Tous les athlètes rencontrés dans le cadre de ce reportage ont décrit la rupture de leur ligament croisé antérieur (LCA) avec un son : « pop ». Comme lorsqu’un élastique se brise. Ou qu’une carrière prend une tournure inattendue.

Coup sur coup

L’escrimeuse Gabriella Page en était à sa cinquième semaine de convalescence lorsqu’elle s’est présentée, en béquilles, dans le Café Dépôt du boulevard Curé-Labelle, à Blainville.

Le 10 mai, elle a subi sa deuxième déchirure du LCA en moins d’un an. Elle a été opérée le 26 juillet.

Un an auparavant, en juillet 2022, aux Championnats du monde au Caire, en Égypte, son ligament s’était rompu pour la première fois. Ça avait également nécessité une opération, le 24 août 2022.

« Ces deux blessures sont arrivées lorsque je connaissais mes meilleures performances », raconte l’olympienne.

Dans son sport, l’athlète se tient dans une position dans laquelle le genou arrière est toujours en angle. C’est avec cette jambe d’appui que les escrimeurs atterrissent en défense et explosent en offensive. Ainsi, les ligaments du genou sont constamment sollicités.

Sa première déchirure s’est produite en ronde des 64 aux Mondiaux, lorsqu’elle a atterri sur sa jambe arrière. La Blainvilloise s’est immédiatement affaissée au sol. « La douleur… Ça faisait tellement mal chaque fois que je faisais une fente ou un changement de direction. Une journée après, c’était enflé et ça me faisait trop mal. »

Juste en marchant, je pleurais dans les corridors de l’hôtel.

Gabriella Page

La deuxième fois, il y a quelques mois, Page était à l’entraînement, juste avant une épreuve de qualification olympique, en Géorgie. À nouveau, dans un pas défensif, son genou arrière a flanché, en pliant dans le mauvais sens à l’atterrissage.

« Là, c’était un choc. Là, je le savais. Et je pleurais en disant “pas encore, pas encore” », se souvient l’athlète de 28 ans.

La déchirure, dit-elle, « ça fait fucking mal ! ».

« Sur le coup, je n’ai pas crié. Je suis juste tombée et je me demandais ce qui arrivait. Et pourquoi ça m’arrivait encore à moi. »

Elle a toutefois résisté quelque temps avant de procéder à l’intervention chirurgicale.

« Je visais les Mondiaux et à la sixième semaine, je me suis entraînée et je sentais mon genou tellement instable contre des jeunes à qui j’enseigne. J’ai réfléchi pendant un mois, mais finalement, je devais me faire opérer. »

Deux fois plutôt qu’une

Audrey McManiman, planchiste spécialiste en snowboard cross, a une histoire similaire. À la différence que 11 ans se sont écoulés entre ses opérations.

En 2011, l’athlète de Saint-Ambroise-de-Kildare a participé à une compétition de rampes, dans un stationnement tapé de neige résiduelle d’un aréna. « Un scénario pas trop winner, mais moi à 16 ans, je voulais être la seule fille qui allait faire la compétition. »

Après un atterrissage, ses sensations dans le genou étaient « bizarres ».

« Mais je l’ai fait une autre fois, et ça n’allait pas. Mon genou était enflé comme une patate. J’ai marché jusqu’à chez nous, mais mon ligament était brisé. »

Quelques mois plus tard, dans une compétition de slopestyle en Ontario, son sort s’est aggravé. « Je suis allée trop loin sur une rampe canon et je suis atterrie cinq pieds trop loin, en face des juges, et je le savais. »

Je ne pouvais plus bouger. Ç’a été une douleur intense. Assez intense.

Audrey McManiman

Elle a dû se faire opérer les deux genoux. À un mois d’intervalle. Le 16 août dernier, elle a dû subir une troisième opération, car son ligament avait encore cédé. Cette fois-ci, principalement à cause de l’usure.

« Je ne sais pas quand dans les 11 dernières années mon LCA a lâché, je pense que ç’a été graduel. Pendant 10 ans, j’ai eu des douleurs et de l’enflure, mais je pensais que c’était normal vu que j’avais eu une chirurgie dans ma jeunesse. »

Sans que ce soit soudain, son genou s’est atrophié. Même si elle a pu repousser l’inévitable un bout de temps, la douleur l’a rattrapée, nécessitant une opération. Elle a quand même pris part à de nombreuses compétitions avec un genou massacré.

« Avec la glace, les exercices et la physiothérapie, je m’en sauvais. Ça a peut-être camouflé plein de microdéchirures », explique l’olympienne lors d’une rencontre Zoom, depuis son appartement à Québec, alors qu’elle en était à son troisième mois de convalescence depuis sa plus récente opération.

Un claquement de doigts

Même s’il s’est blessé un soir d’automne en 2015, le joueur de ligne offensive Luc Brodeur-Jourdain se souvient de la séquence ayant mené à sa déchirure dans les moindres détails.

« On avait brisé la ligne d’engagement, Tyrell Sutton avait débordé par l’extérieur et j’étais en mode poursuite pour aller bloquer quelqu’un plus loin sur le terrain. Tyrell a fait une coupure par l’intérieur et il s’est fait plaquer par un joueur défensif et les deux sont tombés sur mon genou, de l’extérieur vers la droite, au même moment où j’ai planté mon pied dans le sol », explique l’entraîneur de la ligne offensive des Alouettes de Montréal après un entraînement.

Il se rappelle également les secondes qui ont suivi : « Tu sens une rupture, tu sens un pop et tu sais que ce n’est pas normal. Je sentais que c’était différent. Qu’il y avait un lousse à l’intérieur. » Sa jambe était devenue molle comme « un spaghetti », précise-t-il.

Instinctivement, les personnes victimes d’une telle déchirure poussent un violent cri. C’est un réflexe. Ce fut le cas pour Brodeur-Jourdain : « Je suis pas mal sûr que j’ai lâché un bon wack ! Si j’avais eu un micro sur moi, sûrement qu’il y aurait eu quelques bips. »

Le mot d’une professionnelle

Sarah Bérubé est physiothérapeute pour les Alouettes de Montréal. Elle a souvent à faire avec les maux liés au ligament croisé antérieur, justement parce que c’est une blessure répandue, mais également car le genou est une articulation névralgique du corps humain, surtout pour les joueurs de football.

« C’est comme un élastique très solide qui retient deux os ensemble pour limiter un mouvement. Donc, si ce mouvement est forcé par un contact extérieur, c’est ce qui brisera le ligament, à différents grades. Ce n’est pas toujours nécessairement déchiré au complet, mais c’est quand même une grosse blessure », explique en détail Bérubé.