Aucune course automobile n'est plus importante aux États-Unis que les 500 milles d'Indianapolis. Et aucune édition de cette course n'a suscité autant d'intérêt depuis quelques décennies que celle de cette année. On célèbre en effet le 100e anniversaire de cette épreuve légendaire et le Québécois Alexandre Tagliani s'est invité au premier rang des célébrations!

«Tag», comme on le surnomme dans le milieu du sport automobile, a enlevé la position de tête sur la grille de départ, samedi dernier, en devançant les pilotes de pointe des grandes équipes de la série IndyCar. En maintenant une moyenne de plus de 365 km/h sur quatre tours du circuit de 2,5 milles, le pilote de 38 ans a damé le pion à tous ceux qui rêvaient de mener les tours de formation des 500 milles du centenaire.

Il s'agit d'un honneur prestigieux et Tagliani y voit l'un de plus beaux exploits de sa carrière. «Le 100e anniversaire, c'est unique!» a-t-il insisté, cette semaine, en entrevue. Personne ici n'a disputé les premiers 500 milles et personne ne verra les 200e! Obtenir la "pole" de cette épreuve, cette année, c'est la réalisation d'un rêve.»

Réputé pour être l'un des meilleurs pilotes de monoplace en Amérique du Nord, Tagliani n'a pas toujours eu les moyens d'obtenir des résultats à la hauteur de son talent. Après avoir été dans quatre équipes de la série Champ Car en huit saisons, de 2000 à 2009, il avait lancé en 2010 le FazzT Racing, avec son ami et associé André Azzi, avec l'objectif justement de participer aux 500 milles de 2011.

Officiellement «québécoise», l'équipe était basée à Indianapolis. «La structure n'était pas idéale, reconnaissait Tagliani cette semaine. J'étais presque toujours à l'usine alors qu'André était au Québec. Il manquait un patron...»

L'Américain Sam Schmidt, dont l'équipe a un solide palmarès en série Indy Lights (30 victoires en 100 courses), a racheté le matériel de FazzT l'hiver dernier et il a donné une autre dimension à l'affaire.

Ancien pilote de la série IndyCar, handicapé depuis un accident en 2000, Schmidt a décidé de lancer son écurie après avoir rencontré Frank Williams, le créateur de l'équipe Williams en F1, lui-même quadraplégique depuis un accident d'avion.

Incapable jusque-là de monter une opération solide en IndyCar, Schmidt a insisté pour conserver le personnel de l'équipe et les commanditaires ont suivi. Une deuxième voiture a été préparée pour l'Américain Townsend Bell et Tagliani est maintenant beaucoup mieux entouré.

«Sam a vraiment fait une grosse différence, a-t-il expliqué. C'est lui le patron, mais il est très près de tout le monde. Chacun donne toujours le maximum pour l'aider à atteindre ses objectifs. L'autre jour, après avoir enlevé la "pole position", c'était vraiment très émouvant de le voir pleurer de joie.»

Une semaine excitante... et épuisante

Projeté au premier rang des célébrations entourant le 100e anniversaire des 500 milles, Tagliani vient de vivre une semaine de fou. Une tournée des grandes villes américaines - avec ses partenaires de la première ligne, Scott Dixon et Oriol Servia - des dizaines d'entrevues, des milliers d'autographes l'ont empêché de préparer dans le calme nécessaire la course de demain.

«Je ne pense pas avoir refusé plus d'un autographe, et c'était parce que je devais aller aux toilettes! a raconté cet athlète extrêmement sympathique. C'est une occasion extraordinaire pour moi et pour l'équipe, autant en profiter.»

D'autres pilotes ont toutefois souligné que si Tagliani et son équipe avaient beaucoup et bien travaillé sur sa qualification, ils n'étaient sûrement pas aussi affûtés pour la course.

«Nous avions eu le temps de rouler en conditions de course, avec le plein et avec les réglages aérodynamiques appropriés, durant la semaine précédent les qualifications, a toutefois répliqué le pilote québécois. Ce sont mes troisièmes 500 milles, je sais à quoi m'attendre.

«Mais nous savions que nous avions une voiture pour réussir un bon temps en qualifs, nous avions la chance de partir en première ligne, en "pole" même. Dans la vie, il faut saisir les occasions quand elles se présentent. Celle-là était trop belle.

«Et je suis sûr que tous les pilotes qui disent avoir travaillé sur les réglages pour la course échangeraient leur place avec la mienne sur la grille de départ!»

Il est trop tard, évidemment, et c'est bien «Tag» qui sera la vedette de l'avant-course, dimanche midi, à la télé américaine. Et c'est aussi lui qui mènera les 33 concurrents au départ, devant les quelque 300 000 spectateurs.

N'allez pas penser qu'il n'a aucune chance de s'imposer, bien au contraire. Pour gagner les 500 milles, il faut être rapide certes, mais aussi patient et chanceux, autant de qualité que Tagliani a démontré à plusieurs reprises depuis trois semaines à Indianapolis.

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Un palmarès prestigieux

Disputés depuis 1911, les 500 milles d'Indianapolis ont été remportés par la plupart des grands pilotes américains - Mario Andretti, A.J. Foyt, Al Unser, Mark Donohue -, mais aussi par plusieurs étrangers. Inscrite au calendrier du Championnat du monde de F1 entre 1950 et 1960, l'épreuve a continué à attirer des équipes comme Ferrari, Lotus ou McLaren jusque dans les années 1970. Les Britanniques Graham Hill et Jim Clark, le Brésilien Emerson Fittipaldi, le Québécois Jacques Villeneuve - tous Champion du monde - se sont imposés à Indy.

Une couse tragique

Pas moins de 66 personnes ont perdu la vie sur et autour du circuit d'Indianapolis depuis sa construction en 1909. Quatorze pilotes sont décédés en course, le dernier ayant été l'Américain Swede Savage en 1993. En essais, la dernière victime a été l'Américain Scott Brayton, détenteur de la position de tête en 1996, qui est mort instantanément dans l'accident de sa voiture de réserve, quelques jours avant la course. L'une des victimes les plus innocentes fut certes Wilbur Brink, un garçon de 12 ans, qui jouait dans la cour de sa maison voisine du circuit en 1936, quand il fut atteint par la roue d'une voiture accidentée.

Des femmes au départ

Le Speedway d'Indianapolis a longtemps été un temple du machisme. Les femmes journalistes n'y ont été admises qu'en 1971 et l'Américaine Janet Guthrie a été la première à tenter de se qualifier, en 1976. Au total, huit femmes ont participé aux 500 milles et elles seront encore quatre cette année, égalant le record établi en 2010. La Brésilienne Ana «Bia» Beatriz, la Suisse Simona di Silvestro, la Britannique Pippa Mann et l'Américaine Danica Patrick se sont qualifiées le week-end dernier. Patrick est la seule à avoir mené la course (19 tours en 2005) et sa troisième place en 2009 reste le meilleur résultat féminin.