Thom et Lou ont traversé les Amériques. Littéralement. Le 22 juillet 2021, Louis-Martin Gignac et Thomas Julien-Courchesne ont enfourché leur vélo au départ de Prudhoe Bay, dans le nord de l’Alaska, en direction d’Ushuaia, dans le sud de l’Argentine. Pendant un an et demi, ils ont roulé. Rencontré. Découvert. Vécu. Changé.

Une heure et demie. C’est le temps que dure notre entretien avec Louis-Martin Gignac. Le Montréalais se trouve aux Pays-Bas, où il passe quelques semaines avant de faire son retour au Québec, plus de 600 jours après l’avoir quitté. Son grand complice a quant à lui décidé de rester en Argentine quelque temps.

Une heure et demie, donc. C’est le temps que ça aura pris pour relater les grandes lignes de cette aventure plus humaine que sportive, plus spirituelle que physique. Tentons de la résumer en trois chapitres…

La préparation

Tout a commencé en 2018, en cours de philo. Nouvellement amis, Thomas Julien-Courchesne et Louis-Martin Gignac – aussi surnommés Thom et Lou – préféraient discuter plutôt que d’écouter. Cette journée-là, Thom a raconté à Lou une de ses précédentes aventures à vélo ; une traversée du Canada, de Vancouver à Montréal, avec son père.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @VINGTCINQMILLEKM

Thomas Julien-Courchesne et Louis-Martin Gignac avant leur voyage

« Toi, aimerais-tu ça faire l’Alaska jusqu’en Terre de Feu avec moi ? », lui a-t-il lancé spontanément.

Lou n’a pas fermé l’œil cette nuit-là. La proposition, évoquée de façon un peu banale, lui trottait dans la tête.

« Hey, à propos d’hier, étais-tu sérieux ? a-t-il demandé à son ami, le lendemain.

– Moi, j’étais sérieux, lui a répondu Thom.

– OK, ben moi aussi ! »

Pendant trois ans, les Montréalais ont donc planifié leur aventure. Ils ont lu, beaucoup. Ils ont fait de la recherche d’équipement. Ils ont économisé et cherché des commandites.

« Évidemment, tous nos proches avaient toutes les raisons du monde de croire que c’était un coup de tête, parce que c’en était un », se souvient Louis-Martin en souriant.

Initialement, ils devaient entamer leur périple en 2020, mais la pandémie a changé leurs plans. Pendant leur année de préparation additionnelle, ils ont appris l’espagnol et économisé davantage.

Encore à ce jour, Louis-Martin peine à expliquer l’objectif derrière ce long voyage. « C’est une énorme question ! C’est une question qu’on s’est posée tout au long du voyage. Ça reste que ce voyage-là est né dans le ventre et, justement, c’était comme une quête de dénouer tout ça. D’essayer de découvrir ce que voulait dire cet instinct-là. »

Au fil des mois, les motivations de Louis-Martin, qui préfère répondre à cette question seulement en son nom, ont beaucoup évolué. S’il voulait d’abord « fuir, partir, décrisser », d’autres motivations sont nées au fil du temps : « mieux me comprendre, forger quelqu’un, voyager, m’ouvrir l’esprit, découvrir le monde », énumère-t-il.

« C’était de me rendre jusqu’au bout du monde pour me rendre au bout de moi-même. »

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Crevaison pour Thomas Julien-Courchesne

Le périple

Le 22 juillet 2021, Thom et Lou ont quitté Prudhoe Bay, dans le nord de l’Alaska. Leur aventure de 26 000 km durerait, selon leurs estimations, entre un an et demi et deux ans. Dans leurs bagages : un équipement de camping, de la nourriture pour 10 jours, des outils et pièces de rechange pour vélo, une trousse de premiers soins, quelques vêtements, des livres et une guitare démontable qui résiste aux changements de température.

« Il faut que tu t’amènes du confort parce que ça va être ça, ta maison. Les livres, c’était un peu ça. C’était du poids supplémentaire, mais on était vraiment têtus. Maintenant, j’ai une liseuse, j’ai fini par capituler ! »

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Thomas Julien-Courchesne

Les complices ont d’abord traversé l’Alaska. Leur compte Instagram (@vingtcinqmillekm), qui vaut absolument le clic, permet de revivre une partie de leur aventure à travers leurs photos et leurs mots. Au moment où ils ont traversé la frontière canadienne pour longer le Yukon et la Colombie-Britannique, on peut lire ce qui suit.

On se nourrit de montagnes, de ruisseaux et de pad thaï déshydratés. De silence aussi. Malgré un matelas de sol qu’on a dû patcher trois fois, un réchaud qui ne se visse plus sur la bonbonne, Lou qui manque de se brûler le visage dans une belle explosion d’isopropane (c’était pas si pire ok), malgré tout ça on survit en se contant des charades à longueur de journée.

Extrait d’une publication Instagram

Les anecdotes et imprévus sont si nombreux qu’il est impossible de tous les relater dans cet article. Louis-Martin nous raconte une anecdote survenue en Colombie-Britannique, alors qu’un problème à son vélo a forcé le duo à faire du pouce. Comme tout peut arriver en voyage, leur chauffeur leur a offert un emploi comme assistants géologues.

« Chaque matin, on était ramassés au camp par un hélicoptère. On nous amenait sur une crête de montagne. Toute la journée, on marchait dans la montagne, on suivait des rivières. On prenait des échantillons de roche, on analysait le terrain. »

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Louis-Martin Gignac en Californie

Les amis y ont passé un mois avant de reprendre la route sur leur vélo. Prochaine étape : les États-Unis. Chez nos voisins du Sud, Thom et Lou ont été hébergés par des locaux presque chaque nuit grâce à l’application Warmshowers.

Déjà, pendant ces deux mois aux États-Unis, Louis-Martin se sentait changer.

Je le savais, que la vie n’était pas juste : secondaire, cégep, université, travail. Je le savais, mais de le voir… À quel point ça peut être explosé ! Ça peut être : cégep, pilote d’hélicoptère pendant dix ans, mécanicien, maîtrise en littérature.

Louis-Martin Gignac

Après avoir longé la côte ouest des États-Unis, les complices ont fait leur arrivée au Mexique. Ils y ont passé cinq mois avant de passer au Guatemala, puis au Salvador, où « il y avait un état d’urgence à cause du taux de meurtres ».

Les deux hommes ont fait preuve d’une grande vigilance, mais ont eu la frousse. « Ç’a donné lieu à plusieurs discussions autour de la mort entre Thom et moi. Je me souviens, au Salvador, à quel point je pensais à la mort. J’y pensais tous les jours. »

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Sur les routes de l’État de Michoacán, au Mexique

Au fil des mois, les cyclistes se sont créé une « espèce d’instinct, une routine, une confiance, un regard » qui font qu’ils étaient « alertes en tout temps ».

Il est arrivé, pendant cette année et demie, que Thom et Lou se séparent. Une première fois au Mexique, une deuxième fois au Pérou. « C’est normal, on n’est pas fusionnels non plus. C’était important de se rappeler qu’on est deux personnes à part entière. »

La fin

Petit retour dans le temps. En 2019, alors qu’ils entamaient leurs démarches, Thom et Lou avaient publié sur leur page Facebook une capture d’écran tirée de Google Maps Street View : on y voyait une petite cabane située en bordure de route dans la ville de Tolhuin, à 115 km du point d’arrivée. Ils avaient alors promis d’un jour prendre cette grange en photo.

« On s’était dit : on va faire de cette vieille cabane laide quelque chose de grandiose », se souvient Louis-Martin.

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Les deux amis devant leur « vieille cabane »

La cabane était tombée dans l’oubli… jusqu’à ce que les deux cyclistes atteignent l’Argentine. Une semaine avant d’arriver à Tolhuin, Louis-Martin s’en est souvenu.

« J’étais comme : “oh my god, Thom, la cabane !” On arrivait là dans 500 km. On capotait. On aurait pu la manquer ! »

« Quand on est arrivés, on était euphoriques. Elle aurait pu être démolie. […] Elle était toute là, toute belle avec le soleil ! »

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Louis-Martin Gignac en Argentine

Même si le réel point d’arrivée, Ushuaia, n’était encore qu’à 115 km de là, c’est devant cette cabane que les deux acolytes ont ressenti ce sentiment d’accomplissement et de fierté. Ils l’avaient fait.

Louis-Martin Gignac et Thomas Julien-Courchesne sont arrivés à Ushuaia le 11 février 2023. Au moment de notre entretien, 12 jours avaient passé.

Les rencontres, les aventures, les imprévus, chaque parcelle de ce long périple a changé les deux hommes, même s’il est encore difficile pour Lou d’expliquer de quelle façon.

« Je suis encore le petit enfant que j’ai toujours été, dit-il. En même temps, je dis ça, mais je sais qu’en repensant à qui j’étais avant, c’est quelqu’un d’autre. »

« J’ai vu chaque centimètre qui sépare Prudhoe Bay d’Ushuaia. J’ai le souvenir visuel de ces lieux-là. Juste ça, c’est super précieux. C’est quelque chose que j’ai en moi en ce moment. Je dis ça sans prétention, je ne pense pas que ça m’élève par rapport à d’autres personnes, mais j’ai l’impression d’avoir un gros secret en moi. »

Le secret des Amériques.

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