(Tarascon-sur-Ariège) Assis à la terrasse d’un café de Tarascon-sur-Ariège devant une brique de lait et une canette de bière, Lachlan Morton, un cycliste professionnel australien, profite d’un bref moment de répit dans son Tour de France « alternatif », en solo, sans assistance et en sandales, dans l’esprit des pionniers de l’épreuve.

Ses larges lunettes de soleil teintées, le maillot rose fluo de son équipe, Education First, et ses jambes affûtées interpellent les habitués de l’établissement : qu’est-ce que peut bien faire là ce coureur de la Grande Boucle, tout seul, au bord de la Nationale 20, cinq jours avant que le peloton ne soit censé y passer ?

Sa maigre collation terminée, Morton attache avant de repartir une baguette de pain sous la selle de son vélo de course en carbone. Chaussé de sandales pour ménager un genou douloureux et laisser respirer ses pieds usés par les 300 kilomètres avalés quotidiennement en moyenne, l’Australien de 29 ans a déjà tenu plus de la moitié de son pari fou.

Un Tour pour la bonne cause-des dons sont récoltés pour l’association World Bicycle Relief-à la poursuite de « l’esprit originel » de l’épreuve, lorsque, au début du 20e siècle, les coureurs se lançaient dans des étapes marathon, livrés à eux-mêmes.

Parti de Brest le 26 juin, une heure après le peloton, Morton est déjà sur le point de rallier Paris : quand ses collègues en finissent avec leurs étapes et filent à l’hôtel se faire masser, lui continue de rouler, au milieu de la circulation, à raison d’une douzaine d’heures par jour.

Un autre cyclisme

Il aura parcouru 5510 kilomètres au total une fois arrivé sur les Champs-Élysées (probablement mardi), soit 2127 de plus que le parcours officiel du Tour, car il couvre également à vélo les distances entre villes d’arrivée et de départ, parfois énormes.  

Engagée au plus haut niveau de compétition, sur le WorldTour, son équipe américaine, Education First, promeut dans le même temps un autre cyclisme, à travers un « calendrier alternatif » fait de courses hors routes et d’épreuves longues distances qui correspondent bien à la personnalité et aux aspirations du natif de Port Macquarie.

« Courir un grand Tour, c’est beaucoup de pression, avec un plan d’attaque précis pour chaque étape. J’aime cet environnement, mais à petites doses », témoigne-t-il. « Je préfère de loin ce que je fais en ce moment ».

Épris de liberté et de grands espaces, Morton profite de ce Tour en « touriste » pour découvrir autrement la France et ses habitants : « Je passe beaucoup de temps avec d’autres cyclistes et ça peut devenir ennuyant à la longue. C’est donc sympa de rencontrer des gens qui ont une vie complètement différente de la mienne ».  

« Sac de couchage trempé »

Deux cyclistes amateurs viennent d’ailleurs se joindre à lui dans le col de la Core, en Ariège. Décontracté et peu marqué par l’effort, il fait volontiers la conversation, mais refuse par principe de prendre la roue de ses compagnons de fortune ou les friandises qu’on lui tend.

Le vainqueur du Tour de l’Utah 2016, qui a déjà participé au Giro et à la Vuelta, traverse chaque jour, au gré de la météo et des ennuis mécaniques, des montagnes russes physiques et psychologiques.

« C’est difficile de devoir tout gérer. J’ai fait quelques erreurs en n’ayant pas assez à manger. J’ai dormi dans un sac de couchage trempé. Mais c’est ce qui rend tout ça si spécial », témoigne-t-il, ravi d’avoir de longues plages d’introspection, seul sur son vélo au milieu de la nature, de la musique dans les oreilles.

Arrivé au camping « Les Vignes » de Castillon-en-Couserans, près de Saint-Girons, au terme d’une journée à plus de 5000 mètres de dénivelé positif dans les Pyrénées, Morton gonfle à la bouche son matelas alvéolé, qui rentre à peine dans sa minuscule tente tunnel.

Lorsqu’il la referme le soir, raide de fatigue, il rêvasse parfois de ce qui l’attend au bout de son périple : troquer son vélo de route pour un VTT, dormir dans un vrai lit et porter des vêtements propres. « Dans cet ordre », assure-t-il, jamais lassé de pédaler. Même en sandales.