D’un côté, Elissa Legault fait sa place parmi l’élite du marathon, tandis que sa sœur Emy espère rebondir ce week-end au triathlon de Montréal. Portrait de deux sœurs qui repoussent leurs limites, aussi vite que possible.

Elissa Legault avait son truc pour mesurer son avance sur sa plus proche poursuivante aux Championnats canadiens de demi-marathon : l’écart de temps avant que les cloches brandies par les spectateurs se mettent à tinter derrière elle.

À Winnipeg, dimanche dernier, le bruit et la clameur lui semblaient à distance raisonnable, sans que ce soit trop confortable. Jusqu’à ce qu’elle réalise qu’ils étaient destinés à un concurrent masculin…

« J’ai encore parfois un petit syndrome de l’imposteur. Je n’arrivais pas là en me disant : je vais prendre le titre. Vers le 16e ou le 17e kilomètre, j’ai commencé à me dire : hé, ça se peut que je gagne ! J’ai quand même gardé la tête froide parce qu’on ne sait pas ce qui peut arriver dans les derniers kilomètres. »

En raison d’un engorgement provoqué par les participants à l’épreuve de 5 km, Legault a dû louvoyer un peu vers la fin et même « ralentir beaucoup » dans un couloir menant à la ligne d’arrivée dans le stade de football de la capitale manitobaine.

PHOTO WAYNE HEWITT PHOTOGRAPHY FOURNIE PAR ELISSA LEGAULT

Elissa Legault à la ligne d’arrivée dans le stade à Winnipeg

Je n’étais pas à 100 % dans la grosse douleur et j’étais encore très positive. J’étais comme en paix de zigzaguer entre les gens, ce qui n’aurait peut-être pas été le cas si j’avais été très fatiguée.

Elissa Legault, à propos de sa course à Winnipeg

Après qu’elle a traversé le ruban réservé à la gagnante, un représentant de l’organisation lui a déposé un drapeau canadien sur les épaules, symbole d’un premier titre national pour la coureuse de 29 ans, qui s’est mise au marathon pour le plaisir en 2017.

« Ça a comme été une confirmation que j’ai ma place parmi des filles que je considère comme de très grandes athlètes. C’est le fun de voir que je suis capable de courir avec elles et de faire quelque chose de bien. »

En 1 h 12 min 18 s, Elissa Legault a devancé de 1 min 20 s la médaillée d’argent Kinsey Middleton, une première pour elle. Même sans les accrocs en fin d’épreuve, elle ne se serait pas approchée de son record personnel de 1 h 11 min 37 s, réalisé à Valence l’automne dernier.

« Je ne m’étais pas créé d’attentes », a-t-elle précisé quelques jours plus tard.

Avant tout, la coureuse de Mascouche participait à cette compétition pour satisfaire à une condition d’accession au programme d’excellence de la Fédération québécoise d’athlétisme.

« Je ne pense pas que ça m’était déjà arrivé, mais sur la ligne de départ, je n’avais même pas le petit stress précourse. J’avais juste le goût de m’amuser comme si je faisais un gros entraînement avec des amis. C’est probablement comme ça pour bien des gens, mais quand tu enlèves de la pression, ça te permet peut-être de mieux performer. »

« Un honneur »

La veille de l’entrevue, Elissa Legault a reçu une heureuse nouvelle d’Athlétisme Canada : sa sélection surprise pour le marathon des Championnats du monde, à la fin d’août, à Budapest. Le désistement de deux athlètes lui a ouvert la porte à une deuxième présence consécutive. À son baptême, l’an dernier en Oregon, elle avait pris le 27e rang.

« L’an passé, j’y allais pour participer et prendre de l’expérience. Cette année, j’ai envie d’être compétitive et de donner le meilleur de moi-même. C’est vraiment un honneur d’être encore là. »

Friande d’entraînement, Legault se réjouit également de pouvoir compter sur plusieurs semaines de préparation. L’an dernier, elle avait eu moins de deux mois entre le marathon d’Ottawa, où elle a réussi un sommet personnel de 2 h 33 min 27 s, et celui des Mondiaux (2 h 37 min 35 s).

En plus de Middleton, 26e à Eugene, la nouvelle détentrice du record canadien Natasha Wodak (2 h 23 min 12 s à Berlin l’automne dernier) représentera l’unifolié en Hongrie.

« Elle a une expérience énorme, avec deux Jeux olympiques et plusieurs championnats du monde, a noté Legault. Je vais pouvoir apprendre d’elle et ça va être encore plus enrichissant comme expérience. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Elissa Legault à l’entraînement l’an dernier

Convertie tardivement à la course sur route, la comptable de profession s’est laissé convaincre par son copain et ses proches de s’y consacrer à temps plein à la fin de la dernière saison. Elle a donc démissionné de son poste de contrôleur financier dans une entreprise de Terrebonne.

En décembre, elle a accompagné sa sœur cadette Emy et son groupe de triathlon pour un stage en altitude en Équateur.

Le mois suivant, elle a participé au marathon de Houston, où elle ne visait rien de moins que la marque provinciale de Jacqueline Gareau, 2 h 29 min 32 s établie en 1985. Elle tenait le rythme jusqu’au 30e kilomètre quand des problèmes gastriques l’ont freinée dans son élan (2 h 34 min 2 s).

« J’ai tenté de prendre un peu plus de gels que ce que j’avais pratiqué. Ça s’est retourné contre moi. C’était une bonne leçon : il faut vraiment respecter la façon dont je me suis entraînée. »

Peu de temps après, la représentante du club de Vaudreuil-Dorion s’est adjoint les services d’un nouvel entraîneur, le double athlète olympique Reid Coolsaet. Depuis ses débuts sur la distance, elle était suivie par Claude David, un coach avec qui elle avait « une relation extrêmement bonne ».

« Je sentais qu’il me manquait peut-être des éléments spécifiques à mon entraînement de marathon pour vraiment exploiter mon plein potentiel. […] Sans rien enlever à mon ancien entraîneur, Reid a eu une carrière totale, complète. Je sentais que j’allais être encadrée par quelqu’un qui l’avait vécu et qui avait l’expérience pour me guider à ce niveau-là. »

Avec le temps, Elissa Legault a réalisé que le travail lui manquait. Elle a donc accepté un contrat à durée indéterminée avec son ex-employeur Procepack, un manufacturier et intégrateur d’équipements d’emballage.

« Honnêtement, je suis vraiment gâtée. Je peux continuer à travailler un peu. C’est cool de ne pas tout mettre sur la course et d’avoir quelque chose en dehors de ça. »

À près d’un an de la cérémonie d’ouverture, impossible d’ignorer les JO de Paris. Si elle estimait ses chances « très restreintes » à pareille date l’an dernier, sa vision a évolué.

Le standard automatique de 2 h 26 min 50 s ne lui paraît « pas impossible », « même s’il faut vraiment que tous les astres soient alignés ». Après les Mondiaux, elle se donne deux occasions pour y parvenir : à Valence, le 3 décembre, et à Séville ou à Rotterdam, l’an prochain.

Sinon, elle pourrait également obtenir une sélection olympique en vertu du classement mondial : « Je devrai dépasser quelques personnes pour y aller, mais je ne pense pas que c’est impossible. »

Simplement le fait de pouvoir y songer ne sonne pas comme une demi-victoire pour Elissa Legault.

Lisez « Emy Legault veut revenir en force »

S’entraîner avec sa sœur

Elissa Legault a pu compter sur une guide de rêve lors de son séjour en altitude en Équateur : sa sœur cadette Emy, première Canadienne au classement de World Triathlon qu’elle ira encourager ce samedi à l’étape montréalaise de la Série mondiale (voir le texte de ma collègue Fannie Arcand).

« Emy va en Équateur depuis sept ou huit ans avec son groupe. J’ai même été surprise à quel point elle parlait bien espagnol. »

Les deux sœurs partagent parfois des entraînements. « Quand elle a une séance d’intervalles, je peux prendre un vélo pour l’accompagner et je l’encourage. Elle fait la même chose pour moi. Comme je me concentre seulement sur la course à pied, je suis devenue un peu plus rapide qu’elle avec les années. Elle m’a déjà demandé de faire le lapin pour elle, mais ça n’a malheureusement jamais adonné. Ce serait un cadeau que j’aimerais lui faire. Si je peux l’aider à faire de meilleures performances, ce serait très cool. »