« Comment aimerais-tu que l’on t’embrasse ? Quelle partie de ton corps a besoin de plus d’attention ? »

Quand je m’approche de la pancarte, deux hommes sont déjà en train de l’observer. Je m’arrête à mon tour pour lire les deux questions qui y sont inscrites. Je pendrais un bec sur le front et un massage d’épaules, que je me dis en entrant dans le magasin. (Je suis très fatiguée.)

Oui est une boutique sur la santé sexuelle qui a ouvert ses portes sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal, à la mi-septembre. Elle a évidemment piqué ma curiosité… Est-ce une boutique érotique ? Un CLSC ? Un entre-deux ?

Suzanne Dufresne, propriétaire de l’endroit, a accepté de répondre à mes questions — non sans crainte.

« Êtes-vous du genre à penser que je vais pervertir le quartier ?

— Euh, non. »

La jeune femme de 26 ans est apprentie doula et, depuis peu, entrepreneure.

Fascinée par la santé des femmes (j’imagine qu’il faut l’être pour devenir accompagnatrice à la naissance) et personnellement touchée par des enjeux de santé sexuelle, elle rêvait d’un lieu où tous et toutes pourraient trouver des ressources sur l’intimité.

Pour moi, une bonne santé sexuelle inclut le plaisir, mais aussi le fait d’avoir des informations sur tout ce qui touche au cycle hormonal, aux relations intimes, à l’influence que ça peut avoir sur la santé mentale, etc.

Suzanne Dufresne

« Je vois ça de manière holistique. Oui, ici, il y a des jeux axés sur la jouissance, des condoms, des lubrifiants et des vibrateurs. Mais je ne pourrais pas vendre ça sans également offrir des outils qui aident les gens à se connaître de façon plus complète. »

Parmi les produits pédagogiques que j’aperçois en boutique, des livres sur les théories de l’attachement, le plaisir physique, l’éducation sexuelle des adolescents, la sexualité chez les aînées et la masturbation féminine.

  • Produits offerts à la nouvelle boutique Oui

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Produits offerts à la nouvelle boutique Oui

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    Produits offerts à la nouvelle boutique Oui

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Je remarque aussi différents jeux de table qui favorisent la communication, tant entre partenaires qu’entre amis. Les cartes « Entre toi » proposent par exemple les questions suivantes : qui sont les membres de ta famille choisie ? De quel trait de caractère voudrais-tu avoir hérité de tes parents ? Comment prends-tu soin de toi ?

J’aperçois également des culottes menstruelles faites au Québec, des cahiers pour lettres d’amour, des accessoires burlesques et une belle variété de jouets sexuels pour toute identité de genre… Ne cherchez rien qui ressemble à un pénis, par contre.

En discutant avec des amies, Suzanne Dufresne en est venue à la conclusion que pour plusieurs personnes, un gros phallus mauve n’évoque rien de particulièrement excitant. Ses produits représentent une nouvelle vague de jouets plus contemporains et inclusifs.

Elle poursuit en m’expliquant que le deuxième étage de la boutique sera bientôt voué à des évènements. Elle compte y tenir des soirées d’humour féministe et queer dès octobre. Elle y accueillera également des ateliers et conférences offerts par des sexologues, des travailleurs sociaux et différents acteurs de l’intimité.

Suzanne Dufresne planche sur son projet depuis mai 2021. Il a été difficile à financer, m’avoue-t-elle. Selon la jeune femme, bien des organisations se montrent timides quand vient le temps de soutenir une boutique sensuelle qui donne dans la santé sexuelle.

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Suzanne Dufresne rêvait d’un lieu où tous et toutes pourraient trouver des ressources sur l’intimité.

Elle a appuyé son argumentaire à coups de statistiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et plaidé l’importance de pareils lieux, alors que les femmes perdent des droits liés à leur sexualité aux États-Unis comme ailleurs dans le monde. Elle a également fait une étude de marché pour définir ce dont les clients peuvent bien avoir besoin, aujourd’hui. Je veux dire : on peut trouver des jouets sexuels chez Sephora et Best Buy, c’est plus simple que jamais !

Pour répondre à cette question, Suzanne Dufresne a notamment mené des entrevues sur l’application de rencontre Hinge. Sur son profil, elle demandait aux gens de se prononcer sur : 1) la culture de la fréquentation amoureuse ; 2) le fossé orgasmique entre les hommes et les femmes dans les couples hétérosexuels.

(Petit rappel : une étude publiée en 2017 dans la revue scientifique Archives of Sexual Behavior avance que 65 % des femmes atteignent toujours l’orgasme lors d’une relation sexuelle, tandis que 95 % des hommes le font.)

Une cinquantaine de personnes ont engagé la discussion avec Suzanne, en majorité des hommes de plus de 30 ans. Ils se sont dits déçus ou insatisfaits des applications de rencontre qui dictent de plus en plus leur sort intime. Quelques hommes lui ont demandé ce qu’elle voulait dire par « fossé orgasmique » ; d’autres ont plaidé qu’ils sauraient mieux faire si les femmes parlaient davantage ; et certains ont fait l’éloge du plaisir réciproque. Plusieurs témoignaient d’une soif de découverte.

Suzanne a donc décidé d’inciter ses clients à la curiosité.

Je veux inviter les gens à se poser des questions. Il y en a sur la pancarte en avant de la boutique, il y en a dans les jeux qu’on vend. J’aimerais qu’ils puissent sortir des modèles qu’on leur a imposés, s’ils le veulent.

Suzanne Dufresne

Et quelle question a changé sa vie intime ?

Suzanne réfléchit.

« Avec les applications de rencontre, on dit souvent qu’il ne faut pas montrer son attachement trop vite, qu’on doit se faire désirer et voir plusieurs personnes à la fois, comme si c’était un jeu… Mais pourquoi ? La question que je me pose maintenant, c’est : est-ce que je ferais ça à mon amie ? Est-ce que je la laisserais sans réponse pendant trois jours ? Est-ce que je la ghosterais ? Non. Alors, j’ai décidé de traiter les gens que je fréquente avec le même respect que j’ai pour mes amis. »

La garde rapprochée de Suzanne est très présente dans son projet entrepreneurial, d’ailleurs. Elle l’a aidée à réfléchir à sa mission, à poser des tablettes, même à définir le nom de la boutique.

« Alors, pourquoi ça s’appelle Oui ?

– Parce que c’est à la fois un cri de plaisir et la manifestation du consentement. Ça reflète l’importance de s’écouter et de communiquer… Mes valeurs, au fond. »

Visitez le site de la boutique Oui