« Je pense que le Québec a une question à se poser. Cette question, c’est : est-ce qu’on veut du sport élite ? »

Alexandre Victor s’est battu contre vents et marées. Il a tout fait pour que l’Institut de sport Dynastie grandisse et devienne une académie d’élite qui développe les talents de la francophonie. Au bout de cinq ans de travail acharné, à court de ressources financières, il a pris la décision, non sans difficulté, de déménager son produit là où on lui offre tout le nécessaire au succès. En Iowa.

« À un moment donné, tu te dis : est-ce que tu restes là où tu es toléré, ou est-ce que tu vas là où tu es célébré et où tes jeunes vont avoir de meilleures conditions ? », lâche l’entrepreneur au bout du fil.

Victor a créé l’Institut de sport Dynastie à Saint-Jean-sur-Richelieu il y a cinq ans. Il s’agissait du tout premier institut de basketball francophone privé, sans dépendance à une école ou à un cégep, à voir le jour en Amérique du Nord.

Sportivement parlant, Victor souhaitait former la jeune élite francophone pour l’aider à atteindre les sommets du basketball. À l’époque, en 2021, La Presse avait publié un long reportage sur le programme, situé dans une ancienne église.

Lisez le reportage de La Presse

« Je me donne trois ans de pertes conséquentes. Après, on essaie d’équilibrer », disait alors l’entrepreneur, qui ne s’est pas versé de salaire depuis. Il misait alors sur des revenus qui provenaient de quelques commanditaires et des frais exigés des familles, fixés au cas par cas selon la capacité de payer.

Afin d’augmenter les revenus, il allait développer une offre de services ouverts au public à même le centre. En 2020, Victor a trouvé des locataires pour ouvrir une clinique médicale et un gym. Seulement, la pandémie de COVID-19 est venue bouleverser les plans.

Quand il a repris les travaux, des mois plus tard, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) s’est présentée avec une plainte pour amiante dans le bâtiment. L’Institut a fermé pendant quatre mois, de mai à août 2023. Incapable d’offrir des camps estivaux, il a donc perdu une autre source importante de revenus.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Alexandre Victor

« Avant qu’on fasse des échantillons, on nous a vraiment fait peur en disant qu’il y avait de l’amiante partout dans l’église. Là, je me suis dit : c’est fini. Le but, c’était que les locataires ouvrent en septembre 2023. […] Je leur ai dit : malheureusement, ça ne sera pas possible.

« On s’est rendu compte d’où il y avait réellement de l’amiante. Finalement, ce n’était pas aussi [grave] que ça. On a payé pour désamianter la place. »

La résidence des jeunes, dans le presbytère, a aussi été condamnée parce qu’elle ne respectait pas les critères de la Ville en matière de sécurité en cas d’incendie. Il a dû louer deux maisons afin de les reloger.

Le bon écosystème

Du point de vue du basketball, toutefois, l’Institut roulait comme sur des roulettes. « On est allés chercher près de 3 millions de dollars en bourses pour nos jeunes, on gagne des championnats, on avait trois jeunes dans le March Madness cette année », lance Victor.

La série documentaire 300 paniers, qui entre dans le quotidien de l’Institut de sport Dynastie, a d’ailleurs récemment été nommée aux Rockie Awards du Festival international des médias de Banff.

Au cours des dernières années, Victor a reçu des appels de gens de l’Ontario et des États-Unis lui proposant de déménager le programme. « Je ne voulais pas échanger un dollar pour quatre 25 sous avec juste l’espoir », raconte-t-il.

Ce qu’il voulait, c’était de développer le projet ici, au Québec. Il voulait, notamment, bâtir un campus en achetant deux terrains autour de l’église.

« Je faisais des appels, je suis allé rencontrer la mairesse. Il n’y a pas de soutien. FACE Coalition [la Fédération de l’économie canadienne africaine] m’a approuvé pour un prêt de 250 000 $ et la BDC [Banque de développement du Canada] l’a descendu à 100 000 $.

« Tu dis : je suis prêt à être un pionnier, à payer le prix, à perdre de l’argent au début… Mais si, à un certain point, l’écosystème te montre les signes que ça n’a pas de valeur pour nous… Ce n’est pas “un qui a raison et un qui a tort”, c’est juste que tu vas aller là où l’écosystème embrasse la valeur que tu crées. »

Victor a travaillé à trouver des commanditaires, mais la tâche était ardue. Ses donateurs venaient pour la plupart de l’extérieur du Québec. Un investisseur africain était notamment prêt à injecter 800 000 $.

« Au bout du compte, je ne peux pas prendre l’argent de quelqu’un si l’environnement local n’adhère pas à l’idée. Pour lever un projet comme ça, il faut plus qu’une personne. Moi, je peux être l’instigateur, mais après ça, il faut que la municipalité veuille agrandir.

« Je ne vais pas dire [que la Ville a] été contre nous. On est tolérés. On fait ce qu’on fait, ils sont gentils avec nous, polis. Je n’ai rien à leur reprocher en tant que tel. Mais d’un autre côté, tu as des Ontariens et des Américains qui te donnent le tapis rouge, qui te disent : “On va faire ça pour toi, on va t’aider.” […] Tu te dis : wow, je n’ai pas ce traitement-là à la maison. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

L’Institut de sport Dynastie

On lui a proposé une rencontre pour un projet en Iowa. Le partenaire en question, situé à Des Moines, construit actuellement un complexe de « plus de 20 millions de dollars » incluant deux terrains et quatre demi-terrains, des salles d’études, des dortoirs, un salon des joueurs…

« Moi, au début, j’ai essayé de le convaincre d’investir chez nous. Après ça, en regardant la situation et ce qu’ils sont capables d’offrir, la sécurité que ça représente pour nos jeunes, les conditions dans lesquelles ils vont être… »

[Le partenaire] est prêt à prendre en charge toutes les dépenses pour les prochaines années. Il voit la valeur qu’on amène.

Alexandre Victor

Là-bas, raconte Victor, les membres de Dynastie sont reçus comme des rois. Les jeunes qui ont déjà visité les lieux, et qui y passeront les prochains mois, sont « enthousiastes ».

« Un deuil »

En tant qu’entrepreneur, Alexandre Victor a un deuil à faire. « Il y a une déception parce que je sens que j’ai voulu m’aligner avec les priorités locales, soit la promotion du français – je recrutais juste dans la francophonie. On donnait une deuxième vie au patrimoine immobilier québécois. Pour moi, c’était un clin d’œil. Je voulais faire un projet gagnant-gagnant.

« L’affaire, c’est que si je sentais qu’il y avait un changement qui était en train de s’effectuer au Québec… Je ne suis pas quelqu’un qui s’en va juste pour un meilleur salaire. Quand tu changes d’emploi, c’est parce qu’il y a de meilleures conditions. Ce n’est pas juste l’argent qui importe. Si tu sens que ton employeur ne te valorise pas…

« C’est un deuil, parce qu’il y a une partie de moi qui avait tout cet attachement-là au Québec, à la francophonie… Mais au bout du compte, ma vraie mission, c’est par rapport au travail qu’on fait avec les jeunes et je pense que je vais avoir de meilleures conditions pour le faire. »

Victor n’a pas encore décidé ce qui adviendra de Dynastie au Québec, alors qu’il demeure propriétaire de l’église à Saint-Jean-sur-Richelieu.

« Si mon départ fait que certaines personnes réagissent et disent : “on ne peut pas perdre un fleuron comme ça”… Je ne ferme pas la porte du Québec en disant : “Je suis fâché, je m’en vais.” Moi, je dois faire ce qui est le mieux pour les jeunes et notre organisation.

« Pour que je puisse continuer à investir, il faut qu’il y ait une réflexion qui se fasse et que le Québec se dise : est-ce qu’on veut ça, est-ce qu’on y croit ? Ou est-ce qu’on veut payer 5 millions de dollars pour qu’une équipe de hockey veuille venir jouer à Québec ? Quelles sont nos valeurs ? »