Le neurochirurgien Joseph Maroon a été engagé par les Steelers de Pittsburgh en tant que consultant médical en 1977. Depuis 46 ans, il examine et soigne les vedettes de cette dynastie réputée pour sa rudesse, comme Terry Bradshaw, Mean Joe Greene et Jack Lambert, tous membres du Temple de la renommée.

Selon Maroon, nombre d’entre eux s’inquiètent de leur santé cérébrale. À leur époque, les commotions étaient considérées comme banales, les entraînements avec contact étaient courants, et les coups les plus durs étaient encore permis.

Tous ceux qui ont joué à ce niveau sont préoccupés, c’est sûr.

Le neurochirurgien Joseph Maroon, médecin des Steelers de Pittsburgh

« Mais nous ne constatons pas l’épidémie qu’on pourrait attendre d’une époque où les casques protégeaient moins, où les règles étaient plus permissives et les terrains, plus durs. Il y a beaucoup d’inconnues », nuance Maroon, dans son bureau de l’Hôpital presbytérien du centre médical de l’Université de Pittsburgh.

Traumatismes crâniens

De nombreuses études scientifiques publiées depuis 15 ans ont établi un lien entre les traumatismes crâniens répétés et l’encéphalopathie traumatique chronique (ETC), une maladie cérébrale dégénérative. C’est une spécialité du CTE Center de l’Université de Boston, qui a examiné les cerveaux de centaines d’anciens joueurs de la NFL et d’autres athlètes et militaires.

PHOTO NFL.COM

Le secondeur des Steelers de Pittsburgh Jack Lambert, après avoir stoppé le demi à l’attaque Robert Newhouse, des Cowboys de Dallas, lors du Super Bowl X à Miami le 18 janvier 1976. Les Steelers ont gagné 21-17.

Mais Joseph Maroon, qui a déjà qualifié de « rare » et d’« exagéré » le taux d’ETC chez les joueurs de football, estime qu’il fallait approfondir les recherches pour comprendre pourquoi certains athlètes présentent peu ou pas de symptômes liés à l’ETC – pertes de mémoire, impulsivité, dépression – alors que d’autres en sont accablés.

Il y a cinq ans, Maroon et le propriétaire des Steelers, Art Rooney II, ont proposé au Centre de recherche sur la maladie d’Alzheimer de l’Université de Pittsburgh la création d’une banque de cerveaux d’athlètes décédés pour étudier le rôle de l’âge, de la génétique, de l’usage de drogues, du nombre de coups à la tête et d’autres facteurs dans le développement de l’ETC.

C’est ainsi qu’a été fondée la National Sports Brain Bank de l’Université de Pittsburgh, qui a ouvert ses portes jeudi, avec trois ans de retard en raison de la pandémie de COVID-19. Plusieurs athlètes ont promis de donner leur cerveau à la science, dont les demis à l’attaque des Steelers Jerome Bettis et Merril Hoge.

Études à long terme

L’ETC ne peut être diagnostiquée qu’après la mort. Il n’y a pas encore de test pour détecter la maladie chez les vivants. Les dons posthumes aux banques de cerveaux sont la seule façon d’alimenter la recherche.

PHOTO KRISTIAN THACKER, THE NEW YORK TIMES

Un cerveau examiné au département de neuropathie de l’Université de Pittsburgh

Le centre recrutera aussi des athlètes de tous les niveaux – et des non-sportifs qui serviront de groupe de contrôle – qui fourniront leurs antécédents médicaux, seront suivis à long terme et signeront un formulaire de don d’organe. Ces informations serviront à déterminer quels facteurs auront joué un rôle dans le fait qu’ils soient ou non atteints d’ETC.

« On ne sait pas où se situe le seuil de l’ETC », dit Julia Kofler, directrice du département de neuropathologie de l’Université de Pittsburgh, qui supervisera la banque de cerveaux des athlètes.

On voit des cas où la pathologie est minime et qui présentent des symptômes ; et c’est là toute la question. Il nous faut vraiment le plus grand nombre de cas possible pour répondre à ces questions épidémiologiques.

Julia Kofler, directrice du département de neuropathologie de l’Université de Pittsburgh

La National Sports Brain Bank profitera de l’infrastructure du Centre de recherche sur l’Alzheimer, qui possède plus de 2000 cerveaux provenant de la population générale, pas nécessairement d’athlètes. La National Sports Brain Bank peut compter sur les dons de trois fondations de Pittsburgh.

PHOTO KRISTIAN THACKER, THE NEW YORK TIMES

Le Dr Joseph Maroon dans son bureau de l’Hôpital presbytérien du centre médical de l’Université de Pittsburgh

Les chercheurs de Pittsburgh reconnaissent le travail déjà fait à l’Université de Boston, centre d’excellence en recherche sur l’ETC. Ses chercheurs ont examiné plus de 1350 cerveaux de joueurs de football, de hockey, de rugby, de soccer et d’autres sports (et aussi de militaires). Jusqu’à présent, ils ont constaté environ 700 cas d’ETC.

Biais d’échantillonnage ?

Mais le DMaroon estime que certaines études faites à Boston ont un biais d’échantillonnage : les familles ont généralement donné le cerveau d’un proche qui, de son vivant, avait des symptômes d’ETC. Interrogées sur l’historique des traumatismes crâniens de leurs proches, ces familles pouvaient avoir des souvenirs imprécis.

L’étude à long terme lancée par les chercheurs de Pittsburgh devrait « réduire, éliminer, prévenir ce type de biais », affirme le DMaroon.

Selon Ann McKee, la neuropathologiste qui dirige le CTE Center de l’Université de Boston, ce biais d’échantillonnage est connu depuis longtemps. Les médecins de l’Université de Boston ont déjà entrepris des études longitudinales, ajoute-t-elle.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS/NFL.COM

L’ailier défensif des Steelers de Pittsburgh Mean Joe Greene lors d’un match contre les Packers de Green Bay, le 26 octobre 1975. Les Steelers de la fin des années 1970 étaient réputés pour leur rudesse.

« Nous le faisons déjà, dit la Dre McKee. Mais c’est formidable qu’un autre groupe s’implique. Ça accélérera la recherche et les découvertes scientifiques, surtout en matière de traitements, ce qui est fantastique. »

Contrairement à l’Université de Boston, le groupe de Pittsburgh n’exclut pas les liens avec la NFL. La Fondation Chuck Noll pour la recherche cérébrale est un des bailleurs de fonds de la National Sports Brain Bank. Chuck Noll, ancien joueur des Browns de Cleveland et entraîneur-chef des Steelers, mort en 2014, avait la maladie d’Alzheimer. La fondation portant son nom a été créée en 2016 en partie grâce à un don des Steelers. Elle a versé 2,5 millions de dollars à la recherche sur le diagnostic et le traitement des lésions cérébrales qui émanent du sport.

« C’était important pour les Steelers de soutenir ce projet », a déclaré Rooney lors d’un entretien téléphonique. « Évidemment, on est juste au début. Espérons que ce projet recevra l’attention dont il a besoin pour connaître le succès. »

Merril Hoge, ancien demi à l’attaque des Steelers – dont la carrière s’est terminée par une commotion cérébrale et un arrêt cardiaque sur le terrain en 1994 –, dit qu’il s’est engagé à donner son cerveau à la National Sports Brain Bank parce que l’Université de Pittsburgh a beaucoup innové en santé cérébrale, notamment dans le développement de meilleurs casques.

Il a également rappelé que Noll, son ancien entraîneur, avait mis tout son poids derrière le développement et l’adoption d’un test d’évaluation des capacités cognitives des joueurs, servant à détecter les commotions cérébrales. Ce test était un précurseur du test IMPACT (Immediate Post-Concussion Assessment and Cognitive Test) utilisé dans le monde entier.

Le lien avec la NFL critiqué

Mais Gil Rabinovici, directeur du centre de recherche sur l’Alzheimer à l’Université de Californie à San Francisco, estime que « ce type de recherche est mieux mené lorsque les donateurs et les chercheurs sont libres de tout conflit potentiel », en parlant des liens du groupe de Pittsburgh avec la NFL.

Selon lui, les chercheurs de Boston ont fait un « excellent travail » en décrivant la pathologie de l’ETC, « mais en science, il est souhaitable que différents groupes étudiant les mêmes questions scientifiques avec des méthodes différentes reproduisent la recherche et, espérons-le, confirment les résultats en parvenant à des conclusions similaires ».

Cet article a été publié dans le New York Times.