Chaque semaine, deux journalistes de la section des sports s’affrontent dans une joute rhétorique parfois sérieuse, souvent moins. Cette semaine, Miguel Bujold et Richard Labbé discutent d’une hypothétique fusion entre la Ligue canadienne de football (LCF) et la XFL.

Miguel Bujold

Ayant tous deux couvert les Alouettes durant plusieurs années, mon cher Richard, nous savons jusqu’à quel point le football à trois essais tient à cœur à bien des amateurs du ballon ovale au Canada, surtout dans l’ouest du pays. On va s’entendre sur ça. Mais ça donne quoi d’être passionné d’une ligue qui doit constamment chercher de nouveaux propriétaires pour ses équipes ou des façons de faire de l’argent ? Une potentielle fusion avec la XFL ne serait pas de vendre son âme au diable, comme le pensent certains. Ce serait plutôt une façon de sauver la ligue, qui perdait déjà un paquet d’argent avant même la pandémie. Je ne dis pas que ça fonctionnerait ou que les discussions entre les deux ligues vont aboutir, mais ça ne coûte certainement rien de le faire et je pense que la LCF est ouverte à tout.

Richard Labbé

Eh bien, tu vois, cher Miguel, c’est justement ça, le problème : la LCF n’a jamais été « ouverte à tout », et ses fans purs et durs le sont encore moins. Tu parles de l’ouest du pays, et puis voilà : tu sais que de Regina à Winnipeg, il y a des fans qui aimeraient mieux perdre un rein plutôt que de perdre leur football à trois essais ? C’est comme ça et on n’y peut strictement rien. Sans même parler des problèmes de logistique à fusionner avec une ligue américaine en pleine pandémie, je me demande en premier si la LCF ne se mettrait pas à dos des centaines et des centaines de partisans si jamais elle choisissait une telle avenue.

Miguel Bujold

Si les deux ligues fusionnent, ce ne sera pas avant 2022. Espérons que la pandémie sera chose du passé rendu là. Pour chaque amateur qui bouderait son plaisir en tournant le dos à son équipe, il y en aurait un nouveau qui commencerait à s’intéresser à la LCF, surtout dans les trois plus grands marchés de la ligue : Toronto, Montréal et Vancouver. Et dans ces trois villes, ça va mal depuis longtemps : les Argonauts jouent dans l’indifférence, les Lions se cherchent un nouveau propriétaire et on sait tous que les Alouettes ne roulent pas sur l’or. La LCF ne discuterait pas avec la XFL si elle n’était pas dans une situation précaire. Son modèle d’affaires ne fonctionne pas et, au bout du compte, la pandémie lui aura probablement coûté au moins 100 millions. Si le football à trois essais était si populaire et cher aux Canadiens, on n’en serait pas rendu là.

Richard Labbé

Comme tu le sais, ce n’est pas la première fois que notre beau football canadien caracole avec les dollars américains, et comme tu le sais aussi, la LCF serait morte depuis longtemps si ça n’avait pas été des dollars générés en frais d’expansion avec les clubs américains du début des années 1990. Et puis, au fait, qui ne se souvient pas du Posse de Las Vegas, qui avait l’habitude de tenir des entraînements dans un stationnement d’hôtel ? Juste pour des moments d’anthologie comme ça, ça a valu la peine. Mais au-delà des trois essais, on ferait quoi avec la taille des terrains et aussi avec nos règlements folkloriques, comme le célèbre « rouge » [le simple inscrit sur un dégagement ou un placement raté] ? Y a-t-on vraiment pensé ?

Miguel Bujold

Le problème, ce n’est pas tant de jouer du football à quatre essais chez nous. C’est de jouer du football à trois essais aux États-Unis. Les terrains au football canadien sont de 150 verges (110 verges et deux zones des buts de 20 verges chacune). Impossible de jouer sur un aussi grand terrain dans la plupart des stades aux États-Unis. Si fusion il y a, ce serait du jeu à quatre essais avec des terrains de 120 verges. Le rouge ? Pitié… L’un des principaux enjeux toucherait le fameux ratio de joueurs canadiens. Mais avec 17 équipes au lieu de 9, il y aurait sûrement moyen de trouver un compromis. Pour ce qui est du calendrier, une saison qui commencerait en mars ou en avril et qui se terminerait au début de celle de la NFL aurait du sens, quitte à jouer un peu plus de matchs au sud de la frontière au printemps et un peu plus au Canada pendant l’été. Tu vois, Rick, il n’y a rien d’impossible…

Richard Labbé

Oui, mais une saison qui commence en mars ou avril voudrait dire une Coupe Grey… en septembre ? Encore une fois, Miguel, tu viens jouer avec de fières traditions, là, y compris celle du match de la Coupe Grey à la fin du mois de novembre. On ne peut pas annuler ça, non ? Que fais-tu des spectacles de Shania Twain en traîneau à chiens ou des gars chauds qui se mettent en bédaine au troisième quart ? Ça va prendre de l’argent frais, on s’entend là-dessus, et encore mieux si c’est de l’argent américain. Mais il faudra épargner au passage certaines traditions. Sinon, ça ne passera pas.