La décision d'annoncer sa retraite, devenue officielle mercredi matin, Saku Koivu la mûrissait depuis un an.

Il y a une certaine ironie dans le fait que l'ancien capitaine du Canadien, si malchanceux sur le plan de la santé durant la première moitié de sa carrière, approchait la quarantaine avec un corps en très bonne forme et des articulations beaucoup moins souffrantes que ce que vivent plusieurs athlètes de son âge.

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Mais c'est sur le plan psychologique que Koivu a plutôt dû faire le deuil de sa carrière. Avec les Ducks d'Anaheim, tous les projecteurs étaient braqués sur son coéquipier Teemu Selanne, qui parlait ouvertement de retraite puisqu'il l'avait annoncée un an d'avance. Dans l'ombre, Koivu se laissait lentement gagner à l'idée, surtout qu'il lui parut beaucoup plus difficile de se préparer pour la saison à venir, après l'été 2013.

«J'ai vraiment eu besoin de me donner un élan pour me préparer, a confié Koivu à La Presse. Le doute a germé, mais je me suis dit que les choses allaient peut-être rentrer dans l'ordre à mesure que je retrouverais la routine de la saison. Mais non. Après avoir laissé mes enfants à un entraînement de soccer ou de hockey, je me demandais pourquoi? Pour quel motif est-ce que je continue de faire ce que je fais?

«Ces questions-là, je me les posais beaucoup trop souvent. J'ai essayé de les chasser et de me concentrer sur le hockey en attendant de pouvoir prendre un peu de distance. Et c'est une fois la saison terminée que j'ai pu m'assoir en famille et en parler.

«Pas une journée cet été je ne me suis ennuyé du hockey ou de l'entraînement. J'ai juste attendu d'en être certain à 100% avant d'annoncer ma décision.»

Et un contrat d'un jour?

L'agent de Koivu a bien reçu quelques appels d'équipes intéressées à ses services, mais le centre finlandais lui avait dit de répondre qu'il n'était pas prêt à écouter quelque offre que ce soit.

Le Canadien n'a pas donné signe de vie, pas même pour lui offrir un contrat d'une journée afin qu'il prenne sa retraite dans l'uniforme tricolore.

«Je n'avais jamais pensé à cette option, soutient Koivu candidement. Je ne savais même pas qu'on pouvait faire ça.»

Ç'aurait pourtant été une manière délicate de corriger la fausse note sur laquelle l'équipe et lui semblaient s'être quittés en 2009. Mais peut-être n'est-ce là qu'une question de perception populaire. Koivu sait qu'un vent d'amertume flottait autour de cette séparation, mais il assure que ce n'est pas le sentiment qui l'habitait.

«Quand j'ai su que l'équipe avait choisi une nouvelle direction, ç'a été difficile à entendre, ça a fait mal. Mais bien vite, j'ai compris que c'était ce qu'il y avait de mieux pour les deux parties. Que le temps était venu pour un nouveau chapitre.

«C'est un peu la même chose avec ma retraite aujourd'hui (mercredi). Il y a un sentiment de vide en ce moment, mais je sais que tant de choses m'attendent...»

Un passage en trois temps

Koivu aura disputé 18 saisons dans la LNH, dont les 13 premières dans l'uniforme du Tricolore. Il aura été capitaine de l'équipe durant 10 ans, un règne qui n'a d'égal que celui de Jean Béliveau.

Et lorsqu'il fait le bilan de ces années à Montréal, Koivu identifie trois époques distinctes.

«Il y a d'abord eu mes premières années où nous avions une équipe redoutable. Je crois qu'en 1997, nous étions à un ou deux joueurs près de nous battre pour la Coupe Stanley.»

La campagne 1996-1997 était sa deuxième dans la LNH et avant qu'une blessure à un genou ne le tienne à l'écart pendant deux mois, il trônait au sommet des marqueurs du circuit après les 30 premiers matchs.

«J'avais eu une bonne saison de recrue mais à ma deuxième année, les attentes à mon endroit n'étaient pas nécessairement élevées. Or, tout a fonctionné tel que souhaité. Les deux années suivantes, par contre, certains de nos joueurs plus établis ont été échangés ou ont quitté l'équipe parce qu'ils devenaient autonomes. Dans la LNH, pour que chacun obtienne du succès, il faut que les bons morceaux soient en place.»

C'est alors que l'équipe est entrée dans une deuxième phase, selon Koivu.

«L'équipe a été vendue, et nous sommes devenus une équipe qui, de façon réaliste, ne pouvait plus garantir sa présence en séries éliminatoires, encore moins espérer une Coupe Stanley. Ces années-là ont été difficiles. Je voulais gagner autant que n'importe qui, mais nous n'avions tout simplement pas l'équipe.»

Le départ des Vincent Damphousse et Mark Recchi, entre autres, a sonné le glas des ambitions de Koivu de fréquenter les meilleurs marqueurs de la LNH.

D'autant plus que les blessures à répétition ne lui donnaient aucun répit. Au cours de ses sept premières campagnes dans la LNH, Koivu aura joué 50 matchs en moyenne par saison.

«On ne peut pas être autant d'années à composer avec les blessures sans que ça nous ralentisse quelque peu. J'ai été malchanceux au début de ma carrière, avant même mon cancer à l'âge de 27 ans. Je suis donc particulièrement heureux d'avoir pu jouer plus de 1100 matchs. Il s'est passé quelque chose, visiblement, pour que je sois davantage épargné durant la seconde moitié de ma carrière!»

Au-delà du hockey

Même si le Canadien en arrachait sur la glace, c'est durant le creux de vague de l'organisation que Koivu a vécu ses deux moments les plus marquants à Montréal.

En septembre 1999, d'abord, il est devenu le premier Européen à être nommé capitaine du Canadien.

«C'est l'un des moments dont je retire le plus de fierté au cours de ma carrière et qui constitue l'un de mes plus grands accomplissements», indique-t-il.

Puis, il y a eu ce fameux cancer qui a fait basculer sa vie en 2001. Si Koivu se retire aujourd'hui sans jamais avoir gagné la Coupe Stanley, le fait d'avoir vaincu le cancer demeure une plus grande victoire encore.

En remerciant les docteurs David Mulder et Blair Whittemore ainsi que leurs épouses, Koivu a rappelé dans un communiqué que le personnel de l'Hôpital général de Montréal lui avait sauvé la vie.

«Tout cet épisode-là dépasse les cadres du hockey et m'a fait nouer un lien particulier avec Montréal. Il y a eu la bataille contre le cancer, le retour ce fameux soir, puis notre victoire contre Boston en première ronde des séries... Je sentais qu'un momentum nous soulevait à ce moment-là.»

Ce «fameux soir», c'est le 9 avril 2002. Un moment grisant qui, en termes d'émotion pure, est peut-être ce que le Centre Bell a vécu de plus profond depuis son inauguration.

«L'ovation que Saku a reçue ce soir-là, je n'avais rien vu de tel auparavant, a raconté Andrei Markov. J'ai vu tout le respect que la ligue en entier lui portait par la façon dont il avait combattu la maladie. J'étais sur la glace, et ç'a été un moment spécial dont je vais me souvenir pour le reste de ma vie.»

Les rêves de coupe

Le Tricolore a quelque peu retrouvé ses repères au cours des années 2000, ce qui marque le dernier segment des années Koivu à Montréal.

«Nous avions de nouveau une chance légitime d'accomplir quelque chose. C'est ce qu'on croyait, en tout cas, au début de chaque saison.»

Mais après toutes ces années à travailler, à essuyer les critiques mais en récoltant quand même le 10e total de points dans l'uniforme du CH, un constat implacable s'impose: Koivu n'a pas été en mesure de gagner.

«Quand on joue chez les professionnels, on joue pour gagner et lorsqu'on ne gagne pas, on sent qu'on est passé à côté de quelque chose, convient-il. J'ai été un joueur-clé avec un rôle déterminant et un poste de capitaine pendant plusieurs années à Montréal, et je suis en partie responsable de ne pas avoir mené mon équipe à plus de succès en séries éliminatoires.

«Ç'aurait été mon rêve le plus fou de pouvoir soulever la Coupe. Ce n'est pas un regret, mais je me dis: "Et si ça s'était produit?"»

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Un grand succès international

Le règne de capitaine de Saku Koivu à Montréal a correspondu à la plus longue séquence sans Coupe Stanley de l'histoire de l'équipe. Séquence toujours active, il va sans dire.

Reprocher à un joueur de ne pas avoir gagné la Coupe ou de ne pas «avoir fait gagner» la Coupe à son équipe est drôlement ingrat.

«On ne peut pas comparer des pommes et des oranges, fait valoir son ancien coéquipier Francis Bouillon. Avec 30 équipes, c'est beaucoup plus difficile de gagner la Coupe Stanley. Saku a fait partie de bonnes équipes ici, mais de moins bonnes aussi. C'est un rêve pour tout le monde de gagner la Coupe Stanley, mais c'est plus dur que jamais.»

Koivu se console au moins à l'idée que sur la scène internationale, son succès ne s'est jamais démenti. Plusieurs fois capitaine de l'équipe de Finlande, l'homme de 39 ans aura récolté 4 médailles olympiques et 5 autres dans le cadre des Championnats du monde ou de la Coupe du monde.

Teemu Selanne et lui ont été les dignes héritiers de Jari Kurri dans le paysage du hockey en Finlande. Et à leur suite, une nouvelle génération s'est imposée.

«La représentation des Finlandais dans la LNH est beaucoup plus grande aujourd'hui qu'elle ne l'était quand j'ai commencé, observe Koivu. J'espère que nous avons eu un effet positif sur les jeunes avec le succès qu'on a eu sur la scène internationale. Au milieu des années 90, l'idée d'atteindre la LNH semblait bien loin pour nombre de Finlandais. Mais nos succès ont galvanisé notre confiance et fait réaliser à tout le monde qu'on peut être dominant et qu'on peut remporter n'importe quel tournoi.»

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Photo Christinne Muschi, Reuters

Plusieurs fois capitaine de l'équipe de Finlande, Saku Koivu a récolté 4 médailles olympiques et 5 autres dans le cadre des Championnats du monde ou de la Coupe du monde.

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