Pour faire pétiller les yeux des Italiens - et peut-être y trouver un début de larme -, il suffit de prononcer un nom: Gilles Villeneuve. Au pays de la Ferrari, la passion pour le "Canadesino" fait encore vibrer les coeurs, 31 ans après sa mort.

Il y a un objet dont Giorgio Meroni ne se sépare jamais: une photographie prise le 7 mai 1982, la dernière du vivant de Gilles Villeneuve. On y voit le pilote à son dernier souper à Zolder, la ville belge hôte du Grand Prix, entouré de ses amis, dont Giorgio Meroni, alors âgé de 35 ans.

À la suite de l'accident, des journalistes lui ont offert des milliers de dollars pour ce cliché. «Je ne voulais rien savoir, se souvient Meroni. J'étais sous le choc.»

Aujourd'hui président d'un club de ferraristi, Giorgio Meroni organise deux rassemblements de Ferrari par mois en l'honneur de son ami. Ainsi, le 30 juin dernier, une quarantaine de bolides rutilants ont formé un coeur dans la magnifique région du lac de Côme.

«Tout ceci pour Gilles, le plus grand de tous. Il est encore dans le coeur des Italiens», dit Meroni.

Un des leurs

Giorgio Meroni n'a peut-être pas tort. Gilles Villeneuve est au sommet du panthéon des sports en Italie, aux côtés de Tazio Nuvolari, le héros national de la course automobile. Le duel de Dijon avec René Arnoux, la trahison de son coéquipier Didier Pironi à Imola, les Italiens connaissent la légende par coeur.

«Son nom est immensément populaire auprès de nos fans, même les jeunes, confirme à La Presse Renato Bisignani, porte-parole de Ferrari. C'est incroyable quand on sait qu'il est mort sans titre mondial à son nom.»

Le 30e anniversaire de sa mort a d'ailleurs été célébré tout au long de 2012, notamment au siège social de Ferrari, à Maranello.

Un superbe numéro spécial de La Gazzetta dello Sport dédié au "Canadesino" (le surnom que donnait Enzo Ferrari à Villeneuve) a été réédité trois fois à cause de la forte demande, pour un total de 20 000 exemplaires. Sur la couverture, un seul titre: "Gilles".

«Les Italiens l'appellent par son prénom comme s'il était un des leurs», explique Daniela Renosto, déléguée du Québec à Rome, qui a vu des gens en pleurs aux cérémonies de commémoration.

Elle-même remarque souvent une photo du pilote à l'entrée d'un restaurant ou d'un commerce, au lieu d'un cadre du pape ou de Sophia Loren. «Quand je dis à la personne derrière le comptoir que je suis aussi Québécoise, je fais fureur», dit celle qui habite l'Italie depuis 20 ans.

Ce qui a fait dire à Joann Villeneuve l'année dernière que son mythe est encore plus fort en Italie qu'au Québec.

Comme James Dean

Tous les Italiens de 40 ans et plus vous diront où ils étaient quand la Ferrari de Villeneuve a capoté à Zolder. Marco Cestari, par exemple, travaillait comme cuistot quand un collègue lui a annoncé la nouvelle. «J'étais incapable de continuer à travailler. Ce soir-là, j'ai pleuré", se souvient l'homme de 49 ans, qui possède deux portraits de son héros autographiés par Joann et Mélanie Villeneuve.

Pour Jonathan Giacobazzi, fils du commanditaire de Gilles Villeneuve, sa disparition a été un traumatisme. «J'étais inconsolable pendant des mois, affirme le plus important collectionneur des articles du pilote. J'avais seulement 9 ans et je l'avais côtoyé chaque jour pendant trois ans. Après sa mort, c'était comme apprendre à vivre sans sel ni poivre.»

Selon le photographe retraité Giorgio Proserpio, qui jouait aux cartes avec Gilles après ses courses, le fait qu'il soit mort à son apogée agit comme un carburant sur la passion collective. «C'est un peu comme le James Dean de la Formule 1», dit M. Proserpio, qui a couvert le Grand Prix de Monte-Carlo pendant 40 ans.

Les sept titres de Michael Schumacher seraient-ils tombés dans l'oubli? L'Allemand n'a pas fait vivre les mêmes émotions que le petit Québécois fou de vitesse, répondent les ferraristi. «Gilles a fait mieux avec des voitures bien inférieures, explique Marco Cestari. Mais par-dessus tout, c'était quelqu'un de simple qui emmenait sa famille partout. Comme nous.»

Dans le coeur de Ferrari

« Parmi les visages de mes proches, je vois celui d'un grand homme : Gilles Villeneuve. » Enzo Ferrari ne cachait pas son affection pour le pilote québécois. Et c'est peut-être un peu grâce à lui si les Italiens s'en sont entichés à leur tour.

En le recrutant alors qu'il n'était qu'un illustre inconnu, en 1977, le fondateur de Ferrari jouait gros. « Il voulait démontrer qu'avec ses voitures, n'importe qui pouvait devenir un champion », a expliqué à La Presse Paolo Ianeri, chroniqueur pour La Gazzetta dello Sport.

Mais Enzo Ferrari a rapidement réalisé que Villeneuve avait la trempe de Tazio Nuvolari, la légende italienne de la course automobile.

À bien des égards, le vieil homme le traitait comme son fils, n'hésitant pas à poser la main sur son bras ou même un baiser dans ses cheveux, comme à la fin d'une conférence de presse en 1981.

Les choses se sont bien sûr gâtées un peu avant la tragédie de Zolder. Le « petit gars de Berthier » s'était senti trahi à la suite du Grand Prix de San Marino de 1982, au cours duquel son collègue Didier Pironi l'avait coiffé au dernier tour, ne respectant pas son rang de second conducteur.

« Pour Enzo Ferrari, le plus important était qu'une Ferrari ait gagné », affirme Jonathan Giacobazzi, fils du commanditaire principal de Villeneuve.

Malgré cette finale amère, Gilles Villeneuve est reconnu chez Ferrari comme le pilote préféré du Commendatore.

« Une photo de lui se trouvait près d'Enzo Ferrari quand il est décédé, révèle le porte-parole de l'écurie, Renato Bisignani. Villeneuve aura toujours une place d'honneur dans notre histoire. »

Photo fournie par UPI

Enzo Ferrari en compagnie de Gilles Villeneuve après une séance d'essais en 1980 à Imola.