(Vaughan) Il n’y a pas eu de point de rupture ni de moment précurseur ayant incité Akim Aliu à afficher, dans un intervalle de moins d’une minute, deux gazouillis qui allaient, en quelques heures, secouer la Ligue nationale de hockey.

Aliu déroulait la liste des événements qui s’étaient affichés sur son téléphone cellulaire lorsqu’il a aperçu un reportage qui relatait comment l’entraîneur-chef Mike Babcock, que les Maple Leafs de Toronto venaient tout juste de congédier, s’était comporté à l’endroit de Mitch Marner, son prometteur attaquant recrue.

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L’ancien entraîneur-chef des Maple Leafs, Mike Babcock

« C’est un peu arrivé comme sur un coup de tête », a expliqué Aliu lors d’une entrevue accordée dans un gymnase de la région de Toronto, où le hockeyeur de 30 ans s’entraîne pour rester en forme dans l’éventualité où une équipe lui donnerait une autre chance de jouer.

Les gazouillis ont inondé l’internet et, rapidement, les textos s’accumulaient dans le téléphone d’Aliu.

« J’étais là à me dire : “Wow ! c’est sérieux !” », a-t-il mentionné.

Ces gazouillis, envoyés le 25 novembre, ont eu l’effet de coups de tonnerre dans l’univers du hockey. Ils prétendaient que l’entraîneur-chef Bill Peters, le « protégé » de Mike Babcock, lui avait formulé des commentaires à connotation raciste lorsque les deux hommes se trouvaient dans les rangs mineurs, il y a une décennie, et que Peters avait essayé de s’assurer qu’il serait rétrogradé.

Bien sûr, le racisme a déjà fait les manchettes au hockey, mais Aliu s’en prenait à un entraîneur d’expérience. Et il s’agissait d’une accusation publique d’une ampleur extraordinaire pour possiblement le plus discret du sport professionnel en Amérique du Nord. L’idée de laver son linge sale en famille, derrière des portes closes, y est sacro-sainte.

Peu de temps après, les allégations se sont confirmées et ont mené à la démission de Peters au poste d’entraîneur-chef des Flames de Calgary. Au cours du dernier mois, d’autres affirmations du genre se sont ajoutées et la LNH a réagi avec célérité pour renforcer ses règles de comportement individuel en lien avec le racisme et l’intimidation.

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Akim Aliu

Soudainement, Aliu n’était plus un défenseur qui était tombé dans l’oubli depuis longtemps et qui avait évolué avec 21 équipes, dans six pays, au cours des dix dernières années. Il était devenu un agent de transformation, dans la foulée de deux incidents qui, encore aujourd’hui, planent sur la première moitié de la saison de la LNH.

Il y a eu le départ de Don Cherry de son poste au petit écran, et le congédiement de Babcock suivi, un peu plus tard, de la nouvelle selon laquelle il avait placé Marner dans une position inconfortable en dévoilant une liste qu’il avait demandé à son attaquant de rédiger et qui classait les joueurs des Maple Leafs selon leur éthique de travail.

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Ron MacLean (à gauche), assis à la droite de Don Cherry

Les allégations d’Aliu ont aussi mené à la suspension de Marc Crawford, entraîneur-adjoint avec les Blackhawks de Chicago, pour des gestes abusifs, physiques et verbaux, contre quelques-uns de ses joueurs lors de séjours passés à titre d’entraîneur-chef. Crawford reprendra sa place le 2 janvier après qu’une enquête eut permis de découvrir qu’il avait demandé de l’aide en 2010 et qu’il continue de suivre des thérapies.

Gary Bettman a utilisé le tollé qui se faisait entendre pour demander du changement dans un sport qui, pendant longtemps, a été composé presque exclusivement de joueurs de race blanche, mais qui est toujours désireux de se diversifier et de croître.

« Le monde change pour le mieux, a déclaré le commissaire de la LNH à la suite d’une récente réunion des gouverneurs, en Californie. Il s’agit d’une opportunité et d’un moment pour du changement positif, et cette évolution doit être accélérée au bénéfice de chaque personne associée au sport que nous aimons. »

Mais s’agit-il vraiment d’un retour du balancier dans un sport qui compte une trentaine de joueurs de race noire et qui a banni une poignée de spectateurs pour des injures racistes il y moins de deux ans ?

« On dirait que c’est différent, dit Anson Carter, un ancien joueur qui est devenu analyste à la télé. Ça le semble parce que ça retient l’attention de la LNH. »

« Est-ce que ça va changer du jour au lendemain ? Non, ajoute Carter, qui est Noir. Allons-nous totalement, complètement l’éliminer ? Non. Ça existe dans la société. Nous serions ignorants de penser qu’il ne pourrait pas y avoir d’autres cas qui pourraient surgir. »

Aliu a attendu jusqu’à maintenant pour trouver le courage pour parler de racisme. Né au Nigeria, élevé en Ukraine et résident canadien depuis qu’il est âgé de 7 ans, il avait appris à demeurer tranquille face aux insultes, aux allusions et aux rétrogradations, par peur d’être perçu comme un dissident — comme il croit l’avoir été en 2005.

Le parcours d’Aliu

C’était pendant la saison recrue d’Aliu avec les Spitfires de Windsor, de la Ligue de hockey junior de l’Ontario. Il avait alors relaté un incident survenu lors d’une initiation alors que lui et trois joueurs qui en étaient à leur première saison ont été complètement dévêtus et enfermés dans la toilette d’un autobus après un match préparatoire.

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Akim Aliu, en 2013

Les plaintes d’Aliu ont mené à une amende de 35 000 $ à l’équipe, à la suspension de l’entraîneur-chef et directeur général Moe Mantha, et au départ de Steve Downie, un coéquipier avec lequel il s’était battu qui a éventuellement été échangé, tout comme Aliu.

Ce dernier a eu l’impression qu’il a été le plus sévèrement puni pour avoir parlé. Il n’a jamais eu la chance de jouer avec Équipe Canada et s’il avait des espoirs d’être réclamé en première ronde, il a finalement été sélectionné au deuxième tour du repêchage de 2007, par les Blackhawks de Chicago.

« Je me suis défendu et c’est moi qui ai été le méchant », résume Aliu.

Si ça peut sembler être le discours d’un homme amer, note Aliu, il a inscrit 167 points en 205 matchs en carrière dans la Ligue junior de l’Ontario au poste de défenseur. Et il a continué de produire au niveau des ligues mineures, sauf qu’il a constamment été rétrogradé.

Aliu admet qu’il s’est rebellé contre Peters, mais il croit que l’incident entourant l’épithète raciste a mené à l’une de ces rétrogradations et a contribué à tacher davantage sa réputation.

Aliu pensait que la chance allait enfin tourner en sa faveur lorsque les Blackhawks l’ont échangé aux Thrashers d’Atlanta en 2010-2011. Rick Dudley, le directeur général à l’époque, lui avait promis une opportunité dans la LNH. Les plans ont changé quand l’équipe a été vendue, déménagée à Winnipeg et que Kevin Cheveldayoff a été nommé au poste de directeur général.

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Le directeur général des Jets, Kevin Cheveldayoff

Aliu fait remarquer que Cheveldayoff avait été un directeur général adjoint chez les Blackhawks et qu’il supervisait les opérations du club-école de Rockford lorsqu’est arrivé l’incident avec Peters. Aliu dit avoir voulu mettre les choses au clair avec Cheveldayoff au moment où les Jets allaient tenir leur premier camp d’entraînement.

« Nous allons dans son bureau, nous parlons, et je lui dis : “Chevy, ce qui est arrivé à Chicago est arrivé. Qu’est-ce que je peux faire pour te prouver que je peux aider votre organisation” », de raconter Aliu. « Et il m’a répondu : “Rien. On n’a absolument aucun plan pour toi”. »

Aliu a éventuellement été cédé au Colorado, dans la Ligue de la côte Est, où un gérant d’équipement des ligues mineures s’est présenté à un party de l’Halloween, en 2011, avec le visage maquillé de noir. Aliu a demandé un échange bien que depuis, il a accepté les excuses de l’homme en question et demandé que celui-ci ne soit pas limogé.

Aliu n’a pas perdu espoir de jouer au hockey de nouveau, même s’il n’a pas chaussé les patins depuis une récolte de quatre buts et sept aides en 14 matchs avec Orlando, dans la Ligue de la côte Est l’an dernier.

Dans la LNH, sa carrière se résume à deux buts et une aide en sept parties avec les Flames, sa dernière pendant la saison 2012-2013.