Quand je suis en voiture, je peste contre les motocyclistes. Et quand je suis à moto, je me méfie des automobilistes. Peut-on en finir avec cette incompréhension mutuelle?

Quand je suis en voiture, je peste contre les motocyclistes. Et quand je suis à moto, je me méfie des automobilistes. Peut-on en finir avec cette incompréhension mutuelle?

Un embouteillage. Un attroupement. Les véhicules de la Sûreté du Québec et d'Urgence Santé. Un petit tas de ferraille tordue. Une civière sur la chaussée. Encore un motocycliste qui vient de payer son tribut à la vitesse (?), à l'inconscience (?), à l'égoïsme (?). Ce spectacle qui, bon an mal an, se répète le printemps venu, me bouleverse jusqu'à la nausée. Sans doute parce que je suis, à mes heures, motocycliste aussi. Eh oui, bien que chroniqueur automobile à La Presse, je me déplace parfois à deux roues. Mon collègue Bertrand Gahel, qui écrit sur les motos dans ces pages, ne roule-t-il pas en auto parfois?

Cela dit, comme tout motocycliste, je sais que, statistiquement parlant, je joue à la roulette russe: je serai un jour celui qu'on emmène d'urgence à l'hôpital. Ce sort est-il inéluctable comme semble le croire le président de la SAAQ? Ma belle-mère pense que oui (elle a d'ailleurs menacé de détruire ma moto à coups de marteau il y a quelques années). Moi, je ne veux pas le croire. Mais la cohabitation sur les mêmes routes, d'engins aussi différents que les autos et les motos (oublions un instant les piétons, les poids lourds et les cyclistes) a peu de chance d'être pacifique. Et le combat est forcément inégal: les motocyclistes, soit un peu plus de 2 % des usagers de la route, représentent plus de 7 % de la mortalité routière au Québec.

Les automobilistes sont en grande partie responsables de cet état de fait. Bien à l'abri dans nos habitacles surchauffés, volume de la radio au plancher, téléphone à l'oreille, assoupis par la lenteur de la circulation, nous nous soucions peu du sort de cette «gang de malades» qui se jouent des embouteillages. En plus, ils nous font parfois des signes étranges que nous prenons pour autant d'agressions.

Erreur, une main gauche levée veut dire «merci de m'avoir dégagé la voie». À ne pas confondre avec le poing gauche dressé ou une tentative de coup de pied dans la portière. C'est vrai qu'ils ne sont pas toujours polis, les motocyclistes. Mais mettez-vous à leur place. Sur leurs machines, ils ont froid, sont trempés jusqu'au os, voient mal, doivent rester hyper-concentrés. Et parfois, s'ils vont vite, c'est moins par goût des sensations que pour en terminer au plus vite avec leur calvaire.

Les motocyclistes qu'on croise sur nos routes sont souvent plus expérimentés, mieux équipés et plus attentifs que leurs cousins des villes. Mais leur vitesse de circulation rend leur parcours encore plus dangereux. Car ils arrivent vite et les automobilistes ne décèlent souvent leur silhouette qu'à la toute dernière minute. Que celui qui n'a jamais franchi une intersection en se disant qu'il avait le temps de passer avant cette moto au loin ose dire le contraire.

Les torts sont partagés

Loin de moi l'idée d'accuser les seuls automobilistes. Nous autres motocyclistes avons aussi nos torts. Étrangers à ce monde de tortues enfermées dans leurs carapaces de tôle, nous réalisons mal à quel point il leur est difficile de nous voir et nous faciliter le passage. Et nous ne respectons pas scrupuleusement le Code de la route. Impatients, plusieurs de mes confrères roulent de l'autre côté de la ligne jaune, zigzaguent dans les bouchons de circulation ou se glissent à quelques millimètres d'un capot, comptant sur les reprises de sa machine pour, tel un toréador, éviter le coup de corne.

Peut-on espérer voir un jour cette cohabitation s'harmoniser? Il suffirait que les deux mondes cessent de s'ignorer. Pour ce faire, pourquoi ne pas imposer aux candidats automobilistes, à l'examen du permis de conduire, de monter derrière un moniteur pour faire un «tour de ville» en moto? Ils comprendraient alors peut être mieux les problèmes inhérents à ce mode de locomotion. Et les futurs motocyclistes gagneraient en indulgence en roulant quelque temps en voiture et en observant leurs congénères. Encore un voeu pieux?