Les combats d'arts martiaux mixtes sont interdits en France. Pour toute une génération de jeunes Français élevés dans l'admiration de l'UFC, devenir un combattant professionnel est donc synonyme d'exil. Où partir? Pour plusieurs, la réponse est Montréal, patrie de Georges St-Pierre. Explications.

Un lundi de février à Montréal. Le Tristar, un gym du nord de la ville où s'entraîne Georges St-Pierre, grouille de monde. Des amateurs et des professionnels, en tenue de combat, sont venus s'exercer aux arts martiaux mixtes, le sport qui croît le plus rapidement sur la planète.

Dans ce brouhaha s'entraîne le Français Francis Carmont. Le colosse de 6'3'' et 185 livres est arrivé au Québec il y a un an et demi avec sa conjointe, ses deux jeunes enfants et un rêve : se battre sur le circuit de l'Ultimate Fighting Championship (UFC), le plus prestigieux.

Au moment de quitter l'Hexagone, il avait quelques combats professionnels à son actif. Il s'était battu dans des championnats mineurs en Pologne, en Autriche, en Angleterre, mais jamais en France. Le pays fait partie d'un nombre de plus en plus restreint d'États qui interdisent les combats d'arts martiaux mixtes, aussi connus sous le nom de combats ultimes.

«Je suis venu au Québec pour le sport, parce que ma carrière n'évoluait pas tellement en France, raconte Carmont. J'ai voulu me professionnaliser, ce qui voulait dire faire des sacrifices et bouger dans un pays où on peut réussir dans ce sport, avec les bons outils et les bonnes personnes. Le choix de Montréal s'est fait naturellement.»

Francis Carmont fait partie d'une cohorte sans cesse grandissante de jeunes combattants français qui ont quitté leur pays dans les dernières années pour poursuivre leur carrière à Montréal. Le Tristar en compte une dizaine à lui seul, mais d'autres gymnases de la métropole ont accueilli des Français dernièrement.

Les arts martiaux mixtes - mélange de boxe, de lutte olympique et d'arts martiaux - sont légaux au Québec depuis 1998 et le sont désormais dans presque tous les États américains et plusieurs pays d'Europe. La métropole québécoise est devenue l'une des capitales de ce sport émergent et le Tristar, lui, l'un des gyms d'arts martiaux mixtes les plus réputés de la planète.

«Les AMM sont très bien développés ici et on parle français, ce qui est un plus vu qu'en France la deuxième langue est très, très optionnelle, lance Nordine Taleb, 30 ans, premier Français arrivé au Tristar il y a cinq ans. Je pense que les Français se sentent à l'aise de venir ici.»

Taleb a grandi à Saint-Tropez, une ville «ambiance jet-ski» à des années-lumière des arts martiaux mixtes. «En arrivant à Montréal, j'ai découvert toute une autre dimension au niveau de l'entraînement et de la possibilité de devenir pro et d'en vivre», dit-il.

La France interdit les combats d'arts martiaux mixtes, mais autorise l'entraînement. Elle manque toutefois cruellement de gymnases dédiés au sport. «Il y a des gyms, mais ils ne sont pas spécialisés pour les AMM, raconte Francis Carmont. Si on veut faire de la lutte, on doit aller dans un autre endroit, si on faire de la boxe il faut aller dans un autre endroit, de la boxe thaïe dans un autre endroit... Ici, tout est regroupé. C'est le jour et la nuit.»



L'effet GSP

Les Français rencontrés au Tristar ce matin-là nous parlent d'un autre facteur d'attraction, un certain Georges St-Pierre, champion mi-moyen de l'UFC dont le nom rime avec Montréal.

«Le Tristar est bien connu en France et dans le monde, surtout grâce à un ambassadeur comme Georges St-Pierre, note Norman Paraisy. C'est sans hésitation l'un des meilleurs clubs du monde.»

Originaire de la région parisienne, Paraisy, 26 ans, est au Québec depuis un mois pour préparer un combat qui doit avoir lieu le 16 mars en Louisiane. Il a déjà 14 combats professionnels à son actif, livrés en Russie, au Japon ou au Brésil. Montréal l'a marqué par le niveau de ses combattants, qui sont «complets et très professionnels». Il remarque aussi que St-Pierre est «en dehors de l'entraînement une personne très vraie et très sympathique».

Coup de chance, ce jour-là, Georges St-Pierre est au gym. Cet hiver, le champion passe le plus clair de son temps en Californie, où il se remet d'une opération au ligament croisé antérieur du genou droit. Il est de passage à Montréal.

Le convalescent est aujourd'hui sur le cas de son ami Francis Carmont. Habillé d'un jeans et d'un t-shirt, interdit d'entraînement par son médecin, GSP est assis sagement et abreuve le Français de conseils.

St-Pierre n'est pas avare de son temps et passera une bonne heure à superviser Carmont. «Souvent, lorsqu'on fait des gestes, on ne voit pas bien ce qu'on fait de mal, raconte-t-il. Celui qui voit les choses de l'extérieur les voit différemment. C'est pour ça que je l'aide un peu, et il ferait la même chose pour moi.»

Le champion nous explique que les arts martiaux mixtes peuvent paraître un sport individuel, mais qu'ils sont plutôt un sport collectif. «Seul, on n'arrive à rien», fait-il valoir. Il faut un village pour élever un enfant, dit le dicton. Il en faut un pour faire un combattant. Pour GSP, les Français sont plus que bienvenus dans ce village.

«On veut les avoir, les Français, on ne veut pas qu'ils aillent aux États-Unis. Il y a de très bons combattants en France et on a besoin d'eux, dit St-Pierre. Parce qu'ici au Québec, on n'est pas assez nombreux et on a besoin des Français pour nous aider à devenir de meilleurs combattants. C'est un plus pour nous et pour eux.»

GSP estime que ce n'est qu'une question de temps avant que le sport ne soit légalisé en France. Il note d'ailleurs que l'un des propriétaires de l'UFC a récemment rencontré le ministre français des Sports (et triple médaillé olympique en judo), David Douillet. En attendant, il «passe le mot» en France pour vanter Montréal.

«Tout le monde sait que Georges, qui est champion de l'UFC, s'entraîne ici et c'est vrai que ça attire pas mal, note Francis Carmont. On se dit s'il a réussi à être champion à Montréal, ce doit être que les entraînements sont vraiment bien.»

La traversée de l'Atlantique a déjà permis à Carmont, 30 ans, de réaliser l'un de ses rêves: il a remporté son premier combat en UFC en octobre dernier. Il s'entraîne maintenant pour son second affrontement dans la prestigieuse organisation, le 14 avril en Suède.

«À Montréal, on se plaît bien et franchement, mon choix, je ne le regrette pas, tranche Carmont. S'il fallait le refaire, je le referais. Sans hésitation.»

Photo: Robert Skinner, La Presse

Georges St-Pierre a échangé quelques trucs avec Francis Carmont sur les combats d'arts martiaux mixtes.