Une partie des 5 millions de dollars payés par Lance Armstrong pour mettre un terme à une procédure judiciaire contre lui permettra à de jeunes cyclistes québécois de poursuivre leur carrière... sous les couleurs de Floyd Landis.

L'un des plus grands scandales de dopage sportif de l'histoire prend une tangente insoupçonnée: le cycliste déchu Floyd Landis financera une nouvelle équipe avec une partie de l'argent reçu dans le litige l'opposant à son ancien coéquipier Lance Armstrong. Cette formation sera montréalaise et comptera dans ses rangs une majorité de jeunes coureurs canadiens et québécois.

«C'est ironique, impossible de le nier», a convenu jeudi Scott McFarlane, copropriétaire et directeur général de cette équipe qui aura pour nom Floyd's of Leadville, l'entreprise spécialisée dans la vente de produits légaux à base de chanvre et de cannabinol (sans THC) lancée par Landis en 2016.

Directeur général et copropriétaire de Silber Pro Team, Scott McFarlane et le directeur sportif Gord Fraser étaient activement à la recherche d'un nouveau commanditaire principal depuis l'annonce du retrait d'Arthur Silber, l'été dernier. Cet homme d'affaires finançait l'équipe depuis cinq ans.

Silber Pro se concentrait sur le développement des meilleurs jeunes cyclistes canadiens et comptait dans ses rangs quelques vétérans. Elle a enregistré plusieurs résultats notables et permis à certains de ses coureurs de grimper les échelons. Sa fermeture en laissait plusieurs en plan dans un marché en décroissance.

Floyd's of Leadville Pro Cycling Team est une nouvelle entité, mais conservera le même esprit. McFarlane en sera le copropriétaire avec Josh Saint et gardera ses fonctions de directeur général. L'Ontarien d'origine Fraser restera le directeur sportif.

La licence canadienne de niveau continental (troisième division) garantit une majorité de coureurs à la feuille d'érable, a souligné McFarlane, pour qui il s'agissait d'une condition sine qua non.

«On essaie de maintenir des emplois pour des cyclistes canadiens. C'est une des choses que je voulais faire et Floyd a accepté parce que sa relation avec USA Cycling n'est pas si bonne de toute façon. Gord et moi voulions nous assurer de conserver un aspect canadien à l'équipe.»

À la mi-août, les deux hommes ont eu des discussions préliminaires avec Landis, un ancien coéquipier de Fraser chez Mercury, en marge de la Colorado Classic. Les choses se sont précipitées mercredi à la veille de la publication d'une chronique dans le Wall Street Journal qui annonçait le grand retour de Landis «comme patron» dans le vélo.

«J'ai une relation conflictuelle avec le vélo, comme tout le monde le sait, mais j'aime toujours ce sport», a expliqué Landis au WSJ. «Je me souviens encore comment c'était d'être un jeune et de courir dans une équipe locale. Ce furent parmi les plus belles années de ma vie.»

Dépouillé de son titre au Tour de France 2006 pour usage de testostérone, Landis a longtemps plaidé son innocence avant de passer aux aveux en 2010 et d'accuser Armstrong de dopage. La même année, le repenti a poursuivi son ancien coéquipier dans le cadre du False Claims Act, alléguant qu'il avait trompé les autorités fédérales en soutirant l'argent du U.S. Postal Service pour financer son équipe sous de fausses représentations. En 2013, le département de la Justice s'est joint à cette poursuite dénonciatrice pour fraude de 100 millions US contre Armstrong.

En avril dernier, la procédure judiciaire s'est réglée avant le début du procès, Armstrong acceptant de verser 5 millions au gouvernement américain. À titre de lanceur d'alerte, Landis aurait reçu 1,1 million de cette somme. Après le paiement de ses frais juridiques, il a dit au WSJ qu'il lui restait environ 750 000 $. Il les investira en entier dans l'équipe qui commencera ses activités l'an prochain.

«Je me sens coupable de ce qui est arrivé, mais tu ne peux jamais revenir en arrière et changer les décisions que tu as prises, a fait valoir Landis au quotidien américain. Au moins, les gens peuvent voir que je suis prêt à passer à autre chose. Ça peut paraître bizarre, mais ça me permet de passer à autre chose d'une certaine façon.»

McFarlane, lui-même un cycliste qui exploite un studio d'entraînement à Montréal, admet avoir réfléchi longuement avant d'accepter l'offre de Landis.

«Les gens auront une opinion tranchée de Floyd Landis et [cette commandite] ne changera pas cette opinion d'une façon ou de l'autre, a-t-il évalué. On peut le voir de deux façons. Le geste en tant que tel est de prendre de l'argent d'une période noire du cyclisme, dans laquelle il a été un acteur très central, et de créer cette possibilité. Indépendamment de la façon dont on peut interpréter ses motivations personnelles, ce geste, il n'était pas obligé de le faire. [...] Il aide à créer une plateforme pour permettre à des cyclistes de poursuivre leur carrière. Il redonne donc au sport.»

McFarlane a consulté Cyclisme Canada et la Fédération québécoise des sports cyclistes (FQSC) dans le processus. Le directeur général de la FQSC, Louis Barbeau, n'a pas d'objections tant que Landis ne se mêle pas aux affaires sportives.

«La première réaction est de se dire: oups, c'est quoi, ça? a relevé le DG jeudi. D'un autre côté, s'il y a une seule bonne chose qu'un gars comme Landis peut faire de l'argent de l'entente avec Armstrong, c'est de le réinjecter dans le sport. Par contre, je ne vois pas comment il pourrait être directeur sportif. S'il est impliqué directement avec les athlètes, j'aurais un plus gros malaise.»

Après avoir jeté les bases administratives de Floyd's of Leadville, McFarlane et Fraser s'attaqueront dans le prochain mois à la constitution de leur effectif. De 14 coureurs cette année, il sera probablement un peu moins important l'an prochain, compte tenu de la réduction du nombre d'épreuves au calendrier.

Chose certaine, des membres actuels de Silber recevront un appel. «On a un intérêt spécifique pour certains des coureurs québécois», a indiqué McFarlane.

Adam Roberge, qui revient des Championnats du monde d'Innsbruck, fait assurément partie du lot. Le double champion canadien U23 du contre-la-montre est toujours à la recherche d'un contrat.

Le Montréalais de 21 ans avoue avoir sourcillé en apprenant dans les médias l'implication de Floyd Landis.

«Ce qui est vraiment important pour moi, c'est que l'équipe garde sa philosophie propre et sans dopage, a souligné Roberge. Cette nouvelle m'a mis un peu sur les talons, mais si c'est fait de bonne foi, que c'est vraiment pour aider les jeunes et que c'est une façon pour lui de se reprendre pour les erreurs qu'il a faites, tant mieux.»