Penny Oleksiak. Maggie Mac Neil. Kylie Masse. Trois nageuses canadiennes, trois championnes du monde, trois phénomènes. À elles trois, elles ont remporté 14 médailles olympiques depuis 2016.

Pourtant, elles savent très bien qu’une autre coéquipière risque fort de leur voler la vedette dans moins de 500 jours aux Jeux de Paris.

Summer McIntosh n’a que 16 ans, mais sa liste d’exploits est déjà renversante depuis qu’elle s’est révélée avec une quatrième place aux Jeux de Tokyo, quand elle en avait 14.

Double championne mondiale individuelle à Budapest l’été dernier – la plus jeune depuis Tracy Caulkins en 1978 –, la Torontoise a encore fait parler d’elle au début du mois en infligeant une rare « défaite » à Katie Ledecky à Fort Lauderdale.

L’Américaine avait gagné toutes ses courses de 200 m et plus en style libre dans les compétitions en grand bassin disputées aux États-Unis depuis 2014.

PHOTO MICHAEL P. HALL, FOURNIE PAR NATATION CANADA

Katie Ledecky et Summer McIntosh

L’exploit a fait la manchette dans les sites sportifs, surtout parce que la jeune Canadienne avait fait tomber une légende comme Ledecky, la meilleure nageuse de crawl de l’histoire.

Summer McIntosh s’apprête à son tour à réécrire le record de la natation, mais pour le moment, elle est le secret le mieux gardé du sport canadien. Au téléphone, l’adolescente rit en entendant cette affirmation.

« Je ne sais pas. J’essaie de ne pas du tout me concentrer sur ce genre de choses », a-t-elle laissé tomber de la Floride, où elle s’entraîne à temps plein depuis le début de la saison.

« Mon principal objectif est simplement d’inspirer quiconque monte et progresse. Ça me tient vraiment à cœur. Si je vois de jeunes partisans sur le bord de la piscine, j’essaie de m’assurer de leur parler, de discuter avec eux parce que je sais ce que cela signifie pour eux. J’ai autrefois été à leur place… »

Large éventail

En 2016, elle accompagnait sa mère Jill Horstead, participante aux Jeux de Los Angeles en 1984 en natation, lors de la nomination de l’équipe olympique canadienne. Elle a pu rencontrer Oleksiak, avec qui elle a pris une photo.

Cinq ans plus tard, elle était la cadette de tous les membres de la délégation canadienne à Tokyo. Son quatrième rang au 400 m libre, remporté par l’Australienne Ariarne Titmus devant Ledecky, a ravivé le souvenir de la cinquième position de Michael Phelps au 200 m papillon des Jeux de Sydney, à l’âge de 15 ans.

Un an plus tard, l’Américain a battu le record mondial sur la distance. L’homme qui rêvait de « changer le monde de la natation » a ensuite réalisé l’inédit avec son pari fou de huit médailles d’or à Pékin en 2008.

« Je n’ai pas vraiment de tels objectifs, a répondu McIntosh. Évidemment, j’ai toujours rêvé d’obtenir un record du monde, probablement davantage quand j’étais plus jeune. Maintenant, c’est plutôt : qu’est-ce que je peux faire au quotidien qui me fasse nager le plus vite possible ? Si c’est un record du monde, c’est un record du monde, et si ce ne l’est pas, ce ne l’est pas. »

Je pense juste à établir la référence et explorer tout ce que je peux faire dans l’eau.

Summer McIntosh

Son éventail d’épreuves paraît infini, probablement plus que celui de Phelps : crawl, papillon, dos, quatre-nages, demi-fond, fond. Il ne faudrait pas s’étonner de la voir intégrer le relais 4 X 100 m libre.

A-t-elle une préférence ? « Pas vraiment. Toutes les épreuves sont vraiment importantes pour moi. Évidemment, il y en a dans lesquelles je suis meilleure que, disons, dans un 50 mètres brasse. J’aime bien garder mon calendrier de courses grand ouvert et voir comment je progresse. Comme je suis une fille de quatre-nages, je m’entraîne pour les quatre styles. Je pense avoir le potentiel de faire chacun individuellement aussi. »

Ascension

L’ascension de McIntosh est d’autant plus remarquable qu’elle a évolué sous la gouverne de quatre entraîneurs en peu de temps.

En 2020, la mort subite de son premier coach Kevin Thorburn, à Etobicoke, l’a conduite vers le centre de haute performance de Toronto dirigé par Ben Titley, le mentor d’Oleksiak. À la surprise générale, le contrat du Britannique n’a pas été renouvelé l’an dernier par Natation Canada. Le Montréalais d’origine Ryan Mallette a donc pris la relève.

D’abord quelques semaines en hiver 2021-2022, puis à temps plein depuis l’automne, McIntosh s’entraîne avec Brent Arckey et le club des Sharks de Sarasota.

« Plusieurs choses ont changé. Je reste toujours en contact avec Ben [qui travaille maintenant en Espagne, où Kylie Masse l’a rejoint]. Les choses arrivent et vous devez en quelque sorte continuer d’avancer et vous concentrer sur l’objectif qui est d’être la meilleure en natation. »

PHOTO MICHAEL P. HALL, FOURNIE PAR NATATION CANADA

Summer McIntosh et Kylie Masse

Dans l’ouest de la Floride, elle évolue dans un groupe d’une trentaine de nageurs, dont trois autres Canadiennes. Arckey les accompagnera aux Essais canadiens pour les Championnats du monde, où McIntosh participera à cinq épreuves à partir de mardi.

« Chacun dans l’équipe m’a bien accueillie et a été un bon coéquipier. Certains de mes amis les plus proches sont dans l’équipe. C’est super de faire partie de ça. »

Les seules choses dont elle s’ennuie sont sa famille, sa chambre et ses deux chats, Mikey et Riley.

Son père et sa mère, qui a nagé pour l’Université de la Floride, s’échangent les présences auprès de leur fille cadette. « Actuellement, ils sont tous les deux au Japon pour ma sœur », a précisé Summer McIntosh au sujet de son aînée Brooke, 18 ans.

Celle-ci participe à ses premiers Championnats du monde seniors de patinage artistique, où elle occupe le 10e rang en couple avec son partenaire Benjamin Mimar après le programme court. Vice-champion canadien, le duo a gagné le bronze aux Mondiaux juniors l’an dernier.

Inspiration

Brooke est une inspiration pour Summer, qui a elle aussi patiné : « On a grandi ensemble et souvent dans les mêmes sports. On a appris l’une de l’autre autant notre amour et notre passion pour les sports que notre compétitivité. J’apprends tellement d’elle sur une base quotidienne, encore aujourd’hui. »

L’athlète de 5 pi 9 po a réalisé le quatrième temps de l’histoire sur le 400 m quatre-nages individuel lors d’une compétition en Caroline du Nord en décembre. La médaillée d’or des Jeux du Commonwealth pointe à un peu plus de deux secondes de la référence établie par la Hongroise Katinka Hosszú aux Jeux olympiques de 2016. Elle détient actuellement six records mondiaux juniors.

« J’essaie de ne pas me concentrer sur les records, peu importe le type, simplement parce que cela peut être une sorte de référence, a-t-elle soutenu. Pour moi, la référence, c’est uniquement ce que je peux faire pour moi-même et c’est juste de continuer à m’améliorer. »

De même, elle assure ne pas tirer de motivation particulière à l’idée de rivaliser avec Ledecky, médaillée d’or à 19 reprises aux Championnats du monde.

« J’essaie de ne pas me concentrer nécessairement sur qui je veux battre, parce que c’est vraiment hors de mon contrôle. Je ne sais pas de quoi les autres sont capables. La seule chose que je sais, c’est ce que je suis en mesure de faire, et cela vient de l’entraînement quotidien. J’essaie donc de me concentrer seulement là-dessus avant les Championnats du monde. »

Aux Essais de la semaine prochaine à Toronto, la qualification est pratiquement assurée pour celle qui est déclarée première tête de série par une large marge dans chacune de ses cinq épreuves. Dans les circonstances, se pointera-t-elle à la piscine du Centre sportif panaméricain de Toronto totalement reposée ?

« Hum, je ne sais pas. Je suis les pratiques de mes entraîneurs et je ne sais même pas ce qu’être pleinement reposée veut dire, ou comment le définir… Je vais donc juste y aller et faire de mon mieux. » À ses rivales de méditer là-dessus.

« Elle a juste 16 ans, câline ! »

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Summer McIntosh

Finaliste aux derniers Championnats du monde, Mary-Sophie Harvey a réussi sa cinquième performance à vie pour remporter l’argent au 200 m QNI des Pro Swim Series de Fort Lauderdale, le 4 mars. Summer McIntosh a gagné l’or avec une avance de près de… quatre secondes.

« Summer est indéniablement dans une classe à part, a concédé Harvey, 23 ans. Compétition après compétition, elle démontre qu’elle est la meilleure. Ça fait du bien aux plus vieilles – et je m’inclus dans le lot. Ça nous oblige à nous bouger un peu ! […] C’est vraiment plaisant de courser avec elle, même si elle a deux ou trois secondes d’avance ! »

La natation n’étant généralement visible qu’une fois tous les quatre ans pendant les Jeux olympiques, Harvey est d’accord pour dire que sa compatriote reste un secret bien gardé. « Assurément, mais elle ne le sera plus à Paris [en 2024]. »

Le potentiel de McIntosh est illimité, estime Harvey. « Elle a quand même juste 16 ans, câline ! Je pense qu’elle va réaliser tout ce qu’elle veut. Sa force mentale est un truc que j’admire chez elle et que j’aimerais avoir. Plusieurs personnes à l’extérieur pourraient la déconcentrer, mais elle est vraiment bonne pour garder sa concentration, quelle que soit la situation. Elle a les deux pieds sur terre, elle sait où elle s’en va et ne s’emballe pas. C’est tout à son honneur. »

Simon Drouin, La Presse