Rencontre avec le seul Québécois à avoir atteint la NFL à la titre d’ailier rapproché, une position qui s’est drastiquement transformée au cours des dernières années, au point de justifier le fait que l’on célèbre désormais – aujourd’hui même – la journée nationale des tight ends aux États-Unis. Qui l’eut crû ?

Peu de positions ont évolué aussi rapidement que celle d’ailier rapproché dans la NFL. Non seulement sur le terrain, mais également sur le plan de la notoriété dont bénéficient les athlètes évoluant à ce poste. Dans une certaine mesure, ils sont peut-être en train de devenir les joueurs les plus utiles.

Il fut une époque où les ailiers rapprochés étaient un prolongement de la ligne offensive. « Des bloqueurs qui avaient de bonnes mains pour attraper des passes », note Antony Auclair, ailier rapproché ayant porté les couleurs des Texans de Houston et des Buccaneers de Tampa Bay. Il est question ici de joueurs comme Antonio Gates, Shannon Sharpe ou Jason Witten.

Mais avec les années, « c’est plus un receveur de passes qui est capable de bloquer », poursuit le Québécois. Il cite Travis Kelce et Darren Waller en exemple.

Et les tendances lui donnent raison. Parmi les dix joueurs avec le plus de réceptions depuis le début de la saison, on retrouve deux ailiers rapprochés : Kelce et T. J. Hockenson.

Et les temps changent. Du dernier repêchage, deux ailiers rapprochés sortent du lot : Sam LaPorta et Dalton Kincaid. Principalement grâce à leur capacité à attraper le ballon et à se démarquer. C’était aussi le cas pour Hockenson et Kyle Pitts il y a quelques années à peine.

Davantage de considération

En captant plus de ballons, les ailiers rapprochés font nécessairement plus de touchés. Puisqu’ils marquent des points, ils deviennent automatiquement plus populaires. Et parce qu’ils existent dans l’œil du public, leur notoriété s’accentue sans cesse. Des joueurs comme Mark Andrews, George Kittle et Zach Ertz sont devenus extrêmement populaires. Au même titre que certains quarts-arrières ou porteurs de ballon.

PHOTO REED HOFFMANN, ASSOCIATED PRESS

Travis Kelce, ailier rapproché des Chiefs de Kansas City

Dorénavant, les joueurs peuvent même célébrer la journée nationale des ailiers rapprochés, le quatrième dimanche du mois d’octobre. Et George Kittle, Travis Kelce et Greg Olsen ont mis sur pied en 2021 la « Tight End University », où de jeunes ailiers rapprochés vont apprendre les rudiments du métier pendant trois jours grâce à l’expertise de plusieurs joueurs établis dans la NFL.

Enfin, croit Antony Auclair, les joueurs comme lui sont reconnus à leur juste valeur. Simplement parce que depuis longtemps, la quantité de travail nécessaire pour exceller n’est pas suffisamment prise en considération. Après tout, ils doivent travailler en double.

En tant que receveur, il faut connaître les couvertures et les tracés pour te démarquer et aller au bon endroit.

Antony Auclair

« Il faut aussi connaître les positions défensives pour bloquer les bonnes personnes au point d’attaque. On n’en parle pas beaucoup, mais c’est compliqué, parce qu’il faut apprendre les couvertures complètes, les tendances des blitz, qui bloquent sur certains jeux… »

Les enjeux

Même si leur impact est grandissant, que leur boulot est indispensable et qu’ils travaillent en surplus, les ailiers rapprochés ont encore du mal à se faire prendre au sérieux par les dirigeants.

L’ailier rapproché le mieux payé de la NFL en 2023 est Darren Waller, avec 17 millions de dollars supplémentaires dans son compte en banque à la fin de saison. Toutes les positions confondues, il arrive seulement au 102e rang des plus hauts salariés de la NFL. Juste derrière le plaqueur Ed Oliver et le garde Elgton Jenkins.

Travis Kelce arrive au 131e rang du circuit avec un peu plus de 14,3 millions de dollars. Juste derrière le bloqueur Dion Dawkins et le maraudeur Eddie Jackson.

« Les ailiers rapprochés gagnent moins qu’un plaqueur à gauche, même si on nous demande de bloquer le même joueur. Et on gagne moins qu’un receveur même si on nous demande de faire le même tracé de passe. C’est [Travis] Kelce qui en avait parlé et c’est vrai. On nous demande de tout faire, mais on ne gagne pas autant que les joueurs qui ont une seule tâche », explique Auclair.

Le modèle

Avec cette réforme à la position, les équipes bénéficient également de plusieurs options. C’est pourquoi les entraîneurs emploient différents ailiers rapprochés au cours d’un même match, comme le souligne Antony Auclair.

Ça permet également à chaque type d’ailier rapproché de se faire valoir. Il y aura l’hybride, le joueur « Y ». Celui qui peut bloquer, mais aussi attraper des ballons. « Comme Rob Gronkowski, qui est vraiment un homme à tout faire. » D’ailleurs, Gronk restera le plus grand à avoir évolué à cette position. Il n’y a même pas place au débat. « Je suis biaisé, parce que j’ai joué avec lui, mais Rob est probablement le plus complet de l’histoire. »

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L’ailier rapproché Rob Gronkowski avec les Buccaneers de Tampa Bay, au Super Bowl de 2020

[Travis] Kelce est en train de le dépasser sur le plan statistique, mais Rob [Gronkowski] est un bloqueur complet, un bloqueur dominant, et en plus, il attrapait beaucoup de ballons. Il va rester l’ailier rapproché le plus dominant de l’histoire.

Antony Auclair

Il y aura aussi le joueur « S », qui est davantage un receveur. « Comme un Darren Waller, qui n’est pas tant impliqué dans le bloc. »

Puis, il y aura aussi les joueurs de la vieille école, comme Auclair, qui sont « vraiment plus des bloqueurs ».

À son avis, même si tout le monde n’en a que pour les ailiers rapprochés spectaculaires qui lancent le ballon au sol après avoir inscrit un touché, « les ailiers qui bloquent, ça a une valeur, parce que ceux d’aujourd’hui, les plus jeunes, veulent un peu moins s’impliquer dans le bloc ».

Ils arrivent aussi de plus en plus jeunes, fait-il remarquer. Et ils attendent de moins en moins longtemps avant de devenir indispensables. La moyenne d’âge des dix ailiers rapprochés comptant le plus de touchés cette saison est de 27 ans. Trois ans de moins qu’Auclair, une éternité dans la NFL. Et parmi ce groupe de dix, quatre ont 26 ans et moins.

Bienvenue dans la nouvelle NFL. Bienvenue dans l’ère des ailiers rapprochés.

Le pari d’Antony Auclair

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Le Québécois Antony Auclair, en 2021, avec les Buccaneers de Tampa Bay

Absent de l’espace public depuis plusieurs mois, Antony Auclair a pris le temps de réfléchir à son avenir. À ce qu’il souhaitait et à quoi il aspirait. Le voilà de retour d’Indianapolis où il a été à la rencontre de l’état-major des Colts pour tenter un retour dans la NFL.

Les choses se sont drôlement bousculées pour le Beauceron ces dernières années. Un titre du Super Bowl avec les Buccaneers de Tampa Bay, un premier touché dans la NFL et une blessure importante au genou avec les Texans de Houston, puis un contrat et un abandon avec les Titans du Tennessee.

« Je n’ai pas annoncé ma retraite officiellement, parce que je voulais me donner la saison pour réfléchir, pour voir où je me situais. Je ne voulais pas prendre de décision trop hâtive. Je voulais vraiment vivre une saison sans foot », a révélé l’ailier rapproché.

Lundi, Auclair était en visite au quartier général des Colts, a-t-il confirmé à La Presse.

Pendant cette rencontre, il a pris part à des tests physiques, à un entraînement et à une visite des installations. L’idée pour les Colts était surtout de voir où en était le Québécois dans son processus de retour au jeu. Le joueur de 30 ans a foulé un terrain de la NFL pour la dernière fois le 9 janvier 2022.

Ils voulaient voir où j’en étais physiquement, mentalement. Et ça a super bien été. L’ambiance était bonne et tout le monde était super content là-bas.

Antony Auclair

Leur équipe de réserve est complète et Auclair devra attendre son tour avant de s’y joindre. Malgré tout, les dirigeants des Colts lui ont manifesté des signes encourageants : « Ils m’ont dit de rester en santé advenant qu’une place se libère. Ils veulent travailler avec moi, mais en ce moment, c’est un mauvais timing. »

Miser sur soi

Plus jeune, Auclair a grandi en rêvant à la NFL. Comme tous les gamins ayant été élevés avec un ballon ovale entre les mains. Jamais, donc, il n’aurait imaginé tourner délibérément le dos à des offres d’équipes du circuit Goodell.

C’est pourtant ce qui est arrivé en début d’année. Toujours incommodé, sur ses gardes et, surtout, hésitant à forcer un retour précoce, Auclair a refusé des invitations de certaines équipes à participer aux activités d’équipes organisées (OTA) et au camp d’entraînement.

Ces refus s’expliquent par la crainte de se blesser de nouveau. Il ne voulait pas revivre un autre processus de rééducation qui aurait pu retarder davantage son retour dans la meilleure ligue au monde.

L’ancien du Rouge et Or de l’Université Laval préférait s’économiser, quitte à démarrer la saison plus tardivement. Un pari risqué, mais avec lequel il est en paix.

L’an passé, je m’étais blessé et je trouvais ça dommage, parce que j’étais dans la meilleure forme de ma vie. Tout allait bien jusqu’à ce qu’un joueur me rentre dans les jambes. J’ai donc voulu contrôler ma situation.

Antony Auclair

Et comme les risques de blessures sont à leur paroxysme dans les camps d’avant-saison, puisque chaque joueur bûche pour décrocher une place dans l’équipe, Auclair voulait passer son tour.

Les derniers milles

À 30 ans, Auclair est conscient que le temps passe. « Dans la NFL, ce n’est pas si jeune que ça ! La moyenne [d’âge] des gars à ma position tourne autour de 25 ans », note-t-il.

Or, après avoir goûté à l’ivresse du Super Bowl aux côtés de Tom Brady et de Rob Gronkowski, il a pris conscience de la valeur de l’expérience dans un vestiaire.

« À Houston, on m’avait nommé position leader. Les jeunes arrivent dans la NFL et ne savent pas trop où s’enligner. Et ça m’a toujours fait plaisir de les aider. C’est ça que j’aimerais laisser. Je suis rendu là. À Indianapolis, j’ai croisé certains joueurs… et ils sont tellement jeunes ! »

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Antony Auclair (à droite) au camp d’entraînement des Texans de Houston en 2021

Mais si Auclair est prêt à se rendre aux quatre coins des États-Unis pour convaincre une équipe de la NFL, c’est aussi pour finir sur une bonne note.

Il est arrivé au début de l’essor du talent québécois, en 2017. À sa position, assurément, il fait partie des pionniers. Et il veut courir à nouveau sur une pelouse de la NFL avant d’accrocher ses crampons.

Il avait demandé aux Titans, l’an dernier, de le libérer après avoir paraphé un nouveau contrat, parce qu’il se sentait incapable de répondre aux attentes et à ses propres standards.

Mais là, j’ai le goût de revenir et de bien finir. Je trouverais ça plate de finir comme ça.

Antony Auclair

Impossible, jure-t-il, d’estimer ses chances de rejouer dans la NFL cette saison. « Je suis un peu dans le néant. »

Après avoir voyagé, s’être entraîné et avoir réfléchi, il croise les doigts pour porter un fer à cheval sur son casque avant longtemps. Sinon, il aura besoin d’un peu de chance. Mais dans tous les cas, il est comblé par le simple fait d’avoir l’occasion de faire ses preuves à nouveau. C’est ce qu’il a fait toute sa carrière.