Avril 1969. Le Canadien poursuit sa marche triomphale vers la Coupe Stanley. Mais les Québécois se passionnent aussi pour cette nouvelle équipe à l’étonnante casquette tricolore : les Expos, qui font leurs débuts dans le baseball majeur. On fait connaissance avec des joueurs dont les noms deviendront magiques : Rusty Staub, Mack Jones, Jose « Coco » Laboy, Bob Bailey et les autres…

La saison commence à New York, où les Expos remportent une sensationnelle victoire de 11-10 contre les Mets et leur lanceur étoile, le grand Tom Seaver.

Six jours plus tard, c’est l’ouverture du calendrier local contre les Cards de St-Louis. La veille, pendant que des ouvriers achevaient l’aménagement du stade du parc Jarry, des centaines de partisans se sont rendus à l’aéroport pour accueillir l’équipe au retour d’un honorable premier séjour à l’étranger : deux victoires et quatre revers. L’espoir est au rendez-vous : les Expos sont un club de l’expansion, mais leur saison ne sera peut-être pas si misérable.

Pour ce premier rendez-vous entre les Expos et les Montréalais, le ciel est bleu et une chaleur printanière enveloppe la ville. Le premier ministre Jean-Jacques Bertrand, le maire Jean Drapeau, le commissaire du baseball Bowie Kuhn et plusieurs vedettes du Canadien, en congé ce jour-là, comptent parmi les 29 000 personnes qui donnent un air de fête au parc Jarry.

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

De nombreux joueurs du Canadien assistent à la partie : Jacques Laperrière, Claude Larose, Terry Harper, Jean Béliveau et Henri Richard.

Les Expos en mettent plein la vue et remportent une victoire de 8-7. Le lendemain, le titre de La Presse est éloquent : « Les Montréalais ont adopté les Expos et un joueur portant le numéro 9 ». Il s’agit bien sûr de Mack Jones, le puissant voltigeur de gauche, qui a cogné un triple, un circuit (dans la piscine publique derrière le champ droit) et produit cinq points.

Un seul match à Montréal et la magie est déjà créée.

Malgré leurs lacunes, les Expos poursuivent leur saison avec un certain aplomb. Leurs pires séries de défaites se limitent à trois matchs. Le samedi 10 mai, un mauvais jour du printemps québécois, ils battent les Reds de Cincinnati 7-6 sur un terrain détrempé, dans le vent et le froid. « À quand un stade avec un dôme ? », demande La Presse.

C’est alors que la dégringolade s’amorce. Et que les mots « club de l’expansion » prennent tout leur sens.

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Non, ça ne va pas bien pour les Expos. Le 25 mai, à Cincinnati, ils subissent leur 10e revers de suite, qui met un terme à un désastreux séjour à l’étranger. Dans l’avion qui ramène l’équipe à Montréal, le journaliste de La Presse Gérard Champagne s’étonne des « sourires épanouis » des membres du groupe. Mais il s’agit d’une façade, ajoute-t-il, citant le gérant Gene Mauch : « Si je paraissais soucieux, inquiet, les joueurs le remarqueraient, je les rendrais nerveux et tendus. Un bon gérant doit être un bon comédien ».

Mauch, qui roule sa bosse depuis des années dans le baseball majeur, et qui a tout vu ou presque, sait bien que les miracles sont impossibles avec une équipe pareille, composée de joueurs abandonnés par d’autres organisations. L’important est de garder le moral.

À leur immense surprise, les Expos sont accueillis avec enthousiasme à l’aéroport. « Des centaines de Montréalais les attendent avec pancartes et la fameuse casquette des Expos, écrit Champagne. On leur crie “bravo”. Les joueurs ne comprennent rien. Ils viennent de subir six défaites consécutives dans un voyage et ils sont acclamés par leurs partisans à leur arrivée. Qu’est-ce qui se passerait si jamais les Expos connaissaient une tournée réellement fructueuse ? »


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Deux jours plus tard, les Expos retrouvent le parc Jarry. Mais les Dodgers de Los Angeles gâchent ces retrouvailles avec les partisans en balayant une série de trois matchs.

Qu’à cela ne tienne, les visiteurs suivants sont les Padres de San Diego qui, comme les Expos, sont une équipe d’expansion. L’occasion est belle de mettre fin à cette descente aux enfers.

Hélas, les visiteurs se sauvent avec une victoire de 3-2 en 10 manches. « Comment expliquer que les Expos aient subi la défaite, alors qu’ils ont frappé deux fois plus de coups sûrs que leurs rivaux ? », s’interroge Jacques Doucet. Plus loin dans son texte, le journaliste de La Presse fournit la réponse : les erreurs de Maury Wills et de Coco Laboy ont fait très mal. Seul moment de réjouissance : le receveur John Boccabella a cogné son premier circuit de la saison.

Comme les Dodgers avant eux, les Padres balaient cette série de trois matchs. Seize défaites de suite pour les Expos ! La Presse titre : « Quand et comment s’arrêtera la glissade du club Montréal ? »

Gene Mauch est à court de mots : « Chacun ressent une sensation terrible… », déclare le gérant, dont la voix est éraillée. Explication de Doucet : « À force de crier contre les arbitres et pour encourager ses joueurs, Mauch souffre d’une légère attaque de laryngite. »

Ce lancinant séjour à domicile prend fin avec deux matchs contre les Giants de San Francisco. Il faut mettre fin à cette guigne avant un nouveau séjour à l’étranger. Mais non. Les Giants s’imposent de manière convaincante. Les Expos ont maintenant subi 18 revers d’affilée.

En route vers Los Angeles, où les Dodgers salivent déjà à l’idée de botter le derrière de cette pauvre équipe, les Expos s’arrêtent à Vancouver pour disputer un match amical contre leur filiale de l’endroit. Plusieurs jeunes joueurs sont utilisés, mais les Montréalais perdent de nouveau ! Quand ça va mal…

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Les choses ne s’améliorent pas en Californie, où les Dodgers battent les Expos coup sur coup : 20 défaites de suite ! Le dernier duel de la série a lieu le dimanche 8 juin.

En quatrième manche, Rusty Staub donne l’avance aux siens avec un circuit de deux points. Et quand les Dodgers s’amènent au bâton en fin de neuvième, les Expos mènent 4-1. La victoire est enfin à leur portée. Mais rien n’est facile pour les Z’Amours et les prochaines minutes le démontrent. Les Dodgers inscrivent d’abord deux points, dont un sur… une feinte illégale du releveur Elroy Face !

La poussée des locaux se poursuivra-t-elle ou les Expos s’accrocheront-ils à cette mince priorité de 4-3 ? Avec un seul retrait, les Dodgers ont des coureurs aux deuxième et troisième buts. Mais Face contraint Ken Boyer à retrousser un ballon à l’avant-champ pour le deuxième retrait. Willie Crawford s’amène alors au bâton. Il cogne une balle profondément au champ droit, Staub recule… et la saisit ! Oui, les Expos ont gagné !

Dans La Presse, Jacques Doucet cite Gene Mauch : « Il m’a semblé que cette balle a flotté durant 30 minutes dans l’air avant que Staub ne la saisisse. Mais lorsque Staub a frappé dans son gant, j’ai poussé un soupir de soulagement. Je savais que le match était terminé. » 

En toute franchise, je ne crois pas que j’aurais pu endurer un tel supplice une autre journée. […] Non, ne vous méprenez pas. Aucune question de retraite dans mon cas. Mais j’étais à bout d’imagination. Je ne savais plus quelle méthode utiliser pour que l’équipe secoue cette léthargie.

Gene Mauch, gérant des Expos

Les Expos termineront le calendrier 1969 avec une fiche de 52 victoires et 110 revers, à 48 matchs de la tête. Leur série de 20 revers est un fait marquant de la saison. Mais rien n’entache l’amour que leur portent les fans. À leur dernière présence au parc Jarry le 28 septembre, plus de 23 000 personnes les saluent chaleureusement en rêvant déjà à la saison suivante.