Martin Bédard ne sait pas s’il a déjà joué son dernier match de football professionnel, mais il sait une chose : l’été sera très différent de tous ceux qu’il a vécus depuis son enfance.

« C’est la première fois depuis que j’ai 10 ans que je ne joue pas au football à ce moment-ci de l’année. Ça fait 27 ans que je joue en juin. C’est vraiment bizarre, j’ai l’impression qu’il me manque quelque chose et j’ai la sensation que je devrais être en train de faire autre chose », a raconté Bédard il y a quelques jours.

À défaut d’être au milieu de son 12e camp d’entraînement avec les Alouettes, ce qui aurait été le cas sans la pandémie de COVID-19, Bédard se console du fait qu’il a un boulot, contrairement à plusieurs de ses coéquipiers. Le Québécois est conseiller financier depuis environ un an et demi.

« Je me considère très chanceux d’avoir un travail en ce moment. Et je suis très occupé, car les gens réalisent avec la pandémie que c’est important d’être bien préparé pour faire face aux imprévus de la vie. J’aide des personnes à arrêter de se faire du stress au sujet de choses avec lesquelles elles ne savaient pas de quelle façon composer. »

« Et ça m’enlève énormément de stress sur le plan financier, surtout que Natsou [sa conjointe] est enceinte et qu’elle doit accoucher en septembre. On aurait été stressés pas à peu près si je n’avais pas eu d’emploi en ce moment. En plus, ma copine est agente de bord et a techniquement été mise à pied. »

Bédard a un plan B s’il n’y a pas de saison, et son après-carrière est déjà amorcée. Il est encore trop tôt pour se prononcer au sujet de 2021, mais Bédard garde les doigts croisés pour cet automne. Même s’il sait que le danger nous guette et que la pandémie est loin d’être chose du passé.

« J’aimerais évidemment ça qu’il y ait une saison à partir de septembre, mais le sport professionnel, c’est la dernière chose qui va recommencer. C’est sans parler d’une possible deuxième vague du virus. Je regarde la circulation depuis quelques jours, et c’est à se demander si les gens comprennent que c’est un déconfinement partiel. »

J’ose espérer que je n’ai pas joué ma dernière saison en 2019. Je suis encore en forme et j’aime ça autant. Je n’ai pas fait mon deuil du football, alors pour le moment, mon objectif, c’est de continuer.

Martin Bédard

Pour le moment. Car la situation pourrait évoluer dans une autre direction.

« Toutes les options seront sur la table. J’ai signé un contrat de deux ans et j’espère pouvoir l’honorer, mais si je commence à faire plus d’argent comme conseiller financier qu’en jouant au football, je vais devoir analyser tout ça.

« Surtout si la saison est annulée en entier. Je veux jouer en 2021, c’est certain, mais il y aura plusieurs choses auxquelles je devrai réfléchir. »

De sérieux doutes

Bédard est dans une situation moins précaire que d’autres joueurs de la LCF. En temps normal, c’est à ce moment de l’année qu’ils commencent à recevoir des chèques de paie, puisqu’ils sont payés six mois par année. Rappelons qu’une majorité d’entre eux touchent moins de 100 000 $ par année.

« S’il n’y a pas de saison, j’espère qu’on va quand même recevoir quelque chose, puisque ce serait un revenu perdu. On a tous signé des contrats. On s’attend donc à recevoir de l’argent.

« J’ose croire qu’une partie des 150 millions qu’il [le commissaire Randy Ambrosie] a demandés au gouvernement ira aux joueurs. J’espère que cet argent-là ne sera pas uniquement pour le commissaire, la ligue et les propriétaires. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

« J’ai signé un contrat de deux ans et j’espère pouvoir l’honorer », affirme Martin Bédard.

Bédard a été extrêmement déçu de l’approche d’Ambrosie dans ce dossier et ne s’est pas gêné pour le dire.

« Randy Ambrosie change son discours dépendamment de la situation. Lorsqu’il parle d’une nouvelle équipe à Halifax, il dit que la ligue est super prospère et que ça va super bien. En raison de la pandémie, le premier ministre Justin Trudeau donne beaucoup d’aide et est très généreux, et on dirait qu’il [Ambrosie] s’est dit que c’était une bonne idée de lui demander de l’argent, lui aussi. »

Tout à coup, le discours, c’est que plusieurs équipes et la ligue perdent des millions tous les ans et que la ligue serait même en péril s’il n’y avait pas de saison.

Martin Bédard

« J’ai beaucoup de misère à croire que les propriétaires ont autant de difficulté alors que ça fait plus de 100 ans que la ligue existe. Je ne pense pas qu’elle existerait encore si elle perdait autant d’argent. Ça ne fait aucun sens sur le plan des affaires. On pourrait en parler pendant longtemps, c’est un sujet que j’ai à cœur.

« Il n’a consulté personne, puis il demande 150 millions sans présenter de plan ? », a pesté Bédard.

Similaire aux Expos de 1994

Les Alouettes semblaient enfin avoir tourné la page sur l’un des pires chapitres de leur histoire en 2019. Après une agonie de plus en plus grave qui aura duré six ans, de 2013 à 2018, l’équipe avait enfin retrouvé ses ailes. Puis, la pandémie.

« Ce n’est peut-être pas à ce point-là, mais ça me fait un peu penser aux Expos lorsqu’il y a eu la grève en 1994. L’ambiance dans notre équipe était excellente, on avait un bon noyau de joueurs qui étaient de retour, de bons entraîneurs, puis pouf ! Pas de camp d’entraînement et peut-être pas de saison. C’est vraiment, vraiment décevant. »

Mais s’il devait y avoir une saison écourtée à partir de la rentrée, Bédard est convaincu qu’elle serait très spectaculaire.

« Il y aurait peut-être un peu de rouille au départ, mais les joueurs seraient tous très bien reposés et ce serait très intense durant toute la saison parce que la marge d’erreur des équipes serait très mince.

« Il n’y aurait pas de temps à perdre, toutes les équipes devraient gagner rapidement. Je pense donc que le calibre de jeu en serait rehaussé. »