Le Québécois Charles Paquet a réussi un formidable coup d’éclat en terminant cinquième de l’étape de Yokohama des Séries de championnat World Triathlon, samedi, au Japon.

Avec ce sommet personnel à la première épreuve importante de la saison, l’athlète de Port-Cartier assure pratiquement sa place aux Jeux olympiques de Paris, à l’été.

Paquet n’aura cependant pas la chance de compétitionner devant les siens un mois et demi plus tard. Plombé par des déficits et un financement public incertain, le Triathlon mondial de Montréal, prévu les 14 et 15 septembre au parc Jean-Drapeau, est annulé.

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Charles Paquet

La seule étape nord-américaine des Séries de championnat World Triathlon sera remplacée par une compétition de la même catégorie à Weiha, en Chine, a « annoncé à regret » la fédération internationale il y a trois semaines. La métropole était l’une des six villes à faire partie de ce circuit le plus relevé sur la planète.

Après une Coupe du monde en 2016 dans le Vieux-Port, le triathlon de Montréal avait accédé dès l’année suivante à ce qui s’appelait alors les Séries mondiales de l’International Triathlon Union. L’évènement s’est tenu de 2017 à 2023, à l’exception de 2020, année marquée par la COVID-19. Il comprenait un important volet amateur qui a porté le nombre total de participants jusqu’à près de 1500.

Disputé à la fin de juin de 2019 à 2023, le Triathlon mondial Groupe Copley avait été déplacé à la mi-septembre en 2024, pour répondre à la demande de World Triathlon en cette année olympique chargée. Ce changement de date permettait aux organisateurs de le programmer au parc Jean-Drapeau, ce qui devait théoriquement réduire les coûts de production. Le Vieux-Port demeurait l’endroit de prédilection puisque plus facile d’accès pour les spectateurs.

À contrecœur, son fondateur et président, Patrice Brunet, a renoncé à tenir les deux triathlons de distance sprint (750 m de natation, 20 km de vélo et 5 km de course à pied) et le relais mixte, une épreuve olympique depuis 2021.

« Chaque année, c’est vraiment compliqué », se désole Patrice Brunet, un avocat spécialisé dans le droit de l’immigration et le droit du sport, rencontré la semaine dernière à son cabinet à Outremont. « Ces évènements ne peuvent survivre sans financement gouvernemental. Notre modèle est d’avoir au moins 70 % du financement qui provient du public. Comme les compétitions ont lieu dans l’espace public, notre capacité à vendre des billets est très, très limitée. »

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Patrice Brunet, président et fondateur du Triathlon mondial de Montréal

Financement à la baisse

L’inconstance de l’appui gouvernemental est un problème récurrent. « Depuis 2017, on fait des demandes de financement et de soutien et ça prend beaucoup trop de temps pour qu’on ait les réponses, déplore MBrunet. Et quand on a les réponses chiffrées, les budgets n’arrivent pas [à l’équilibre]. »

Une « explosion des coûts de production » depuis la pandémie a accentué la pression sur un triathlon déjà déficitaire. À la mi-mars, Productions Podium, l’OBNL qui chapeaute cette manifestation sportive, a contacté par lettres les trois ordres de gouvernement (municipal, provincial, fédéral) et les directions de programme concernées pour connaître la hauteur précise de leur engagement.

« On leur a dit : on a besoin d’une réponse au plus tard au début avril. Si on n’a pas une réponse satisfaisante, on va être obligés de prendre les décisions qui s’imposent. On n’a donc pas eu de réponses, que des accusés de réception. »

Peu après, Patrice Brunet a annoncé à World Triathlon qu’il ne pouvait aller de l’avant avec la compétition dont le budget s’élève à « près de 2 millions ». L’organisateur n’était pas prêt à s’engager de nouveau, d’autant que les subsides gouvernementaux ont parfois été moindres que prévu, soutient-il.

Ce qu’on voit, c’est non seulement du financement à la baisse, mais aussi des réponses plus tardives.

Patrice Brunet

Au fil des années, Patrice Brunet a dû piger dans ses propres poches pour éponger des déficits récurrents. Il estime avoir englouti plus de 300 000 $ dans l’aventure. L’OBNL doit encore une somme à World Triathlon. « J’ai arrêté de compter, mais c’est beaucoup d’argent que je ne reverrai pas. Ça ne devrait pas être à un citoyen de mettre de l’argent comme ça. »

Selon le plan d’affaires, la présentation des tout premiers Championnats sprint et relais de World Triathlon devait renflouer les coffres en 2022. Or les restrictions sanitaires imposées par les relents de la pandémie ont réduit de 4000 à « à peine 1000 » le nombre de participants dans les catégories groupes d’âge, soit ceux qui doivent payer des frais d’inscription.

Du côté privé, les commanditaires ne se bousculaient pas dans la zone de transition. En 2019, le Groupe Copley de la famille Rossy (Dollarama) est devenu le parraineur en titre. « Ils ne nous demandaient pas de comptes ; c’était un don qu’ils faisaient, et je les en remercie », signale MBrunet.

L’an dernier, Productions Podium a embauché d’anciens employés de l’Équipe Spectra pour faire du démarchage auprès de grandes entreprises. « C’était un peu un Hail Mary [tentative ultime]. […] On a eu un peu de biens et services, mais un chèque de 100 000 $, jamais. »

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Le Triathlon mondial de Montréal de l’an dernier aurait généré un impact économique de plus de 2 millions, selon une étude de Tourisme sportif Canada.

« Ça ne marche plus »

Impliqué dans l’organisation de triathlons depuis les Championnats du monde de 1999 à Montréal, Patrice Brunet soumet quelques idées qui faciliteraient le travail des promoteurs. Des approbations plus rapides aux demandes de financement seraient déjà un pas dans la bonne direction.

Il faut qu’on ait les réponses au minimum 6 mois avant l’évènement, sinon 12, et préférablement sur plusieurs années. Il y a des évènements comme C2 Montréal qui ont des ententes sur cinq ans. Pourquoi est-ce différent pour le sport ?

Patrice Brunet

Avec la reddition de comptes, les chèques arrivent parfois jusqu’à 12 mois, voire 18 mois après la tenue de la compétition, affirme Brunet. Cette lenteur donne des maux de tête aux organisateurs.

Pour pallier ce problème de flux de trésorerie, il sollicite la création d’une méthode de financement provisoire, comme il s’en trouve dans le milieu du cinéma. « Il faut que ça vienne vraiment du plus haut niveau [politique]. »

Le promoteur s’interroge sur la véritable identité de la ville. « Tourisme Montréal se targue d’être une métropole sportive, et c’est bien. Ils utilisent nos images à profusion pour le mettre en valeur. Mais quand tu tires le rideau, que tu regardes derrière, et qu’on n’est pas capables de payer notre monde ou nos fournisseurs, ça ne marche plus. »

Vases communicants

Par ailleurs, Brunet souligne que l’enveloppe de Sport Canada destinée aux compétitions internationales « n’a pas bougé d’un cent depuis les 20 dernières années ». En parallèle, il regrette que des entités fédérales comme la Société du Vieux-Port et le Port de Montréal « facturent des prix d’entreprises privées » pour l’utilisation de leurs lieux.

[Sport Canada] nous donnait 150 000 $. Cette somme, on la redonnait intégralement à une agence fédérale, le Port de Montréal, pour louer ses installations. Au net, on n’a rien. Comme organisateur, je pense qu’il n’y a pas de vision de société pour continuer à tenir des évènements sportifs internationaux.

Patrice Brunet

En plus de « mettre Montréal sur la mappe », Patrice Brunet fait valoir que le Triathlon mondial de l’an dernier a généré un impact économique de plus de 2 millions, selon une étude de Tourisme sportif Canada.

« Je crois beaucoup [en la capacité de] ces évènements à inspirer la population à adopter et à maintenir de saines habitudes de vie. Quand tu as le meilleur au monde qui fait du triathlon, ça donne le goût d’aller nager, courir et rouler. »

D’autres évènements en péril

Le triathlon n’est pas le seul évènement sportif organisé par Productions Podium à passer à la trappe. Après quatre éditions, le festival DISTRIX, qui présentait du basketball 3 x 3 et du breaking, deux disciplines olympiques, dans le Quartier des spectacles de Montréal, n’aura pas lieu cette année. « Il n’y a pas d’argent à faire », constate Patrice Brunet.

Le festival SMASH, qui a attiré 15 000 spectateurs pour un tournoi de volleyball de plage en juillet dernier au parc Jean-Drapeau, est aussi en péril. Les organisateurs cherchent un endroit moins coûteux pour accueillir la deuxième édition de cette compétition du Beach Pro Tour Elite16, le circuit le plus relevé de Volleyball World, prévu du 28 août au 1er septembre. Les frais de montage et de démontage des gradins sont le principal inconvénient du site de l’île Notre-Dame, où les Canadiennes Melissa Humana-Paredes et Brandie Wilkerson ont triomphé en 2023.

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Le festival SMASH, qui a attiré 15 000 spectateurs pour un tournoi de volleyball de plage en juillet dernier au parc Jean-Drapeau, est aussi en péril.

« Ce n’est pas complètement mort pour 2024 », affirme MBrunet, indiquant que la Ville de Québec a « levé la main » pour tenir le tournoi. Comment évalue-t-il les chances de le maintenir ? « Si je mets mes lunettes roses, 75 %, si je les enlève, 20 % ! »

Par ailleurs, le paratriathlon de la Séries World Para Triathlon de Montréal, qui figure dans le processus de qualification pour les Jeux de Paris, est encore au calendrier le 29 juin au parc Jean-Drapeau. Encore là, rien n’est calé.

« L’équipe d’opérations est prête à le livrer, mais on n’a toujours pas de confirmation officielle de financement, précise MBrunet. Tu as beau avoir la Ville qui dit : “On vous donne 75 000 $”, tant que ce n’est pas écrit, ils peuvent changer d’idée. »