Après tout, on peut y voir, ici, un ingénieur aux couleurs de l'écurie Williams échanger avec un collègue de Toyota. Là, c'est un cuisinier de Ferrari qui va emprunter une bouteille de gaz chez McLaren.

Après tout, on peut y voir, ici, un ingénieur aux couleurs de l'écurie Williams échanger avec un collègue de Toyota. Là, c'est un cuisinier de Ferrari qui va emprunter une bouteille de gaz chez McLaren.

Le paddock, vu de l'extérieur des motorhomes, ronronne d'une tranquillité rassurante. On se dit que ces gens-là ont conscience que la Formule 1, malgré ses budgets colossaux, reste un sport, une activité de divertissement. Et que la seule rivalité qui règne entre les équipes se borne à la piste.

Douce utopie. En Formule 1 comme ailleurs, l'argent a modifié bien des comportements humains. Avant que les écuries ne soient autorisées à arborer les couleurs de commanditaires, à la fin des années 1960, les relations entre les écuries étaient effectivement marquées du sceau de la franche camaraderie. Mais depuis que les budgets ont pris l'ascenseur, cette amitié s'est muée en amour vache.

Derrière ce décor sympathique qui frappe le visiteur du paddock, règnent aujourd'hui les coups tordus en tous genres, les dénonciations de tous poils, l'espionnage systématique et le débauchage des responsables des écuries adverses.

Pour gagner, les patrons des équipes sont prêts à tout. En théorie, c'est aux envoyés de la Fédération internationale de l'automobile (la FIA) de faire appliquer le règlement et d'en assurer le respect. En pratique, il est à ce point difficile de comprendre la manière dont les monoplaces de F1 fonctionnent que les commissaires techniques comptent beaucoup sur l'aide des écuries pour s'autosurveiller. Qui, mieux qu'un ingénieur travaillant sur tel ou tel concept, peut comprendre comment son adversaire y travaille et, éventuellement, transgresse le règlement.

C'est ainsi que la Scuderia Ferrari a dénoncé l'équipe Honda juste après le Grand Prix de Saint-Marin en 2005 pour son utilisation d'un réservoir d'essence double - l'un imbriqué dans l'autre -, ce qui permettait de disposer de carburant supplémentaire au moment de la pesée de la voiture. Ferrari se sentait gênée de la montée en puissance de Honda, Jenson Button venant de terminer troisième, juste derrière Michael Schumacher. Résultat de cette dénonciation: l'équipe Honda, d'abord menacée d'exclusion pour la totalité du championnat 2005, a été suspendue pour deux Grands Prix, tandis que le podium d'Imola était annulé.

En fait, bien souvent, les écuries qui décèlent une tricherie tentent de copier ce qu'elles ont découvert, histoire de profiter, elles aussi, de l'avantage. Elles ne se résolvent à dénoncer l'astuce à la FIA que si elles n'y parviennent pas, ou que la combine repérée ne s'adapte pas à leur voiture. C'est l'exemple de McLaren, l'an dernier, qui dévoila au Grand Prix d'Allemagne le dispositif des mass dampers (les suspensions à amortisseurs de vibrations) inventés par Renault et que l'équipe anglaise ne parvenait pas à adapter sur ses MP4-21.

On se souvient encore des photos prises au Grand Prix de Hongrie 2003 par le manufacturier Bridgestone, qui, transmises à la FIA, persuadèrent celle-ci d'interdire les pneus avant Michelin, accusés de se déformer au-delà des dimensions réglementaires. Il faut préciser que la marque japonaise venait juste d'essuyer une cinglante défaite à Budapest, sa première voiture terminant huitième, à un tour du vainqueur - en l'occurrence Fernando Alonso, qui remportait ce jour-là sa première victoire sur les pneus français.

Aucune franche camaraderie dans tout ça. L'impression à l'eau de rose que le visiteur garde du paddock se limite au prêt de sel et de poivre. Pour le reste, c'est chacun pour soi, c'est le règne des coups tordus et la haine ordinaire. Normal. Avec tant d'argent en jeu, la Formule 1 ne pouvait guère échapper aux lois de la nature humaine.