc Martine était sur l’autre mur. C’est la fois où j’ai pensé le plus sérieusement à me suicider. Il y a encore des soirs où je me demande : pourquoi on fait tout ça ? Mais de dire que je suis passé proche de virer de bord, de le faire, c’est cette fois-là. J’ai vu un trou à côté de la tombe de Martine, je me suis dit : si je fais ça vite, on va s’en aller ensemble les quatre. Mais j’ai regardé mon père… Je n’ai pas de frère, pas de sœur, lui n’a plus de femme. Je ne pouvais pas lui faire ça. Il avait 70 ans, il n’était pas au bout de la vie. »

Fernand Germain a finalement vécu 13 autres années.

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Ensuite, Mme Castonguay.

Le 24 décembre, neuf jours après l’accident, Germain se réveille après avoir fait un cauchemar. Il se résout alors à composer le numéro de téléphone qu’on lui a donné au salon funéraire.

Au téléphone, il raconte en pleurant sa détresse. C’est le jour du réveillon de Noël.

« En octobre, on avait fait la pige pour l’échange de cadeaux. Martine devait préparer le cadeau d’Albert. Jennely était la plus jeune des petits-enfants, il y avait 40 cadeaux pour elle sous le sapin », rappelle-t-il.

La dame au bout du fil lui donne rendez-vous à 14 h, le jour même.

« On est le 24 décembre, Madame, vous ne devez pas vous préparer pour le réveillon ?

— Vous avez besoin d’aide. Je vous attends à 14 h. »

C’est Mme Castonguay, sa psychologue, qu’il ne connaissait alors ni d’Ève ni d’Adam.

Ce sera le début d’une démarche qui durera une bonne année au cours de laquelle « elle m’a détricoté, puis retricoté ». Trois fois par semaine au début, deux fois ensuite.

« Un jour, elle m’a dit : “Je pense que je peux vous laisser aller. J’ai réussi mon travail à 97 %.” »

Les 3 % manquants ? « Elle voulait me faire admettre que Jennely avait eu une vie complète pour un enfant de 9 ans. Chaque fois qu’elle en parlait, je disais : “Est-ce que Jennely a eu le temps de tomber en amour ? Est-ce qu’elle a eu le temps de faire ci, de faire ça ?” Et on changeait de sujet. »

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Germain tente donc de reprendre le travail, mais il doit aussi vivre son deuil, et toutes les phases que ça comporte. Or, la colère est une de ces phases.

Enfin, Maurice Tanguay.

Le fondateur de l’Océanic était aux premières loges quand Germain a appris qu’il perdait sa fille, sa femme et sa mère. M. Tanguay était dans la voiture qui a ramené Germain à Rimouski le soir de l’accident.

Germain se remet vite au travail. Le 27 décembre, l’Océanic se dirige vers Bathurst pour y affronter le Titan. L’autobus s’arrête à Mont-Joli pour y embarquer le descripteur.

Je ne me souviens pas d’être embarqué dans l’autobus. Mais je me souviens d’être revenu chez moi. J’ai ouvert la porte et le silence m’a frappé. J’arrivais des fois à 2, 3 heures du matin, après des matchs sur la route. C’était silencieux, parce que Martine et Jennely dormaient. Mais là, le silence était vide.

Michel Germain

Germain tente donc de reprendre le travail, mais il doit aussi vivre son deuil, et toutes les phases que ça comporte. Or, la colère est une de ces phases.

Le 18 février, l’Océanic accueille les Cataractes de Shawinigan et un joueur de 20 ans qui en est à sa dernière saison dans la LHJMQ. « L’Océanic ne l’appréciait pas beaucoup. Il jouait du bâton, mais ne voulait jamais se battre », rappelle Germain.

« Finalement, il avait joué un match super clean, pas de coup de bâton, rien de déplacé. Le match va en prolongation, Brad Richards marque et on gagne. Mais ça a fait comme une bouteille de champagne que tu brasses. J’ai décollé. »

Au micro, il s’emporte. « Cet enfant de chienne ne mettra plus jamais les pieds ici. »

Quelques jours plus tard, il est convoqué par Maurice Tanguay. « “Tout le monde sait, tout le monde comprend pourquoi t’as dit ça. Mais écoute-moi bien : je ne veux plus jamais entendre ça sur les ondes du réseau radiophonique de l’Océanic. M’as-tu bien compris ?”

« La seule personne qui pouvait me garder, c’était Maurice Tanguay. Même moi, je me serais congédié ! Mais il comprenait qu’il me restait juste ça dans la vie, l’Océanic. J’étais dans le tort sur toute la ligne. C’est là qu’il m’a sauvé la vie. »

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Aujourd’hui, il n’a plus uniquement l’Océanic. Il a aussi sa fondation. D’ailleurs, au moment de notre rencontre, il était en négociation avec l’Océanic, et était prêt à envisager la retraite s’il était incapable d’en arriver à une entente. Il s’est finalement réengagé pour trois ans, ce qui le mènera à 63 ans.

Et depuis quelques mois, il s’est lancé dans un autre projet : la Fondation Jennely Germain, dont le but est de combattre la faim chez les enfants de la vallée de la Matapédia. Il a eu droit à deux dons de 5000 $ chacun de Vincent Lecavalier et Brad Richards. Richards, un des préférés de Jennely, est d’ailleurs un des six joueurs de l’Océanic qui ont porté le cercueil de la petite.

« L’objectif, c’est de perpétuer le nom de Jennely, mais surtout son esprit. Elle est morte à 9 ans, mais dès qu’elle a commencé l’école, elle a développé un sens de l’observation et une empathie pas ordinaires pour une fille de cet âge-là. Elle revenait à la maison après l’école et elle disait : “Ce midi, un ami a ouvert sa boîte à lunch et il n’y avait pas grand-chose dedans, donc je lui ai donné ma pomme.” Elle partageait beaucoup. »

Michel Germain raconte des événements épouvantables avec une sérénité étonnante. L’homme a l’habitude, remarquez. Il donne des conférences – il préfère le mot « témoignages » – devant toutes sortes de groupes, des thanatologues à des étudiants en soins infirmiers.

Et puis, il y a ce moment qui lui revient en tête. Le 31 décembre 1998, il regardait le Bye bye seul avec son père. « À minuit, on s’est souhaité bonne année. Et on s’est dit qu’elle serait sûrement meilleure que celle qu’on venait de vivre ! »