À défaut d’une ligue à la hauteur de leurs attentes, les meilleures joueuses canadiennes et américaines ont uni leurs forces pour donner au hockey féminin une véritable structure professionnelle. Plusieurs rêvent d’un partenariat durable avec la LNH. La route pour y arriver sera peut-être longue, mais l’espoir est le mot d’ordre.

« On va jouer à l’automne »

« Ce n’est pas un boycott ! »

L’entrevue pouvait difficilement commencer plus maladroitement.

Les cafés n’étaient pas encore commandés que le représentant de La Presse demandait à son interlocutrice, la joueuse Karell Émard, de lui expliquer les raisons derrière la décision de 200 joueuses de faire l’impasse sur la saison 2019-2020.

« Ce n’est pas un boycott, car on n’a pas d’employeur », nous a-t-elle gentiment corrigé.

Fort bien.

Le fait est néanmoins qu’au début du mois de mai dernier, soit un mois après que la Ligue canadienne de hockey féminin (LCHF) eut annoncé la fin de ses activités vu son déficit financier intenable, un groupe de joueuses comptant notamment sur les hockeyeuses les plus en vue de la planète ont affirmé qu’elles ne seraient pas sur la glace d’une ligue professionnelle existante l’automne prochain. Ce qui inclut la National Women Hockey League (NWHL), circuit américain créé en 2015.

Menées par les Marie-Philip Poulin, Kendall Coyne Schofield, Hilary Knight, Shannon Szabados et Amanda Kessel, ce sont quelque 200 joueuses qui ont décidé de prendre leur destinée en main et qui ont créé une nouvelle entité, l’Association des joueuses professionnelles de hockey féminin, ou PWHPA en anglais.

Soutenue par Ballard Spahr, firme d’avocats qui a accompagné l’équipe féminine américaine dans son combat contre USA Hockey pour obtenir une rémunération plus équitable, la PWHPA a déjà reçu de multiples appuis, notamment de l’ex-joueuse de tennis Billie Jean King, figure emblématique de la lutte pour l’égalité des sexes dans le sport.

Le but avoué de l’Association est évidemment d’accoucher d’une nouvelle ligue. Elle compte prendre le temps de « bien faire les choses », de trouver un modèle viable.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Karell Émard, le printemps dernier, lors d’un match des séries éliminatoires de la LCHF

« Mais on va jouer à l’automne, d’une manière ou d’une autre », assure Karell Émard, l’une des porte-parole de la PWHPA.

Faute d’une ligue, l’organisation compte miser sur des événements ponctuels dans des villes où le hockey féminin est en vue – vraisemblablement à Montréal, Toronto et Calgary, mais peut-être aussi dans des villes du Nord-Est américain. Des mini-tournois seront ainsi présentés les week-ends. Des pourparlers ont lieu pour la diffusion des matchs à la télé ou sur l’internet.

« On veut aller chercher des commanditaires pour la prochaine année, mais aussi pour une association à long terme avec le hockey féminin », explique Karell Émard.

Une ligue critiquée

Le terme « boycott » n’est peut-être pas le bienvenu dans la conversation, mais il est en partie à propos.

Car parmi les fondatrices de la PWHPA, il y a bien sûr les orphelines de la LCHF. Mais il y a également plusieurs joueuses de la NWHL, comme la gardienne Shannon Szabados, qui ont décidé de ne pas se rapporter à leur équipe.

Que des filles décident de quitter la NWHL pour rejoindre la nouvelle association, ça en dit beaucoup sur la qualité de cette ligue.

Marie-Philip Poulin, joueuse étoile des Canadiennes de Montréal

La NWHL était formée de cinq équipes au cours de la saison 2018-2019 et amorcera à l’automne sa cinquième saison.

Contrairement à la LCHF, ses formations sont gérées de manière indépendante, quoique la plupart profitaient d’un parrainage de formations de la LNH.

Or, dans la foulée de la formation de la PWHPA, les Sabres de Buffalo et les Devils du New Jersey ont rompu leur lien respectif avec les Beauts et les Riveters, auxquelles ils fournissaient des ressources financières ou l’accès à leurs installations.

Bien qu’elle ait frappé un grand coup à sa saison inaugurale en annonçant qu’elle instaurait un salaire minimum annuel de 10 000 $ pour ses joueuses, la NWHL a annoncé dès l’année suivante, et ce, en pleine saison, qu’elle sabrait les salaires de moitié.

Certaines équipes traînent également la vilaine réputation de fournir des ressources faméliques à leurs joueuses, notamment pour s’entraîner.

Dans le brouhaha de l’effondrement de la LCHF, une réunion a été organisée avec Dani Rylan, commissaire et fondatrice de la NWHL.

« Ça a duré à peine 60 minutes, elle n’a pas répondu à nos questions, on n’a pas pu voir les finances… Elle a rendu notre décision facile », reprend Karell Émard.

À moins d’un revirement de situation, la NWHL poursuivra néanmoins ses activités l’automne prochain.

Pour les 200 joueuses de la PWHPA, un pas de recul devenait la seule option envisageable pour obtenir ce qu’elles veulent : une reconnaissance comme athlètes professionnelles à part entière.

« On ne fait pas ça pour nous, mais pour la nouvelle génération, pour celles qui venaient voir les matchs des Canadiennes, qui avaient des étoiles dans les yeux, celles pour qui on était des modèles », estime Marie-Philip Poulin.

« Il faut leur montrer que, quand on croit en quelque chose, qu’on a un rêve, tout est possible. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Les Canadiennes de Montréal s’apprêtent à sauter sur la glace du Centre Bell pour y affronter l’Inferno de Calgary, en décembre 2016.

Petite histoire d’un circuit qui voyait grand

Lorsque Lisa-Marie Breton-Lebreux a cofondé la LCHF en 2007 avec la Torontoise Sami Jo Small, la Ligue n’avait rien, mais absolument rien d’un circuit professionnel.

Avant les rencontres des Stars de Montréal, dont elle était la gérante et la capitaine, elle se rendait au Canadian Tire de Notre-Dame-de-Grâce pour acheter des rondelles en quantité suffisante pour l’échauffement.

Elle donnait un peu d’argent à la dame qui vendait des billets à l’entrée de l’aréna, apportait son ordinateur pour fournir de la musique au DJ. Préalablement, elle avait loué la patinoire et embauché les arbitres.

« Je m’assurais qu’il y ait un match », résume celle qui a raccroché ses patins en 2015 pour devenir entraîneuse adjointe des Canadiennes.

En entrevue avec La Presse dans son petit bureau du complexe sportif de l’Université Concordia, où elle travaille comme coordonnatrice du conditionnement physique pour les différentes équipes des Stingers, l’ex-attaquante retrace l’histoire d’un circuit dont elle a suivi la spectaculaire ascension.

Elle n’a rien raté des premiers matchs disputés avec moins d’une douzaine de patineuses par équipe et une poignée de spectateurs dans les gradins. À cette époque où les joueuses devaient piger dans leurs économies pour que chaque équipe puisse réunir les 15 000 $ de frais annuels à verser à la Ligue.

Elle a elle-même loué des camionnettes pour que l’équipe puisse aller disputer des rencontres à Toronto. « Le coach en conduisait une et j’ai embauché une amie pour conduire l’autre. Chaque fille lui a donné 10 $ », raconte-t-elle.

Notoriété

En 2010, la LNH a contribué à réviser la structure du circuit. Des équipes ont été retirées dans certains marchés, d’autres ont été ajoutées.

À Montréal, Megan Hewings a fait son arrivée comme gérante du club – elle en est ensuite devenue la directrice générale.

Lisa-Marie Breton-Lebreux a vu son bébé grandir. Les Stars ont aligné les Coupes Clarkson en 2009, 2011 et 2012, l’équipe devenait de plus en plus connue à Montréal. Un partenariat avec le Canadien, essentiellement marketing, a encore augmenté la notoriété du club, rebaptisé les Canadiennes en 2015.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Lisa-Marie Breton-Lebreux, ex-joueuse et cofondatrice de la LCHF

La présence d’athlètes olympiques a aussi contribué à faire connaître l’équipe du public. Au fil des années, les Marie-Philip Poulin, Hilary Knight et Mélodie Daoust ont peu à peu repris le flambeau des Caroline Ouellette, Julie Chu, Meghan Agosta ou Charline Labonté.

Il n’était plus rare de voir 1000 personnes assister aux rencontres. Et plus de 6000 spectateurs avaient assisté à la victoire des Canadiennes sur l’Inferno de Calgary en décembre 2016 au Centre Bell.

Toutes les équipes de la Ligue ne comptaient pas sur cette fidélité, mais de toute évidence, la formation montréalaise avait créé un mouvement.

Perspectives

Aux yeux de l’homme d’affaires Graeme Roustan, impliqué dans le hockey féminin depuis des années, notamment auprès de la LCHF depuis 2008, la croissance du circuit a été spectaculaire.

« Au cours de ses 11 premières saisons, la Ligue est passée d’un budget total de moins de 400 000 $ à plus de 4,4 millions : d’un point de vue d’affaires, c’est exceptionnel, dit-il. N’importe quelle entreprise voudrait connaître cette croissance et multiplier ses revenus par onze. »

Ces chiffres masquent toutefois ce que la présidente du C.A. de la Ligue, Laurel Walzak, résume ainsi : « Un modèle qui présente des athlètes amateurs comme des professionnelles. »

Un équipement fourni en partie seulement. Des entraînements tenus en soirée et des matchs présentés les week-ends parce que la grande majorité des joueuses ont des emplois de jour. L’obligation de rater le boulot pour les matchs en Chine. Un salaire annuel famélique de quelques milliers de dollars – « pas même l’équivalent d’un mois de loyer » dans certains marchés, rappelle Laurel Walzak.

Le tout sans assurances. Ce qui n’enlève rien au fait que les joueuses offraient, reconnaît-elle, le calibre de jeu « le plus élevé du monde ».

Demander un salaire décent, « ce n’est pas un caprice », souligne Lisa-Marie Breton-Lebreux. « J’ai joué au hockey toute ma vie, j’ai mal au corps. Quand j’ai pris ma retraite, j’avais 35 ans et je n’en pouvais plus. »

Si les filles pouvaient ne faire que ça de leur vie, s’entraîner, faire de la musculation, jouer pendant la semaine comme de vraies pros, le niveau de jeu monterait encore. Imaginez seulement les possibilités.

Lisa-Marie Breton-Lebreux

« On ne demande pas des millions, tranche la joueuse Karell Émard. Mais il faut que ça s’arrête, les ligues qui se disent professionnelles mais qui ne le sont pas. »

Sur les traces des hommes

Inévitablement, la comparaison avec le hockey masculin revient sur le tapis : pendant des décennies, les joueurs devaient travailler l’été pour joindre les deux bouts.

Pour changer les choses, « des gens ont investi », rappelle Lisa-Marie Breton-Lebreux.

Graeme Roustan donne lui aussi l’exemple de l’évolution des salaires chez les hommes, mais il insiste sur un point : le processus a été long. Et pourrait l’être encore davantage chez les femmes.

« C’est une discussion très saine à avoir, mais les chiffres sont les chiffres : à l’heure actuelle, le hockey féminin attire peu de spectateurs et de commanditaires, alors il faudra du temps pour que les joueuses puissent en vivre », estime-t-il.

« La masse salariale des équipes était de 100 000 $ au cours de la dernière saison. Elle aurait pu passer à 150 000 $, puis 200 000 $, peut-être serait-elle rendue à 500 000 $ dans quelques années. Mais il faut y aller une étape à la fois. C’est comme ça qu’on fait des affaires. Avec des revenus [comme ceux de la LCHF], aucune ligue ne peut passer de 100 000 $ à 1 million d’un coup. Je ne connais aucun investisseur qui va se lever pour ça. »

Modèle

Peu importe le constat qu’on dresse du hockey féminin, une chose dont Lisa-Marie Breton-Lebreux ne démord pas, c’est l’importance de lui accorder une vitrine forte, constante.

Bien qu’elle encourage les joueuses qui ont fait l’impasse sur la prochaine saison, elle réitère à quel point le fait d’avoir les meilleures joueuses du monde en action est primordial pour les jeunes joueuses.

« On voyait des petites filles de 5 ans avec des pancartes disant qu’elles voulaient jouer pour les Canadiennes : on était rendues là, dit-elle. Il ne faut pas que ça arrête. »

En outre, un circuit comme la LCHF était la seule avenue pour les joueuses élites désirant poursuivre leur carrière de hockeyeuse après avoir terminé un parcours universitaire au Canada ou aux États-Unis.

« Une petite fille peut espérer se rendre aux Olympiques, mais il y a juste 23 filles qui y arrivent dans tout le pays. Mais avec une ligue professionnelle, ce sont 100, 150 filles qui peuvent atteindre un niveau supérieur. C’est ça, le rêve qu’on a toujours eu. »

PHOTO ARCHIVES USA TODAY SPORTS

À l’aube de la dernière finale de la Coupe Stanley, le commissaire Gary Bettman a réitéré sa position et celle de la LNH en affirmant qu’il préférait « laisser la poussière retomber » avant d’appuyer un groupe ou une ligue de hockey féminin.

Quel rôle doit jouer la LNH ?

De nombreux observateurs ont été choqués d’apprendre que la LNH ne donnait que 100 000 $ chaque année aux ligues de hockey féminin. Une somme que le circuit séparait en parts égales entre la LCHF et la NWHL.

Lorsque la LCHF a cessé ses activités, des voix se sont élevées pour réclamer que la LNH prenne les choses en main.

Il y a quelques semaines encore, à l’aube de la finale de la Coupe Stanley, le commissaire Gary Bettman a réitéré sa position et celle de la LNH en affirmant ne pas s’être penché sérieusement sur la question, préférant « laisser la poussière retomber » avant d’appuyer un groupe ou une ligue.

La LNH n’a jamais caché qu’elle préférerait hautement soutenir une organisation unique et non deux circuits parallèles. Au sein du hockey féminin, il se trouve bien peu d’intervenantes pour critiquer cette posture.

Il y en a qui disent que leur contribution financière, c’était des peanuts, mais cet argent était donné sans rien attendre en retour, il ne faut pas l’oublier.

Karell Émard

De fait, l’idée d’un modèle calqué sur celui de la WNBA, circuit américain de basketball féminin professionnel parent de la NBA, fait pratiquement l’unanimité : des partenariats solides entre les équipes masculines et féminines, avec à la clé un partage du personnel, une stratégie de marketing unifiée et un accès aux mêmes installations. Cinq formations disputent d’ailleurs leurs matchs dans le même aréna que leur contrepartie masculine.

Le modèle n’est pas parfait pour autant : le magazine Forbes a relevé l’été dernier l’immense écart qui subsiste entre hommes et femmes sur le plan des salaires.

À ce moment, les salaires minimum et médian des joueuses de la WNBA se situaient autour de 50 000 $ et 71 000 $, respectivement. Alors que dans la NBA, le salaire minimum des joueurs était établi à 580 000 $, et celui des arbitres à… 150 000 $.

« Discussions »

Autant chez les joueuses de hockey que chez les administratrices, on signale avoir eu « des discussions » avec la LNH, mais aucun engagement concret n’en est encore ressorti.

« Ce dont on a besoin, ce sont des infrastructures », constate Jayna Hefford, commissaire sortante de la LCHF, qui estime par ailleurs que les 10 à 12 équipes que comptaient ensemble la LCHF et la NWHL constituaient un nombre trop élevé pour conserver un calibre élite constant.

La LNH et nous partageons largement la même vision pour le hockey féminin. Ils veulent voir le sport se développer. Je crois que cette réunion va se produire.

Jayna Hefford, commissaire sortante de la LCHF

Sa prédécesseure Brenda Andress, qui a été à la tête de la LCHF au cours de ses 11 premières saisons d’existence, est plus catégorique.

« De mon point de vue, la LNH a toujours été la clé pour passer à la prochaine étape, nous a-t-elle dit. Peu importe le modèle qui sera préconisé dans le futur, la LNH doit être plus impliquée. »

Les joueuses ont toutefois une vision plus nuancée.

« On ne s’attend pas à ce qu’ils viennent nous sauver, signale Karell Émard. C’est un fait qu’ils ont toutes les structures qu’on recherche, mais s’ils entrent dans le portrait, il va y avoir des négociations. On ne dira pas oui à tout. »

Contrairement à ce que La Presse affirmait dans une version précédente de cet article, l'acronyme en anglais pour l’Association des joueuses professionnelles de hockey féminin est PWHPA, non pas NWHPA.