Aucun patineur de vitesse longue piste s'entraînant au Québec n'était monté sur un podium individuel en Coupe du monde depuis plus de 15 ans. Laurent Dubreuil a réussi l'exploit dimanche, terminant troisième au 500 mètres, à Séoul. «La première médaille de plusieurs», a lancé l'ambitieux patineur, qui a rebondi après son exclusion des Jeux olympiques de Sotchi, l'hiver dernier. Avant le début de la saison, La Presse l'a rencontré au centre national d'entraînement Gaétan-Boucher.

Une fine couche de glace fraîche recouvre la dalle de béton de l'anneau Gaétan-Boucher, à Sainte-Foy. Des employés méticuleux s'affairent à tracer des lignes à la peinture rouge et bleue. Lorqu'on pénètre dans l'édifice qui surplombe la piste, un compresseur ronronne. De la douce musique aux oreilles de Laurent Dubreuil.

«Au moins, on va avoir une glace», lance le patineur de 22 ans, pour qui ce son est synonyme d'ouverture imminente de l'ovale. «C'est bruyant, mais en plein milieu de la saison, quand on l'a toute la journée dans les oreilles, on ne l'entend plus.»

Dubreuil ne profitera pas de la glace avant un mois et demi. Une bonne nouvelle pour lui, puisque cela signifie qu'il s'est qualifié pour les quatre premières Coupes du monde de la saison, en Asie et en Europe. Il y est parvenu avec un coup d'éclat en remportant le 500 mètres des sélections canadiennes, à la fin du mois d'octobre, à l'ovale de Calgary.

Cette première victoire sur la scène nationale, dans une épreuve traditionnellement forte, annonçait de belles choses. «Laurent est capable de finir régulièrement dans le top 10 cette année», prédisait son entraîneur Gregor Jelonek avant son départ.

Après s'être classé successivement huitième, sixième et septième, Dubreuil a fait encore mieux dimanche en terminant troisième du deuxième 500 m de Séoul, son premier podium sur le circuit de la Coupe du monde. Après avoir vécu l'échec le plus cuisant de sa jeune carrière, le retour est impressionnant.

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En entrevue dans le bureau des entraîneurs, Dubreuil bondit de son siège pour mimer la mésaventure qu'il a vécue aux sélections pour les Jeux olympiques de Sotchi, le 28 décembre 2013.

Après qu'il eut connu le meilleur départ de sa carrière, le bout de sa lame a piqué dans la glace au moment d'entrer dans le virage, le genre d'incident qui n'arrive qu'une fois par année. Le déséquilibre lui a coûté quelques dixièmes, mais lui a surtout fait perdre ses moyens en prévision du deuxième 500 m. «Je n'ai pas été capable de réagir», analyse-t-il froidement quelques mois plus tard.

Pour un athlète avec «un bon ego», dixit Jelonek, la claque a été monumentale. Fils d'athlètes olympiques (1), détenteur du record mondial junior, quatrième à sa première Coupe du monde, neuvième aux Mondiaux 2013, Dubreuil était la vedette du centre national Gaétan-Boucher, celui que tout le monde voyait à Sotchi. «Dans ma tête, c'était presque sûr que je me classais», admet le patineur de Saint-Étienne-de-Lauzon.

Il a fini cinquième, à quelques poussières d'une place pour ses premiers JO. «Je n'en revenais pas. J'étais, j'étais... j'étais détruit, en fait. J'étais vraiment détruit.»

Avant de partir pour les Mondiaux sprint, pour lesquels il s'était qualifié, il s'est fait teindre en blond. «Quand ma mère m'a vu, elle a dit: "Tu ne dois pas être motivé pantoute."»

Elle avait raison. Il est allé à Nagano «en touriste», terminant quand même neuvième. À son retour, il a annoncé à son entraîneur qu'il mettait un terme à sa saison.

Il a regardé les Jeux de Sotchi à la télévision. Comme partisan de patinage de vitesse et aussi pour encourager son coéquipier et mentor Muncef Ouardi, qui a surmonté une sérieuse blessure à un genou pour se qualifier.

Les semaines suivantes ont été pénibles pour Dubreuil. Privé d'appétit, il a perdu une dizaine de livres, il passait son temps entre le lit et le sofa, à se demander comment il avait pu passer à côté.

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Dubreuil soulève sa casquette pour dévoiler les quelques mèches blondes qui subsistent dans sa toison aux accents roux. Une façon de dire que l'échec est derrière lui, mais qu'il n'a pas oublié.

Jelonek, olympien en 1988 mais exclu quatre ans plus tard, lui a fait comprendre que ce n'était «pas la fin du monde». «Les Jeux, c'est une compétition. Après, il y en a une autre», expose l'entraîneur.

Le jeune athlète a fait son propre examen de conscience. «Avec le recul, ne pas m'être classé pour les Jeux olympiques, ça va m'avoir fait du bien», admet-il.

D'après une idée du préparateur physique Philippe T. Richard, Dubreuil et ses coéquipiers ont modifié leur régime d'entraînement et adopté l'approche «polarisée» qui a, semble-t-il, fait le succès des Néerlandais à Sotchi (23 médailles sur une possibilité de 32!).

En gros, les patineurs de Jelonek ont multiplié le volume d'entraînement en endurance de base pour maximiser la qualité des séances à intensité maximale ou presque. L'un ou l'autre, rien entre les deux.

Peut-être plus important encore, Dubreuil a changé son approche de la compétition en renouant avec son état d'esprit dans les rangs juniors. «Quand j'arrivais sur la ligne, je me disais: il faut que je fasse un record, une course dont le monde va parler dans 10 ans, se souvient-il. Je visais haut.»

Retrouver «cette étincelle de magie»: voilà comment Laurent Dubreuil aborde les choses en ce début de cycle olympique. Cinquième au classement de la Coupe du monde après quatre courses, il est bien lancé pour les prochaines épreuves de Berlin (5 au 7 décembre) et Heerenveen (12 au 14 décembre). La déception olympique, elle, devra attendre quatre ans avant d'être effacée.

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(1) Sa mère, Ariane Loignon, a pris part aux JO de Calgary en 1988 (14e au 1500 m), comme son père, Robert Dubreuil, qui y était en courte piste, un sport de démonstration à l'époque. Actuel directeur général de la Fédération de patinage de vitesse du Québec, ce dernier a ensuite participé aux Jeux d'Albertville de 1992 en longue piste (14e à égalité au 500 m).

Photo Kazuhiro Nogi, AFP

Laurent Dubreuil est cinquième au classement de la Coupe du monde après quatre courses.