Guillaume Boivin se sentait tellement en forme qu’il avait « secrètement » annoncé à son frère cadet Pierre-Étienne qu’il aurait une chance de lutter pour la victoire à Paris-Roubaix, dimanche.

Sa prédiction audacieuse est passée près de se réaliser. Une plaque de boue sur les pavés et une « erreur de pilotage » ont toutefois causé sa perte avec moins de 20 kilomètres à faire.

Malgré un poignet gauche amoché, le champion canadien s’est relevé pour sprinter jusqu’à la neuvième place dans le vélodrome de Roubaix.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER D’ISRAEL START-UP NATION

Guillaume Boivin, à droite, aux côtés de son coéquipier Tom Van Asbroeck

« Mon plus beau résultat, peut-être, mais c’est clairement la plus belle course de ma carrière », a évalué Boivin, qui se dirigeait vers l’hôpital de Waregem, en Belgique, pour une radiographie.

« Je le savais avant la course. J’avais même dit à mon frère, en secret : si ça va bien, je peux jouer la gagne aujourd’hui. »

Hécatombe

Présenté exceptionnellement en octobre, après une annulation en 2020 et un report cette année à cause de la pandémie, ce 118e Paris-Roubaix n’avait pas aussi bien porté son surnom d’« Enfer du Nord » depuis une vingtaine d’années.

En raison de la pluie, particulièrement forte en début de journée, les 30 secteurs pavés de l’épreuve de 257,7 km baignaient dans la boue. Même ceux qui ont eu la chance de ne pas chuter en étaient couverts de la tête aux pieds. Seuls les yeux des cyclistes rappelaient qu’ils n’étaient pas des statues sur deux roues.

L’hécatombe a commencé dès le premier secteur de Troisvilles (kilomètre 96,3), où Boivin a lui-même crevé. Avec « du monde partout », le dépannage a été long. Il a donc « chassé pendant presque 50 kilomètres » pour revenir sur le peloton (ou ce qu’il en restait).

« C’est sûr que ça m’a coûté beaucoup d’énergie, mais je savais dès lors que les jambes étaient vraiment bonnes. »

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Les secteurs pavés de Paris-Roubaix baignaient dans la boue dimanche.

Témoin sa réaction à un premier démarrage du Néerlandais Mathieu Van der Poel dans la trouée d’Arenberg, où il a ensuite évité la catastrophe de peu. Il était calé dans la roue de Mads Pedersen quand l’ancien champion mondial a frappé Luke Rowe, presque arrêté.

« Honnêtement, j’ai fermé les yeux et je suis passé. Je n’ai pas touché aux freins. Je n’en croyais pas mes yeux de ne pas être tombé là. J’ai eu de la chance. »

À la sortie de la célèbre tranchée, Boivin roulait donc avec Van der Poel, le champion italien et d’Europe Sonny Colbrelli et le jeune Américain Matteo Jorgenson, qui n’a pas survécu longtemps. Le trio a mis une dizaine de kilomètres pour faire la jonction avec le premier groupe de poursuivants, issu de l’échappée matinale. Pendant ce temps, le Belge Wout Van Aert, grand favori, était piégé derrière.

Avec la présence de son coéquipier Tom Van Asbroeck à l’avant, Boivin a eu le luxe de ne pas prendre de relais. Il a cependant dû répondre à quelques démarrages de Colbrelli et surtout Van der Poel. « Il était fort, mais j’étais fort aussi. Je me sentais bien. Chaque course s’est bien déroulée cette année. Ma confiance a grandi peu à peu. »

Laurent Jalabert, analyste à France 3, n’a pas manqué de souligner la prestation de l’athlète de Longueuil : « Le plus impressionnant, c’est peut-être Guillaume Boivin. »

Pendant longtemps, l’Italien Gianni Moscon (4e à l’arrivée), le méchant garnement d’Ineos, a caracolé seul en tête. Son avance a toutefois fondu après une crevaison et une chute sur les pavés boueux.

C’était toutefois un mauvais présage pour Boivin, tombé peu après dans le secteur de Camphin-en-Pévèle, à moins de 20 km de la fin. Sa roue arrière s’est dérobée. Même la moto-caméra qui suivait est tombée pour l’éviter.

PHOTO ANNE-CHRISTINE POUJOULAT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Guillaume Boivin

« Je l’ai échappé. Je ne pense pas que ce soit de la malchance. C’était une erreur de pilotage. Les conditions étaient vraiment difficiles. Je suis fier d’avoir continué jusqu’à la fin. Le poignet faisait vraiment mal dans les trois derniers secteurs. J’ai fait le Carrefour de l’Arbre presque à une main. »

Colbrelli, Van der Poel et l’épatant Belge Florian Vermeersch, 22 ans, ont finalement rattrapé Moscon avant de s’en débarrasser. Les trois recrues, fait inédit à Paris-Roubaix, se sont donc disputé la victoire dans le vélodrome. Vermeersch (2e) a lancé le premier, suivi de Van der Poel (3e), qui n’avait plus les jambes pour résister à Colbrelli.

Pendant que l’Italien, couché dans l’herbe, pleurait comme une madeleine, à l’image de son compatriote Gianmarco Tamberi, champion olympique de saut en hauteur, Boivin est rentré sur la piste avec Van Aert (7e) et consort.

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Sonny Colbrelli, vainqueur de Paris-Roubaix

Avec la cinquième place à l’enjeu, le résidant de Bromont a croisé la ligne neuvième, tout juste derrière son équipier Van Asbroeck.

« Le résultat aurait pu être un peu mieux, mais ce n’est pas tous les jours qu’on a peut-être la chance de se battre pour la victoire dans un monument. Un top 10, surtout avec la course que j’ai faite, je peux en être fier. »

« Super saison »

À son deuxième essai à Paris-Roubaix (abandon en 2013), Boivin rejoint ainsi son ancien directeur sportif Steve Bauer, seul autre Canadien à avoir terminé parmi les 10 premiers. Bauer avait fini huitième en 1988, deuxième en 1990 et quatrième en 1991.

Après avoir disputé son premier Tour de France, contribué à la cinquième place de Michael Woods aux Jeux olympiques de Tokyo, gagné les championnats canadiens et fini 17e la semaine dernière aux Championnats du monde en Flandres, Guillaume Boivin a mis un point d’exclamation à une « super saison ».

« Je vois que j’ai progressé et j’ai surtout pris confiance en mes moyens, a constaté le cycliste de 32 ans. Je suis doublement motivé et j’ai déjà hâte à la saison des classiques, l’an prochain. »

Même si les radiographies n’ont pas révélé de fracture, Boivin avait déjà décidé qu’il n’accompagnerait pas, tel que prévu, son ami Woods à Milan-Turin, mercredi, et au Tour de Lombardie, samedi, cinquième et dernier monument de la saison.

Fin de saison pour Hugo Houle

Épaté par la performance de Guillaume Boivin, Hugo Houle n’avait certainement pas les mêmes ambitions que son compatriote pour son huitième départ à Paris-Roubaix. Coincé derrière une chute dès le premier secteur pavé, le cycliste d’Astana-Premier Tech ne s’est pas rendu jusqu’à Roubaix. « J’étais en chasse toute la journée, je n’ai pas pu faire grand-chose de spécial, a-t-il relaté. Les jambes n’étaient pas exceptionnelles non plus. J’ai suivi, je me suis rendu jusqu’à 220 kilomètres avant d’abandonner parce que j’étais trop loin. J’aurais pratiquement fini hors délai. J’ai préféré m’arrêter. J’avais assez souffert pour la journée. » Après 64 jours de course, le champion canadien de contre-la-montre met un terme à sa saison. Son coéquipier Benjamin Perry, l’autre Canadien en lice, a été l’un des 10 coureurs à rallier le vélodrome hors délai, à plus de 35 minutes du vainqueur Colbrelli.