«Il va falloir maintenant se concentrer sur les 24 heures du Mans et sur Montréal. Ça ne donne rien de tenter de revenir en NASCAR sans un plan d'affaires bien établi. Va falloir tout refaire».

Il était minuit à Paris pour Jacques Villeneuve au moment de la conversation: «J'ai quitté pour Paris au lendemain des qualifications ratées. J'avais besoin de retrouver les miens. Pour bien réfléchir et faire le bilan de la situation», d'expliquer Villeneuve.

Il y a de la déception dans la voix, c'est évident. Mais il est loin d'être découragé. «Quand j'ai réalisé à quel point les choses étaient beaucoup moins avancées que ce que disait Craig Pollock, j'ai rompu notre lien d'affaires. Mais je ne m'étais jamais occupé de ces transactions de commandites et de cette mise en marché. Je me suis retrouvé seul, sans expérience aucune. J'ai tenté pendant ces quelques semaines d'apprendre sur le tas et d'établir les contacts, mais c'était illusoire. Je n'avais jamais fait ça. Et puis, j'ai compris que ça ne donnait rien de tenter d'obtenir une commandite de5 millions en sachant que celle-ci ne permettait que de faire le quart de la saison», de dire Villeneuve.

«Mais je n'abandonne pas. Barry Green va m'aider aux États-Unis. D'autres vont m'aider au Québec et au Canada. Je vais monter un plan d'affaires solide pour que les investisseurs voient bien leur avantage dans une commandite en NASCAR. J'ai au moins fait la preuve que je pouvais rouler très vite en NASCAR même si la voiture à Daytona était très mal réglée. J'étais dans la voiture et on aurait dit une truite qui gigotait. Mais ça ne donnait rien de lever le pied, je devais être devant, je devais foncer. J'ai foncé. Et puis, j'aurai au moins tâté de cette course mythique. Je sais comment ça se passe. Je serai plus aguerri», de dire Villeneuve.

L'aventure de Villeneuve en NASCAR aura été mal engagée dès le début. Craig Pollock, en qui il vouait une confiance absolue depuis presque 20 ans, a brûlé de belles opportunités d'affaires en tentant de négocier l'achat d'une équipe. Puis, il a bluffé sans prévenir Villeneuve au point de lui laisser un merdier inextricable en décembre dernier. D'ailleurs, les lecteurs de La Presse savaient tout au long des tentatives de Villeneuve de monter son financement que la partie était rude et que rien n'était certain. Au contraire. D'autres y allaient de manchettes ronflantes pour annoncer que Villeneuve était assuré de courir toute la saison.

C'est à Montréal, en août dernier, que l'aventure a commencé à vraiment déraper. Qu'on ne s'y trompe pas, George Gillett aurait été enchanté d'embaucher un pilote de Formule 1 pour son équipe. Pollock a refusé que Villeneuve ne participe à Montréal. Patrick Carpentier a sauté à pieds joints sur la chance de courir à Montréal. Il a gagné et s'est mérité un volant dans les majeures du NASCAR.

Peut-être que Villeneuve ne le sait même pas, mais Normand Legault avait déniché un commanditaire pour lui pour la course de Montréal. Il s'agissait de l'Équipeur. Pas une commandite pour toute une saison, mais il faut savoir que l'Équipeur appartient à Canadian Tire. On ne sait jamais. Une excellente performance, un week-end d'enfer et les portes s'ouvrent parfois.

De plus, même si le représentant de Villeneuve auprès des grandes compagnies québécoises et canadiennes a fait du bon travail dans le montage des dossiers, c'est un gentil Irlandais qui ne dit pas un mot de français et qui ne connaît aucun des présidents et patrons de ces entreprises. Le temps de franchir les niveaux des entreprises, il était déjà trop tard.

Je pense en particulier à CGI, une compagnie de services en informatique. Une perle d'entreprise sous-évaluée en bourse et toujours en quête de contrats. Je suis convaincu qu'un vrai homme d'affaires ou avocat d'affaires aurait expliqué au président de CGI que ce n'était pas seulement la visibilité sur la voiture qui comptait dans une commandite NASCAR. Pendant 38 fins de semaine, lui ou ses vice-présidents marketing ou aux ventes auraient côtoyé les patrons de 180 grosses compagnies impliquées dans le NASCAR.

Par les voies officielles et habituelles, ces rencontres demandent des années et des années d'efforts.

Si Gillett n'avait pas été pas le propriétaire du Canadien, pensez-vous qu'il aurait eu la chance de convaincre Tom Hicks, des Stars de Dallas, d'investir un milliard pour acheter l'équipe de soccer de Liverpool? Les deux se sont connus lors de meetings de la Ligue nationale de hockey.

En commanditant une voiture de NASCAR (ou de Formule 1), une entreprise se donne la priorité absolue dans les contacts d'affaires avec leurs partenaires dans le paddock. On paye des dizaines et des dizaines de millions en F1 pour ce privilège. La NASCAR est également une énorme affaire à exploiter. Mais ça ne s'explique pas en trois semaines.

Hier soir, Villeneuve était en famille avec ses garçons Jules et Joakim et sa belle Johanna. Elle lui ferait un bon gérant. Elle a de qui tenir. Après tout, son père n'était-il pas le gérant de Claude François et des Gypsy Kings! On se souvient encore de lui à Chicoutimi. «Si on se souvient de mon père à Chicoutimi, alors, il ne doit pas y avoir grand-chose d'excitant dans la ville», a-t-elle lancé en riant...

Un rire qui faisait du bien...