Pour Guillaume Boivin, les larmes ont commencé à couler dans la descente finale, quand un ancien coéquipier lui a appris la victoire d’Hugo Houle.

À 800 mètres de la ligne, à Foix, l’émotion a grimpé d’un cran quand il a entendu le nom de son ami être prononcé pour la cérémonie protocolaire.

Le cycliste d’Israel-Premier Tech avait encore des trémolos quand il a répondu du bus de l’équipe une heure et demie après la fin de la 16e étape, mardi après-midi.

« Je pense que j’ai braillé pendant une demi-heure, a lâché Boivin. C’est beau. C’est incroyable. Je pense que je vais me remettre à brailler juste en y repensant… »

Il a pu serrer Houle dans ses bras à sa descente du podium. « Je te l’avais dit, ostie ! Finalement, je l’ai eu ! », lui a lancé le vainqueur.

« Quand son frère est mort, il a dit : “Je vais gagner une étape sur le Tour de France pour lui”, a rappelé Boivin. Ça fait longtemps qu’il le dit. Je suis tellement content pour lui, c’est tellement mérité. Il est tellement fort cette année. Ce n’est une surprise pour personne, je pense. Il était proche la semaine passée [3e]. Aujourd’hui, il n’y a pas photo. »

Antoine Duchesne souriait à pleines dents quand il a traversé le fil. L’annonceur a cru que le Québécois de Groupama-FDJ célébrait la victoire de son compatriote. « Je faisais juste sourire parce que j’étais juste content de finir l’étape ! », a rigolé Duchesne, qui l’a donc appris comme ça.

Dans l’aire d’arrivée, il est tombé sur le directeur du Tour, Christian Prudhomme, et son ex-coéquipier Thomas Voeckler, qui l’ont invité à retrouver Houle dans les coulisses peu avant la cérémonie. Leur belle accolade a été captée par les caméras du télédiffuseur. Duchesne a pointé au ciel, rappelant lui aussi la mémoire de son frère Pierrik.

C’est trop cool de pouvoir vivre ça ensemble à l’autre bout du monde. C’est la première victoire de sa carrière. De la gagner au Tour de France de cette manière-là, c’est quelque chose.

Antoine Duchesne

Le Saguenéen d’origine a salué l’engagement de son ancien colocataire, avec qui il a partagé un logement pendant plusieurs années en France.

« Il le mérite tellement, il a une éthique de travail irréprochable, a souligné Duchesne. Il est sérieux depuis le premier jour. Il a toujours été comme ça, et ç’a toujours été son mot d’ordre. Petit train va loin. Pas de feux d’artifice, mais petit à petit, il est devenu l’un des plus forts depuis les 12 dernières années. »

Duchesne estime que la victoire de Houle « montre que c’est possible » aux prochaines générations de coureurs québécois. « Ce n’est pas juste le rêve d’un vieux monsieur qui dit à un jeune de 15 ans : “Ben oui, tu peux aller au Tour de France un jour.” C’est vrai. Il l’a fait. C’est fou ! »

Michael Woods a été un élément clé dans le succès de son coéquipier, sapant le moral des poursuivants en s’accrochant à leur roue, comme l’a souligné Boivin.

Ironiquement, Houle s’était d’abord lancé pour préparer le terrain au grimpeur d’Ottawa, plus fort que lui dans ces forts pourcentages.

« Avec la chaleur et la vitesse de la course dans les deux dernières semaines, j’ai cru qu’il était capable de gagner, a expliqué Woods, troisième de l’étape. Ces grimpeurs sont forts, mais j’ai vu dans leur visage qu’ils étaient fatigués. Aucun n’avait la volonté de pousser pour le rattraper si Hugo maintenait sa vitesse. »

Arrivé à 1 min 10 s du gagnant après avoir été surpris par Valentin Madouas (2e) au sprint, Woods a eu le bonheur de tomber dans les bras de son coéquipier avant de descendre de vélo.

« Ma femme vient de m’envoyer la vidéo et j’ai pleuré un peu en la voyant. J’ai parlé avec Guillaume dans le bus et il a raconté l’histoire de son frère que je connaissais. C’est donc très émotif. Je suis vraiment fier d’Hugo et de cette équipe. C’est un moment très spécial. »

Le directeur sportif Steve Bauer, qui suivait Houle durant l’épreuve, a salué son audace. « Wow ! D’une certaine façon, il l’a fait par lui-même. D’exécuter cette attaque courageuse au pied de la dernière montée, je présume qu’il avait quelque chose de spécial en lui aujourd’hui. Michael a joué les super coéquipiers derrière. »

Je ne peux pas dire beaucoup plus qu’Hugo la méritait vraiment. Il a montré à tout le monde qu’il était au sommet.

Steve Bauer

Seul autre vainqueur d’étape canadien au Tour, 34 ans plus tôt, Bauer pense que le triomphe de Houle s’annonce « énorme » pour le développement du cyclisme au pays.

« Ça peut être très spécial. Les mentors et les modèles sont importants pour les jeunes cyclistes. Ça montre ce qui est possible. Nous ne sommes pas une grande nation cycliste comme la Belgique ou la France. Mais Hugo et Michael peuvent être des vedettes pour les jeunes athlètes au Canada. Espérons que ça continue. »

Sylvan Adams, copropriétaire de la formation israélo-canadienne, et Jean Bélanger, co-commanditaire à titre de PDG de Premier Tech, ont également suivi les derniers moments « les larmes aux yeux ».

« Heureusement que je n’étais pas là parce que j’aurais pu lui casser une côte, a blagué Adams, un Montréalais d’origine. Hugo a été assez gentil de m’appeler. C’est incroyable. Il est aux anges. Il est complètement épaté. On l’a vu à la télé : il était tellement déterminé, tellement fort, personne n’aurait pu le battre aujourd’hui. Il était guidé par son frère Pierrik. »

« Émotif, tu dis ? Je pleurais », a ajouté Jean Bélanger, qui s’est lié d’amitié avec le coureur. « Je suis tellement fier et heureux pour lui. »

Les deux dirigeants pourront le lui dire en personne lors de l’arrivée sur les Champs-Élysées, dimanche, à Paris.

Sur les réseaux sociaux, Houle a reçu les félicitations de plusieurs collègues coureurs, dont celles, particulièrement éloquentes, de son coéquipier Chris Froome.

« Quelle journée pour Israel-Premier Tech, qui prend le premier et le troisième [rangs] », a entamé le quadruple lauréat du Tour de France.

« Je suis particulièrement heureux pour Hugo Houle. Cette victoire est tellement significative pour lui, et tellement méritée, après des années à sacrifier ses propres chances pour les autres. »