Rylan Wiens était très satisfait de son plongeon en équilibre sur les mains, mais à en juger par la réaction de son entraîneuse Mary Carroll, pratiquement en pleurs sur le bord du bassin du centre aquatique Hamad, il s’est dit : « Man, c’en était tout un ! »

Certes, le plongeur de Saskatoon a reçu des notes de 7,5, 8 et 8,5 pour son essai un peu passé la mi-chemin des préliminaires du 10 m aux Championnats du monde de Doha, le 8 février. De là à faire pleurer sa coach des 12 dernières années…

« La foule a dû penser qu’il venait de réussir le meilleur équilibre sur les mains de sa vie ! », a dit en souriant Mary Carroll, les yeux encore brillants, mardi matin, à la piscine du Parc olympique, en marge de la première étape de la Coupe du monde présentée de jeudi à dimanche à Montréal.

Avec son protégé qui souriait tout autant assis à ses côtés, elle a relaté ce moment survenu il y a trois semaines, au Qatar, comme s’il s’était déroulé cinq minutes plus tôt.

Tiraillée quant à la meilleure réaction à adopter, Mary Carroll a d’abord opté pour le professionnalisme le plus strict, communiquant ses observations techniques à Wiens, qui occupait alors le cinquième rang de cette ronde initiale, à l’issue de laquelle il pouvait garantir un deuxième quota olympique pour le Canada à cette épreuve.

Après une fraction de seconde, elle a craqué, enlaçant le plongeur pour lui faire part du « secret » qui lui brûlait les lèvres : « Je sais que je ne devrais pas faire ça, mais je le fais quand même : ma fille s’est qualifiée pour les Jeux olympiques ! »

Quelques minutes plus tôt, dans l’Aspire Dome, un aréna contigu à 200 mètres de là, Sydney Carroll, la fille de Mary, venait en effet de contribuer à la qualification olympique in extremis du Canada à l’épreuve par équipes de natation artistique.

« En attendant de connaître les résultats, on était dans un gros câlin de groupe près de la piscine d’échauffement », a raconté Sydney Carroll, interviewée mardi après-midi entre deux séances d’entraînement à l’INS Québec. « Quand on les a appris, on s’est laissées choir au sol et on a pleuré et pleuré… »

La nageuse de 22 ans a rapidement confirmé l’heureux dénouement à son père, Steve Carroll, qui s’était levé avant l’aube à Saskatoon pour suivre la compétition. Sydney a envoyé une vidéo d’elle en larmes, que son père a retransmise à sa mère, pendue à son téléphone et encore dubitative près du bassin de plongeon, à 11 000 km de là.

C’est peu après que Mary Carroll n’a pas pu se retenir d’annoncer la nouvelle à Rylan Wiens, né la même année que Sydney.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Rylan Wiens et Mary Carroll

« J’avais mon chapeau de maman, j’étais submergée de fierté, et là, je devais aller lui parler de son équilibre sur les mains. Je me disais : ‟Mets tes émotions de côté et parle-lui de son équilibre.” Mais je n’arrivais pas à le gérer. »

Rylan Wiens a renchéri : « Ça donne des frissons et c’est très excitant. Je savais qu’il y avait assurément une possibilité pour l’équipe de natation artistique de se qualifier, et quand elles l’ont fait, c’était une expérience pas mal cool. »

Coïncidence ou pas, au saut suivant cette effusion, il a manqué son coup sur la figure arrière, ce qui l’a fait dégringoler de quatre places au classement provisoire. « Je ne crois pas avoir perdu ma concentration. J’avais quand même 40 minutes avant mon plongeon suivant. J’ai eu le temps de gérer tout ça. »

Ce à quoi sa coach a réagi : « Merci, je me sens maintenant beaucoup mieux ! »

Rylan Wiens a réussi son sixième et dernier saut pour conclure les préliminaires au neuvième échelon, garantissant ainsi une deuxième place pour le Canada à l’épreuve individuelle. La veille, il avait confirmé sa participation à ses deuxièmes Jeux en prenant le cinquième rang avec le Québécois Nathan Zsombor-Murray en synchro.

« Ne pas coacher mes enfants »

Sydney Carroll n’est pas seulement la fille de son entraîneuse. Depuis ses débuts à l’âge de 6 ans, Wiens la côtoie à la piscine de Saskatoon, où son père Steve est l’entraîneur-chef du club de plongeon. « Je me souviens qu’elle était toujours dans les alentours. On est devenus amis en grandissant et quand on a commencé à venir à Montréal [pour l’entraînement]. »

Gymnaste à l’origine, Sydney s’est tournée vers la natation artistique à l’âge de 11 ans. Pourquoi pas le plongeon, comme ses parents ?

« J’ai aussi un fils en gymnastique et je ne voulais jamais avoir à coacher mes enfants comme athlètes », a expliqué Mary Carroll, qui a fini huitième au tremplin de 3 m aux Jeux de Barcelone en 1992 sous son nom de jeune fille (DePiero). « J’aime être une mère qui ne connaît pas grand-chose à la natation artistique ou à la gymnastique. Je n’ai qu’à les applaudir et les encourager. S’ils étaient tombés amoureux du plongeon, je les aurais peut-être laissés faire, mais ce n’est pas arrivé. »

Sa fille désirait également se réaliser dans « quelque chose de différent, et ça a quand même fini par être dans une piscine ». « Mes parents souhaitaient aussi que j’aie mes propres affaires et que j’explore d’autres options, a renchéri Sydney. J’ai découvert la synchro et j’ai toujours adoré ça depuis. »

Les succès précoces de l’élève de sa mère – Wiens a terminé quatrième aux Mondiaux juniors – lui ont servi de source d’inspiration. « Ma mère l’entraînait et il était dans l’équipe nationale dès un jeune âge. J’ai toujours voulu être dans une équipe nationale et me rendre aux Olympiques. En le voyant aller, je savais que c’était possible de réussir en venant de Saskatoon. »

« Un trajet électrisant ! »

Sa sélection pour accéder au centre national de l’équipe canadienne à Montréal, en pleine pandémie en 2020, a été un moment aussi émotif que la qualification olympique d’il y a trois semaines. Les nombreux séjours de Wiens pour de l’entraînement à Montréal lui ont permis de garder le contact avec sa mère au cours des quatre dernières années.

Wiens et son entraîneuse ont assisté aux compétitions de Sydney à Doha, et vice versa. Seulement, les préliminaires du 10 m hommes et la finale de la routine libre en équipe se déroulaient en même temps.

Après la douche et le retrait de la gélatine dans ses cheveux, Sydney a envoyé un texto à sa mère pour lui signaler qu’elle prenait la navette de 16 h. « Je l’attends à l’extérieur ! », lui a-t-elle répondu.

« Tout le monde aime ma mère et elle est la maman de tout le monde dans l’équipe. Toutes les filles la cherchaient quand on est sorties : ‟Où est Mary ?” Elle était comme notre maman à ce moment-là ! J’ai donc sprinté à l’extérieur pour la retrouver. »

Vite sur la gâchette, Wiens a filmé la réunion mère-fille. « Le trajet en bus a été électrisant ! », a raconté Mary Carroll.

« Et moi, je devais revenir le lendemain matin et compétitionner ! a enchaîné Rylan Wiens en riant. En soirée, je me suis dit : ‟OK, on fait un reset et on revient.” »

« Le meilleur des mondes »

Quatrième de la demi-finale, il a réussi ses meilleurs plongeons en finale, se classant cinquième d’un concours chaudement disputé. Son plongeon arrière s’est avéré impeccable. Son score de 489,20 points lui a valu une présélection personnelle à cette spécialité, ce qui le dispensera d’une participation aux Essais olympiques du mois de mai à Windsor – il est le seul plongeur canadien dans cette position avantageuse.

PHOTO STÉPHANE CÔTÉ, FOURNIE PAR NATATION ARTISTIQUE CANADA

Rylan Wiens, Mary Carroll et Sydney Carroll discutent avec Steve Carroll, mari de Mary et père de Sydney, après la qualification olympique de Sydney et l’ouverture d’une place pour le Canada au 10 m par Rylan, le 9 février, au Qatar.

« C’était mon but avant les Mondiaux parce que je peux maintenant m’entraîner et compétitionner aux Jeux olympiques et ne pas m’en faire avec les Essais », a noté le médaillé de bronze en synchro, avec Zsombor-Murray, aux Mondiaux de 2022. « C’est un poids de moins sur mes épaules. Là, c’est le retour à la planche à dessin parce que les JO sont le véritable objectif. C’était la première étape pour s’y rendre. C’est une bonne sensation de savoir que je peux le faire. J’en ai encore beaucoup dans le réservoir. »

Le duo athlète-entraîneuse ne le cache pas : le but à Paris sera de monter sur le podium, et pourquoi pas deux fois ? Sydney Carroll, elle, doit toujours attendre la confirmation qu’elle fera partie des neuf nageuses sélectionnées sur les 12 qui participaient aux Mondiaux.

« Pour moi, c’est le meilleur des mondes, comme mère et comme coach », a conclu Mary Carroll. Cette fois, elle n’aura pas à se tourmenter puisque les compétitions de plongeon et de natation artistique auront lieu dans la même enceinte, au tout nouveau Centre aquatique de Paris.

Pamela Ware préserve sa bulle

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Pamela Ware à l’entraînement

Blanchie aux Mondiaux de Doha, du jamais-vu à l’évènement bisannuel depuis 1998, l’équipe canadienne de plongeon tentera de rebondir à la Coupe du monde de Montréal, première étape d’une série de trois. Les yeux seront tournés vers Pamela Ware, dont le plongeon raté au Qatar a coulé le duo synchronisé qu’elle formait avec Mia Vallée. Le Canada sera donc privé d’équipe à l’épreuve qui lui a valu sa seule médaille aux JO de Tokyo, l’argent de Jennifer Abel et Mélissa Citrini-Beaulieu.

Manifestement affectées par leur déconvenue, tant Ware (25e) que Vallée (29e) ont peiné le lendemain au concours individuel, s’arrêtant dès la phase préliminaire. Médaillée d’argent aux Mondiaux de 2022, cette dernière n’a donc pu procurer une deuxième place au pays. L’unique billet olympique sera disputé aux Essais de Windsor en mai.

Installée en Floride, Vallée a d’ailleurs préféré passer son tour pour la Coupe du monde de Montréal afin de mieux se préparer à cette échéance. Ware, elle, plongera dans le confort de sa piscine d’entraînement. Victime d’un douloureux plongeon raté au 3 m individuel à Tokyo, la vétérane de 31 ans s’est abstenue de s’adresser aux journalistes mardi, souhaitant se concentrer sur la compétition et préserver sa santé mentale au moment où elle tente de se relancer. L’athlète de Greenfield Park pourra trouver du réconfort à l’idée qu’elle sort de la meilleure saison de sa carrière, marquée par le bronze aux Mondiaux de Fukuoka et l’or aux Jeux panaméricains de Santiago.