L'entraînement des Islanders de New York en est à ses dernières minutes. La séance a été éreintante, presque une heure et demie, sur deux patinoires. Les joueurs s'exercent maintenant à cinq contre cinq, avec intensité.

Subitement, Barry Trotz arrête tout. Il se plante les deux pieds au milieu du cercle des mises en jeu. «Mais qu'est-ce qui s'est passé?» crie-t-il. Puis, il pointe chacun de ses joueurs en lui demandant où il était et où il devrait plutôt être. Chaque joueur comprend le message, l'entraînement reprend son cours normal.

Voici Barry Trotz, l'une des grandes raisons pour lesquelles les Islanders sont là où ils sont cette saison. Et pourquoi ils sont là où très peu de gens les voyaient, en pleine lutte pour le titre de la robuste division Métropolitaine. On a beaucoup parlé du départ de John Tavares, avec raison. Mais on oublie souvent que les Islanders ont ensuite mis la main sur un des «joueurs autonomes» les plus attrayants en Trotz.

On fait le tour du vestiaire, tout le monde a à peu près la même lecture de l'individu. Un entraîneur franc, qui refuse la demi-mesure, obsédé par les détails, mais qui a réussi en très peu de temps à instaurer un esprit de corps. Mathew Barzal n'hésite pas à utiliser le mot «famille» pour décrire l'environnement créé par Trotz.

«Il est vraiment direct, ajoute Anthony Beauvillier. C'est noir ou blanc, sans zone grise. Son plan est vraiment clair. Ça nous a aidés en tant qu'équipe. Il nous a regroupés. Tout le monde a pris les bouchées doubles. Il a beaucoup d'expérience, de leadership. Il a compris l'équipe qu'on avait. Tout le monde a embarqué dans le bateau. C'est le même message pour tout le monde. Il n'y a pas de passe-droit.» 

Au sujet de la réprimande du jour, Beauvillier ne s'en formalise pas.

«S'il n'aime pas quelque chose, il ne passe pas par quatre chemins. Il est perfectionniste, et c'est la clé de notre succès.»

Shea Weber est du même avis, et il sait de quoi il parle. Trotz a été son entraîneur durant neuf saisons avec les Predators de Nashville, puis sur la scène internationale avec Équipe Canada.

«Il est très fort sur les détails et est très exigeant envers ses joueurs. Mais en même temps, il est juste et traite chacun de la même façon.»

Des circonstances difficiles

Trotz s'est joint aux Islanders dans des circonstances qui étaient pourtant loin d'être idéales. Il venait de claquer la porte des Capitals de Washington, 11 jours après avoir offert une première Coupe Stanley à l'équipe, pour ce qui semblait être une mésentente contractuelle. 

Chez les Islanders, une deuxième exclusion des séries de suite et l'incertitude entourant l'avenir de John Tavares ont forcé un grand ménage. Exit l'entraîneur Doug Weight, exit le directeur général Garth Snow. Le bon vieux Lou Lamoriello a pris les choses en main.

Si Lamoriello n'a pu sauver les négociations avec Tavares, il a frappé un coup de circuit avec Trotz.

L'entraîneur raconte comment il a abordé ce nouveau défi de carrière, même s'il n'est arrivé que quelques jours avant le début du camp.

«Je voulais amener un changement de culture. Ce n'est pas une critique du régime précédent, mais on savait qu'il y avait eu des changements à l'été. On devait ramener la foi, construire des fondations, amener plus de structure, responsabiliser tout le monde. Les joueurs devaient comprendre qu'ils étaient liés entre eux, et pour ça, tout le monde devait adhérer au plan. Ça commence avec les leaders, puis avec le noyau. Ils ont dit: "Vous savez quoi? On peut être une bonne équipe." Ils y ont cru, c'était leur mission de montrer que les Islanders n'étaient pas l'équipe d'un seul joueur.»

Comme de fait, Mathew Barzal a continué à faire opérer sa magie avec 55 points. Josh Bailey, avec 50 points, et Anders Lee, avec 44 points, ont survécu au départ de Tavares. Brock Nelson s'est levé. Casey Cizikas s'est retrouvé parmi les meilleurs de la LNH à +26.

Plus que tout, les Islanders sont devenues la meilleure équipe défensive de la LNH, un exploit pour celle qui avait terminé... dernière la saison d'avant! Un virage à 180 degrés, avec en son centre un entraîneur qui en a vu d'autres et qui a su exploiter le talent qu'il avait sous la main. Même si sa brigade défensive - les Nick Leddy, Scott Mayfield, Adam Pelech, Ryan Pulock, etc. - n'avait pas de quoi faire rêver. Même si ses gardiens, Robin Lehner et Thomas Greiss, n'étaient jamais devenus des incontournables dans la LNH.

«Ça commence avec son authenticité et à quel point on est importants à ses yeux, a dit Anders Lee. Dès le début au camp, il nous a fait travailler fort, mais il nous a respectés. Il s'attendait à beaucoup de nous. Il a placé les standards à un endroit où on ne s'était jamais rendus avant. C'est ancré en nous maintenant. On avait plusieurs choses à prouver. On ne s'attendait pas à être où nous sommes, mais nous ne sommes pas surpris non plus.»

Ce soir, Trotz aura pour vis-à-vis Claude Julien, un rival qui est aussi un ami en dehors des glaces. Les deux hommes de hockey ont notamment gagné l'or à titre d'entraîneurs adjoints d'Équipe Canada à la Coupe du monde de 2016. Ils ont aussi en commun d'avoir permis à leur équipe d'excéder les attentes. «Cette année, il a pris une équipe comme la nôtre, dont les gens attendaient peu, puis il a mis en place une structure qui aide tout le groupe, a dit Julien. Ils en profitent.»

Claude Julien admet même qu'il partage des informations avec Trotz, même en cours de saison. «Sauf que là, je n'ai pas envie de partager la victoire avec lui.» Ça promet.

- Avec la collaboration de Guillaume Lefrançois