La transparence envers les amateurs ne caractérise pas la Ligue canadienne de football (LCF) et les Alouettes dans le rocambolesque feuilleton des derniers mois.

La famille Wetenhall s’est départie de l’équipe sans même dire au revoir aux fans ; le processus de vente s’est transformé en vaudeville durant lequel la Ligue n’a jamais donné l’heure juste ; et le congédiement du directeur général Kavis Reed, assorti d’un minimum d’explications, a suscité plusieurs rumeurs.

Que s’est-il passé au juste pour en arriver là ?

Selon mes informations, tout commence à la fin de la dernière saison. L’idée de congédier Reed est étudiée par les dirigeants de l’équipe pour des raisons purement sportives. Mais la famille Wetenhall a alors un problème plus urgent à régler. Les pertes financières sont importantes, de 2 à 6 millions par saison depuis plusieurs années – et même davantage en 2018 –, et les propriétaires souhaitent obtenir de l’aide de nouveaux partenaires ou du circuit. Robert et Andrew Wetenhall en ont marre d’éponger chaque année un lourd déficit.

Les Wetenhall constatent vite que leurs souhaits ne se réaliseront pas. La LCF n’a pas l’intention de les soutenir financièrement. Pendant qu’ils réfléchissent à la suite des choses, des questions surgissent à propos de la gestion de Reed. Aucun fait ne serait très grave en soi, mais leur accumulation donne au dossier une texture différente.

Dans une organisation où l’on scrute désormais à la loupe chaque dollar dépensé, où l’on essaie d’économiser dans chaque poste budgétaire, l’affaire devient importante.

Que reproche-t-on exactement à Reed ? Encore aujourd’hui, impossible de répondre à cette question avec certitude. La théorie la plus crédible, déjà évoquée par d’autres médias, veut que des promesses aient été faites à certains joueurs pour augmenter leurs revenus, sans doute en représentant l’équipe dans certaines sorties publiques. Ces montants ne sont sûrement pas gigantesques.

La réalité économique des équipes de la LCF, ne l’oublions pas, se distingue par sa modestie. Mais les hauts dirigeants d’une équipe ne peuvent tolérer des initiatives semblables, qui ne correspondent pas aux normes usuelles et mettent en cause le lien de confiance avec leur employé.

Pour une organisation, fouiller un dossier comme celui-là prend du temps. Il ne suffit pas d’avoir des soupçons, il faut démontrer qu’une ligne éthique a été franchie. Tout indique que l’organisation des Alouettes était avancée dans son travail d’enquête quand les Wetenhall ont décidé de mettre fin à leur aventure dans le football professionnel canadien. La LCF a alors pris la direction des Alouettes de manière intérimaire, le temps de dénicher de nouveaux propriétaires.

Reed aurait-il été évincé plus tôt si les Wetenhall étaient demeurés responsables de l’équipe ? On ne le saura jamais, mais il n’est pas farfelu de le penser.

Le congédiement du DG est finalement survenu à la mi-juillet, soit un mois et demi après la prise en charge officielle de l’équipe par la LCF. Il est plausible de penser que les avocats du circuit ont voulu réexaminer de fond en comble le dossier soumis par les Alouettes avant de donner leur aval à son départ.

PHOTO JEFF MCINTOSH, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Embauché à titre de directeur général des Alouettes de Montréal en décembre 2016, Kavis Reed a été congédié le 14 juillet dernier, essentiellement pour des « manquements administratifs ».

Si la vente des Alouettes s’était concrétisée plus tôt, les nouveaux propriétaires auraient sans doute hérité du dossier. Mais puisque le processus de vente traîne en longueur, il fallait bien finir par agir.

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La saison 2019 est déjà bien entamée et on ignore toujours qui deviendra propriétaire des Alouettes. Des négociations avec plusieurs investisseurs potentiels ont eu lieu et rien n’a encore abouti.

Sans que l’on sache trop pourquoi, les frères Peter et Jeffrey Lenkov semblent pour l’instant en position de tête. Ce dernier a nettement manqué de tact en s’adressant dans le vestiaire à des joueurs éberlués après leur plus récente victoire à Montréal, comme l’a rapporté Didier Orméjuste, de RDS. Se comporter prématurément comme le propriétaire de l’équipe est un réel faux pas. Si la transaction se concrétise, disons simplement que la première impression laissée par un des frères Lenkov n’aura pas été la bonne.

Dans tout ce dossier, une question est souvent posée : combien valent les Alouettes ? À mon avis, la réponse est brutale : rien ! L’équipe ne possède aucun actif immobilier. Et on sait déjà qu’elle subira de nouvelles pertes cette saison.

Si la concession est vendue au cours des prochaines semaines, les nouveaux propriétaires ne les assumeront certainement pas. Et ils ne voudront pas davantage être responsables du déficit anticipé de 2020 et de la totalité de celui de 2021. Ils diront avoir besoin de temps pour mettre en place leur plan d’affaires et relancer l’organisation sur des bases financières solides permettant de boucler le budget.

Il est donc probable que l’enjeu crucial des négociations actuelles porte sur cet élément : à partir de quand, et dans quelle proportion, les nouveaux propriétaires seront-ils responsables des pertes ?

Vous savez quoi ? Plus j’analyse ce dossier, plus je pense qu’on s’ennuiera avant longtemps de la famille Wetenhall. Robert et Andrew n’ont pas toujours fait les bons choix au cours des dernières années, comme le démontrent l’embauche de Kavis Reed et le nombre effarant d’entraîneurs qui ont dirigé l’équipe depuis le départ de Marc Trestman après la saison 2012.

En revanche, ils ont toujours assumé leurs responsabilités avec honneur, essuyant jusqu’au bout des pertes considérables. Au point où, même s’ils sentaient venir la fin de leur association avec l’équipe, ils ont autorisé en vue de la saison actuelle des dépenses supplémentaires pour doter l’équipe d’un nouveau logo et de nouvelles couleurs. Avoir les reins solides financièrement, c’est le premier atout d’un bon proprio.

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Plus le temps passe, plus l’inquiétude règne à propos des Alouettes. Des décisions importantes devront être prises en vue de la prochaine saison, notamment la recherche d’un nouveau directeur général et la mise en place d’un plan de relance.

Dommage qu’aucun grand nom de Québec inc. ne saisisse l’occasion pour s’assurer de l’essor d’une équipe qui, en raison de sa riche histoire, est une institution montréalaise… pour l’instant dirigée de Toronto, par des gens sûrement bien intentionnés, mais peu au fait de notre réalité sportive, sociale et culturelle.