À chaque Saint-Valentin, Annie Pelletier a une pensée pour son père, Guy. Cette année n’a pas fait exception.

« Il était toujours le premier à m’appeler pour la Saint-Valentin, confie-t-elle. Il ne manquait jamais ça. Il y avait trois dates : ma fête, l’anniversaire de ma médaille, le 31 juillet, et la Saint-Valentin. Il me rappelait comment il avait été fier de moi, comment il l’avait vécu dans les gradins. »

Pour la quatrième fois, le téléphone n’a pas sonné le matin du 14 février. Guy Pelletier est mort d’un cancer des poumons en octobre 2016.

« J’y ai pensé, c’est sûr, mais pas de la même façon. Je n’attendais pas son appel. Mon valentin, c’était mon petit garçon. La roue tourne. Depuis que je suis tombée enceinte, je ne m’attends plus à recevoir, je suis en mode dévouement, je donne. Mais il reste que je n’entendrai plus la voix de mon père. C’est une petite portion de soi qui ne reviendra jamais. »

Guy Pelletier enfilait son manteau de fourrure par-dessus son pyjama pour aller conduire la petite Annie à la piscine à l’aube. Avec sa mère, il a appuyé sa fille dans toutes ses grandes étapes sportives. Il était son père, son confident, son ami.

  • Annie Pelletier est revenue des Jeux olympiques d’Atlanta, en 1996, avec une médaille de bronze en plongeon.

    PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

    Annie Pelletier est revenue des Jeux olympiques d’Atlanta, en 1996, avec une médaille de bronze en plongeon.

  • En 2015, Annie Pelletier a rencontré son idole de jeunesse, Nadia Comăneci.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

    En 2015, Annie Pelletier a rencontré son idole de jeunesse, Nadia Comăneci.

  • Annie Pelletier, au centre, était de l’équipe d’analystes et journalistes présents aux Jeux de Rio, en 2016, tout comme Éric Lucas, Bruny Surin, Alexandre Despatie et Marie-José Turcotte.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

    Annie Pelletier, au centre, était de l’équipe d’analystes et journalistes présents aux Jeux de Rio, en 2016, tout comme Éric Lucas, Bruny Surin, Alexandre Despatie et Marie-José Turcotte.

  • La plongeuse Annie Pelletier et son entraîneur Donald Dion aux Jeux olympiques d’Atlanta, en 1996.  

    PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

    La plongeuse Annie Pelletier et son entraîneur Donald Dion aux Jeux olympiques d’Atlanta, en 1996.  

  • Annie Pelletier regarde la médaille de son amie, la plongeuse Émilie Heymans, après les Jeux olympiques de Pékin, en 2008.

    PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

    Annie Pelletier regarde la médaille de son amie, la plongeuse Émilie Heymans, après les Jeux olympiques de Pékin, en 2008.

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« Il m’avait acheté un tableau noir où il écrivait à la craie, juste à l’entrée de ma chambre. Tous les jours, il m’écrivait un message. Si mon entraînement avait bien été, il me félicitait. Si ça allait moins bien, il me signait un petit message pour me dire d’oublier ça et de songer à ce qui m’attendait, et il me rappelait qu’il m’aimait. Chaque matin, je me réveillais et j’avais hâte de lire son message. Et quand il oubliait de m’écrire, parce que c’était un gars de construction qui partait très tôt le matin, j’avais un petit vague à l’âme. »

Annie Pelletier a mené une vie en plusieurs actes : la gloire olympique, à Atlanta en 1996, où sa médaille de bronze en plongeon a fait d’elle une gloire nationale et internationale ; ses débuts ardus dans le monde de la télé, les railleries qui ont suivi, une période sombre de son existence ; son retour en force dans le domaine des communications à titre d’analyste olympique, où elle a gagné l’estime et la crédibilité de ses pairs et du public ; puis sa nouvelle vie, depuis quelques années, plus discrète, dans son rôle de mère et de directrice des communications et des partenariats à la Fondation de l’athlète d’excellence du Québec.

J’ai une grande fierté à mener ma petite vie, à être équilibrée, je sens que je suis une bonne personne, que je fais une différence dans mon travail. Je suis beaucoup plus fière de ce que je suis aujourd’hui à 46 ans.

Annie Pelletier

Elle a pris une deuxième retraite, celle de son métier d’analyste, en 2016 après les Jeux de Rio. Elle ne s’ennuie pas de la piscine ni du micro. « Je ne voulais pas y aller, mais on m’a convaincue. J’ai beaucoup aimé travailler avec René Pothier, mais ça m’a confirmé que j’étais prête à passer le flambeau. Arthur avait 8 mois. Je tirais mon lait, j’allaitais. J’avais une heure et demie de voyagement le matin et le soir pour me rendre à la piscine puis rentrer à l’hôtel. Je m’ennuyais de mon petit garçon. Et quand j’étais avec lui, je devais me préparer à la compétition du lendemain. Au moins, j’étais contente de le vivre avec le père d’Arthur, qui n’avait jamais beaucoup voyagé. »

Lors de la dernière compétition, elle a éclaté en sanglots. « On était sur le bord de la piscine et je les voyais démonter l’ensemble d’éclairage. La vie allait continuer, mais c’était mon chant du cygne comme analyste. Et c’est l’analyse qui m’avait redonné confiance en la télé. Les félicitations et les commentaires positifs m’ont beaucoup valorisée. Si je n’avais jamais fait ça, je ne serais jamais retournée publiquement derrière un lutrin pour animer à la Fondation de l’athlète d’excellence du Québec. »

Annie Pelletier avait aussi les émotions à fleur de peau à Rio parce que son père était en phase terminale. Il avait reçu son diagnostic en juillet, quelques semaines avant son départ. On lui donnait de trois à six mois. Les Jeux avaient lieu en août. La médaillée olympique a craint de rater son départ. Il a insisté pour qu’elle y aille. Les Jeux ont semblé lui donner un deuxième souffle. « Mon père m’a attendue, il m’a regardée à la télé, on lui a envoyé des vidéos. »

Quelques semaines après son retour, en octobre, Guy Pelletier a choisi l’aide médicale à mourir. « On était dans les premiers à la recevoir. La loi venait d’être adoptée. Il n’y avait pas beaucoup d’information encore. Je faisais de la recherche sur internet, mais je ne trouvais pas beaucoup de témoignages. C’est ce que j’ai trouvé le plus dur. J’étais très anxieuse. Il a signé son papier et il voulait mourir dès la première journée où il serait admissible. »

Ils ont eu 10 jours pour faire leurs adieux à compter de la signature officielle. « Pas de niaisage, c’était 10 jours ouvrables, le lundi à 13 h. Le décompte commence, tu as l’impression d’être dans un film d’horreur et d’amour à la fois. Il te reste 10 jours pour lui donner de l’amour. Je ne pouvais plus prendre de photos à la fin, il ne voulait pas, mais il y a des moments que j’aurais voulu enregistrer avec mon téléphone. Quand il était sur son lit de mort, qu’il me parlait et qu’il riait, qu’il me rappelait des anecdotes de quand j’étais petite, j’essayais de tout enregistrer, son rire, sa voix, ses mimiques. Je trouvais ça surréel. »

Le décompte a été difficile à vivre. 

Habituellement, on ne sait pas quand on va mourir. Mon père, je savais quand il lui restait quatre jours, quand c’était son dernier week-end, sa dernière nuit. Une chance que ça n’a pas duré 30 jours. Je ne dormais presque pas. Je me réveillais le matin et je me disais qu’il restait une nuit de moins…

Annie Pelletier

Le passage de la vie à la mort s’est déroulé sans heurts, mais pas comme prévu. « La petite différence, c’est qu’il devait mourir à la troisième injection. La première injection allait le plonger dans un sommeil profond, la seconde dans le coma, la troisième allait faire arrêter son cœur de battre. Il est décédé à la deuxième, finalement. Dès la deuxième injection, c’est comme si son corps avait combattu ; son rythme cardiaque s’est accéléré, il prenait de grandes respirations, puis, après une grande respiration, ça s’est arrêté. Je me demandais pourquoi il n’expirait pas.

« Il voulait mourir sur Amsterdam de Jacques Brel, poursuit-elle, mais il est décédé pendant la partie plus intense de la chanson, pas lorsqu’elle s’adoucit comme on le prévoyait. Dans ma tête, je croyais qu’il allait décéder sur un soupir, doucement. Mais somme toute, pour ne pas faire peur au lecteur, il est décédé avec le sourire [chez lui], avec sa tête, en embrassant sa femme sur la bouche, avec ses enfants. Ma mère le prenait par le cou, moi j’avais ma main gauche sur son cœur et la main droite sur son poignet. »

Notre athlète québécoise voyait s’éteindre un être humain pour la première fois. « C’est dur. Tu perds ton premier amour de petite fille. Le sport m’a mise au monde et il incarnait le sport. Ma mère aussi a fait le taxi, mais c’était lui, le gars de sport. Il regardait le golf, le basket, le hockey et le football à la télé. Ça démystifie la mort. C’est épeurant, mais tu comprends que ça fait partie de la vie, ce n’est pas dégueulasse, ça ne sent rien, le corps se refroidit quand même assez rapidement. L’heure qui suit, ton papa est couché sur le dos, il est tout calme. Ses traits sont détendus. Ça m’a apaisée. Il avait souffert de janvier à octobre. C’était assez. Il est parti dignement, avec courage. Comme un vrai champion. »

La maladie a frappé à nouveau récemment. Sa mère a appris qu’elle souffrait d’un cancer des poumons, elle aussi. « Un cancer avec emphysème, c’est encore pire. Elle s’accroche, même si elle n’a plus la même qualité de vie. Elle veut voir Arthur entrer à la maternelle en septembre 2021. C’est son objectif. Je retiens d’elle la rigueur et le souci de la perfection. »

Malgré les épreuves, elle profite de la vie au maximum avec Arthur, à l’abri des caméras.

Je sais désormais ce qui est bon pour moi et ce qui ne l’est pas. Je refuse les trucs qui me sortent de ma zone de bonheur, comme aller faire un show de télé où tu dois faire un show dans le show. Au lieu de faire ça, j’ai décidé de ne pas être invitée, j’ai assumé le fait de ne plus faire partie des A ou des B. Je suis peut-être dans les Z, et je suis bien à l’aise avec ça.

Annie Pelletier

Arthur a commencé les cours de natation l’automne dernier à la piscine olympique. « On a fait une pause cet hiver, mais on va recommencer l’été prochain. C’est vraiment une priorité, mais ce n’est pas pour le plongeon pantoute, ni pour la compétition de natation, mais pour apprendre à nager. »

Et si jamais il manifeste le désir de devenir éventuellement un olympien comme sa maman ? « Je vais l’appuyer dans tout ce qu’il voudra faire, de la musique, des sports, aller au musée, s’amuser au parc, je vais l’appuyer dans tout ce qui est sain. Comme mes parents l’ont fait sans trop savoir ce qui les attendait, parce que mes parents n’étaient pas sportifs du tout. Dès l’âge de 5 ou 6 ans, j’étais obsédée par les Jeux olympiques et Nadia Comăneci, ma première idole. J’avais des anneaux olympiques partout sur ma gomme à effacer, sur mes coffres à crayons.

« C’est un parcours qui est exigeant, mais extrêmement formateur. Est-ce une vie équilibrée ? Pas tout à fait, mais en gardant un pied dans les études et en faisant son sport à fond, ça limite les dégâts. Si mon garçon est aussi passionné, aussi entêté, aussi convaincu de ce rêve d’enfance, je ne pourrai pas l’empêcher. »