À l’automne 1977, le Stade olympique est habitué aux grands évènements. Les Jeux olympiques y avaient été présentés un an plus tôt, les Expos et les Alouettes y attiraient des foules considérables, et dans une telle folie des grandeurs, la prochaine étape était sans doute de planifier une soirée disco pendant laquelle un cascadeur à moto allait tenter de sauter par-dessus 26 autobus jaunes.

Une idée folle ? Pas aux yeux d’un certain Human Fly, en tout cas. Avec son équipe, ce mystérieux cascadeur masqué, costumé de rouge tel un superhéros, réserva la soirée du 7 octobre 1977 au Stade pour tenter d’aller faire exactement ça.

« C’était un gars qui se vantait de pouvoir faire mieux qu’Evel Knievel », se rappelle Bill St-Georges, alors DJ à la radio chez CKOI. « Dans toute ma vie, j’ai assisté à deux spectacles qui ont été des grands flops, et cette soirée-là en fut un. Je ne me souviens de pas grand-chose, bien honnêtement… »

En fait, Bill St-Georges se souvient surtout d’une chose : « Le gars s’est pété la gueule. »

Cette histoire renversante commence quelque part au milieu des années 1970, dans l’usine des Aliments Roma à Montréal. À la tête de l’entreprise à ce moment-là, il y a deux frères, Joe et Dominic Ramacieri, qui veulent faire autre chose que de la saucisse. Ils décident de fonder une entreprise, Human Fly Spectaculars Limited, selon le nom d’un personnage, le Human Fly, un cascadeur qui sera appelé à faire courir les foules en défiant la mort chaque fois.

  • La Presse du 29 septembre 1977 consacre un entrefilet à l’homme volant, entre le groupe Manège, Beau Dommage au Théâtre St-Denis et Gilles Vigneault à la salle Maisonneuve de la Place des Arts.

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    La Presse du 29 septembre 1977 consacre un entrefilet à l’homme volant, entre le groupe Manège, Beau Dommage au Théâtre St-Denis et Gilles Vigneault à la salle Maisonneuve de la Place des Arts.

  • Un article paraît dans Le Journal de Montréal à quelques jours de l’évènement.

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    Un article paraît dans Le Journal de Montréal à quelques jours de l’évènement.

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C’est dans l’air du temps ; aux États-Unis, Evel Knievel, un cascadeur qui porte une cape et un costume blanc étoilé, est déjà très célèbre pour son goût du risque, et pour ce saut à moto qui a failli lui coûter la vie à la fin des années 1960 à Las Vegas.

Le Human Fly ne perd pas de temps à se faire remarquer. En juin 1976, il se fait attacher, debout, sur un avion de ligne le temps d’une brève balade au-dessus du désert de Mojave. Au retour, il se présente sur le plateau de l’émission 90 Minutes Live à CBC pour annoncer une série de projets pour le moins audacieux, dont un éventuel saut de la tour du CN !

C’est là qu’il décide d’appeler Ky Michaelson, lui-même cascadeur à ses heures, pour lui faire une demande spéciale.

J’avais l’habitude de recevoir ces appels parce que je travaillais souvent avec des cascadeurs. La plupart du temps, c’était n’importe quoi, mais ce gars-là voulait vraiment que je lui fabrique une moto spéciale afin de pouvoir sauter par-dessus 26 autobus, et il m’a demandé ce que j’en pensais. Je lui ai dit que je pensais qu’il allait se tuer.

Ky Michaelson, cascadeur

Au fil des semaines, le Human Fly raconte à Michaelson que son corps est composé à 60 % de métal, en raison de multiples opérations après un grave accident de voiture.

Il va aussi dévoiler son véritable nom ou, du moins, le nom qu’il veut bien dévoiler : Rick Rojatt.

Au bout de plusieurs semaines, Ky Michaelson se met à construire la moto, une Harley-Davidson équipée de deux moteurs-fusées, un engin qui allait, peut-être, permettre au Human Fly de réussir son coup d’éclat au Stade olympique. L’équipe du cascadeur va chercher Michaelson chez lui, au Minnesota, pour l’amener jusqu’à Montréal en voiture en attendant le grand soir.

« Tout ça était bien étrange, se souvient-il. Je me rappelle que quelques soirs avant l’évènement, j’étais dans un bar de Montréal avec certains membres de l’entourage du Human Fly, et le barman, d’un air sévère, m’a demandé : “Sais-tu qui sont ces gars-là ?” Si je me souviens bien, ils m’ont donné 12 000 $ pour mes services, et j’ai été le seul qui a été payé. »

L’évènement du Stade olympique, baptisé A Space Age Extravaganza, met aussi à l’affiche deux chanteuses disco, Alma Faye Brooks et Gloria Gaynor. Pierre Parent, alors directeur de la promotion chez Polygram, se souvient d’être allé chercher Gaynor à l’aéroport pour aller au Stade avec elle.

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L’affiche officielle de la soirée

« À ce moment-là, elle n’avait pas encore lancé I Will Survive, qui allait être son plus grand succès, raconte Parent. En 1977, Gloria Gaynor chantait dans des discothèques. Elle ne chantait pas dans des stades ! Quand elle est arrivée et qu’elle a vu tous les bancs vides, elle était pas mal déprimée. Il faisait froid, il n’y avait personne, pas d’ambiance. Je pense qu’elle a chanté trois ou quatre chansons sur des pistes préenregistrées. Elle se demandait ce qu’elle faisait là. »

À CKOI, Bill St-Georges se souvient que la soirée du 7 octobre 1977 avait été annoncée, « parce que la pub passait souvent sur les ondes ». Mais Pierre Parent affirme que personne ou presque ne connaissait les organisateurs de la soirée.

« Ça sortait de nulle part, on ne connaissait pas du tout qui organisait ça, explique-t-il. Ils ont essayé de remplir le Stade en vendant des billets à 9 $, ce qui était quand même assez cher dans le temps. Les affiches étaient toutes en anglais, il n’y avait aucun buzz autour de ça, alors ils se sont mis à donner des billets. Le promoteur a dû perdre sa chemise. »

Le lendemain, les journaux font état d’une foule de 2500 spectateurs, mais Pierre Parent ne croit pas à ce chiffre. « Jamais de la vie ! Je ne sais même pas s’il y avait 300 personnes… »

Pour le Human Fly, la soirée ne se passera pas exactement comme prévu. En premier, en arrivant au Stade, Ky Michaelson constate que les dimensions de la rampe de lancement ne sont pas du tout les bonnes.

Il se souvient aussi que, quelques semaines auparavant, il avait appris que le Human Fly avait été assuré pour 1 million de dollars. « Tout ça était assez étrange, ajoute-t-il. J’ai insisté pour que l’organisation replace la rampe, et avec tout le temps que ça a pris, les spectateurs se sont mis à chahuter, à huer. »

Il y a aussi que le Human Fly, déçu, semble-t-il, par la très modeste foule, a mis du temps à sortir de son vestiaire. « Quand il a fini par arriver, il a fait le tour de la piste pendant 20 minutes, raconte Pierre Parent. Ensuite, il a pris son élan, il s’est envolé comme une fusée… et il a planté entre deux autobus. »

Les images disponibles sur YouTube permettent de constater un crash tout de même violent, avec le Human Fly qui émerge allongé sur une planche, triomphant malgré tout, les deux bras dans les airs.

Ce sera son dernier tour de piste.

  • La séquence du saut de Human Fly telle que présentée le lendemain dans le quotidien The Gazette.

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    La séquence du saut de Human Fly telle que présentée le lendemain dans le quotidien The Gazette.

  • Le quotidien Le Droit consacre également texte et photos au lendemain du saut.

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    Le quotidien Le Droit consacre également texte et photos au lendemain du saut.

  • Montreal Star publie aussi des photos spectaculaires du saut.

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    Montreal Star publie aussi des photos spectaculaires du saut.

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Au fil du temps, la suite de cette histoire a soulevé les passions dans certains recoins du web. Un premier documentaire sur le Human Fly a été amorcé au milieu des années 2000, puis abandonné. Un autre, mis en chantier par une équipe britannique, serait sur les rails.

Ky Michaelson, lui, a fini par racheter la moto du Human Fly à un homme de la Floride il y a une dizaine d’années. Cette pièce de collection se trouve aujourd’hui chez lui, au Minnesota.

L’identité secrète du personnage a aussi fait l’objet de plusieurs rumeurs. Ainsi, Rick Rojatt aurait été vu récemment en Ontario, ainsi qu’à Calgary. Certains ont avancé que l’ex-cascadeur serait un Québécois du nom de Richard Rajotte.

Michaelson n’a plus jamais revu le Human Fly.

« Quelques semaines après la soirée du Stade olympique, il y a un gars qui m’a appelé, raconte Michaelson. C’était lui. Il voulait me remercier de lui avoir sauvé la vie… »

Le Human Fly chez Marvel

IMAGE TIRÉE DE WIKIPEDIA

Couverture du premier numéro de The Human Fly, en septembre 1977

De manière assez étonnante, le géant américain Marvel a donné le feu vert à une adaptation du personnage du Human Fly à son univers des superhéros, le temps de 19 numéros. Ainsi, le premier numéro a été publié en septembre 1977, environ un mois avant l’échec du Stade olympique. Un peu plus d’un an plus tard, Marvel publiait le dernier numéro de la série, en novembre 1978, sans jamais lui donner suite. Mais une autre entreprise, IPI Comics, prévoit faire paraître de nouvelles histoires du Human Fly à l’été.