Chaque semaine, deux journalistes de la section des sports s’affrontent dans une joute rhétorique parfois sérieuse, souvent moins. Cette semaine, Miguel Bujold et Frédérick Duchesneau débattent à savoir qui de Tom Brady ou de Bill Belichick a été le plus important dans le succès de la dynastie des Patriots de la Nouvelle-Angleterre.

Miguel Bujold

Dans notre débat précédent, il y a deux semaines, tu as ouvert la porte à celui-ci, Fred : Bill Belichick ou Tom Brady ? C’est l’éternelle question. Lequel de ces deux sympathiques individus a été le plus important dans les succès des Patriots ? Je sais que tu vas me répondre que ce sont deux tricheurs, Fred, et tu n’as pas tort. Et je sais bien qu’en ce lundi matin de février, le choix facile, c’est Brady. Il disputera un 10Super Bowl dimanche, à sa toute première saison avec les Buccaneers. Mais quand on dit « se paqueter une équipe », il n’y a pas de meilleur exemple que les Bucs de 2020. Penses-tu vraiment que Brady serait au Super Bowl s’il avait une équipe moyenne autour de lui ? C’est ce qu’il avait à sa dernière saison à Foxborough, en 2019, une équipe moyenne. Et ça s’est fini avec un « pick six » contre les Titans en séries. Je te rappelle que Brady a lancé trois interceptions la semaine dernière, aussi. Tu connais ton football, Fred, et tu sais bien que tout part du coach dans ce sport.

Frédérick Duchesneau

Je suis d’accord que le coach a son rôle et son importance. On ne peut concevoir une équipe sans coach… Mais à quel point compte-t-il dans le succès d’un club ou d’un athlète ? Je n’ai pas la réponse et je ne doute pas que ce soit considérable, je ne fais que poser la question. Long tour de manège pour aboutir à ceci : les coachs sont les premiers à dire qu’ils ne peuvent jouer à la place de leurs athlètes. Aussi bon soit le coach, aussi bonne soit la stratégie – incluant les « stratégies » légendaires des Pats –, qui est la seule personne à choisir la cible n3 plutôt que la n2 ? À décider, en une fraction de seconde, de prendre la brèche de gauche plutôt que celle de droite ? (Une pensée ici pour mon idole Barry Sanders) Il y a une limite au coaching et aux plans de match, qui prennent d’ailleurs souvent le bord dès que ça dérape. Ça me fait mal au cœur. Tu sais que j’étais dans le camp de Brees, il y a deux semaines. Mais cette fois, je suis avec Tom. Je peine à croire que j’ai écrit ça. Je vais aller prendre l’air pendant que tu me réponds.

M. B.

Les gens semblent l’avoir oublié avec les années, mais les Pats ont gagné leurs trois premiers Super Bowls grâce, surtout, à leur défense. C’était la grande force de leur club avec entre autres Ty Law, Tedy Bruschi, Mike Vrabel et Rodney Harrison. Ces trois championnats (2001, 2003 et 2004) ont été gagnés avant le fameux « spygate », aussi. Brady savait donc souvent ce que les défenses allaient faire avant les jeux. Ça va bien, lancer une passe de touché lorsqu’on sait à l’avance que le demi de sûreté s’en vient sur un blitz, Fred… Une histoire qui s’est retrouvée au Congrès américain, mais on s’éparpille encore. Bref, la défense a toujours été un TRÈS gros morceau à Foxborough, et la dernière finale des Pats, il y a deux ans, est là pour nous le rappeler : 13-3 contre les Rams, le plus bas pointage de l’histoire du Super Bowl. Et la défense, c’est Belichick. C’est même lui qui a permis aux Giants de gagner le Super Bowl en 1986 et en 1990 comme coordonnateur défensif. Chaque fois que les meilleurs joueurs offensifs de l’autre équipe en arrachent contre les Pats, c’est à cause de Belichick. Quand Brady lançait le ballon à des receveurs qui n’avaient pas un adversaire à 10 verges près d’eux, c’était le coaching, ça aussi.

F. D.

OK, va pour tout ça. Mais revenons à un point précédent. Tu demandais si Brady serait au Super Bowl avec une équipe moyenne. Bien sûr que non. Mais il ne faudrait pas exagérer dans l’autre sens et laisser croire qu’il était un simple passager dans la barque des Buccaneers. Neuvième cette saison parmi les quarts partants pour le fameux ratio (passer rating). Deuxième ex æquo pour les passes de touché. Tu vas encore me répondre que ce sont des stats individuelles et qu’il est bien entouré, mais c’est quand même lui qui est aux commandes ! Et faisons l’exercice inverse. Belichick a fait quoi, lui, cette année, avec une équipe ordinaire ? Une saison ordinaire : 7-9. Brady a beau être dans un bon club, être chanceux, même, comme tu l’as dit totalement outré en réunion lundi matin dernier ! Il – attention, alerte au cliché, mais je l’assume – trouve des façons de gagner. Parfois, j’en arrive presque à croire au destin – mais non – quand je vois certains athlètes qui, comme lui, semblent tout transformer en victoires et en championnats. Comme s’il y avait quelque chose qui dépasse la simple performance sportive. Une aura, on va dire.

M. B.

Oui, Brady a été chanceux contre les Packers, et je l’ai même écrit dans mon texte. Belichick n’avait pas seulement une équipe ordinaire cette année, Fred, il avait l’une des cinq pires de la ligue sur papier. C’était le prix à payer pour avoir eu de si bonnes équipes pendant aussi longtemps. Les Pats ont hypothéqué une partie de leur avenir en finissant par se coincer sous le plafond salarial. Brady et Bruce Arians auraient-ils fait mieux avec ce club-là ? J’en doute. Mais je pense que Belichick, lui, n’aurait pas trop eu de misère à gagner avec l’équipe de Pro Bowlers à Tampa…

Tom Brady est le meilleur quart-arrière de l’histoire, aucun doute. C’est la même chose pour Bill Belichick, de loin le meilleur coach de l’histoire.

F. D.

Bref, ils ne le réalisaient sans doute pas, mais pendant tout ce temps, les fans de la région de Boston auraient eu la chance d’avoir à la fois le meilleur quart et le meilleur coach de l’histoire ? Je me demande si on pourrait retrouver de tels combos dans d’autres sports. Faudrait y réfléchir, ça pourrait faire l’objet d’un autre débat (note aux boss). Je conçois que Belichick est tout un coach. Je suis trop émotif, Mig. En fait, je pense que j’ai simplement penché dans le camp de celui qui m’est le moins antipathique des deux. Quoi qu’il en soit, je souhaite profondément une victoire des Chiefs. Qui leur permettrait, comme tu l’as écrit lundi dernier, de devenir la première équipe à conserver son titre depuis… les Pats de Brady en 2004. Ce serait un beau clin d’œil. Et, pour ma part, un sympathique pied de nez aussi.