Il en avait les larmes aux yeux. Moi aussi. Pour ses 18 ans, j’ai offert à Fiston un voyage à Manchester, en Angleterre, afin de voir jouer « en présentiel » notre équipe de soccer préférée, celle qu’il n’a pas trop eu le choix d’aimer à la naissance.

De mauvaises langues prétendent que le prénom de Fiston s’inspire du club que vénère son père, Manchester United, depuis le couronnement du roi Éric Cantona au milieu des années 1990. Il ne faut pas croire toutes les légendes.

En vérité je vous le dis, si Fiston était devenu fan de Manchester City, le club du côté « bleu » de la ville, je l’aurais renié, et trois fois plutôt qu’une. À la maison, nous sommes rouges. Je l’étais avant sa naissance, lorsque je couvrais le foot européen pour La Presse, en 1999, l’année du fameux triplé Ligue-Coupe-Ligue des champions des Red Devils.

Nous nous sommes donc retrouvés en avril à Old Trafford, mythique stade de Manchester, dit le « Théâtre des rêves ». Il y a longtemps que nous avions prévu ce voyage, reporté trois fois pour cause de pandémie. Le match contre West Ham est devenu un match contre Wolves puis contre Norwich.

Nous sommes aussi allés voir un match du Salford City FC, club de quatrième division appartenant à d’ex-joueurs de United (dont David Beckham), dans un petit stade familial en banlieue de Manchester.

Le hasard a fait que deux jours plus tard, United affronte Liverpool au stade d’Anfield, à 50 km à peine de Manchester. Les deux plus grandes équipes de l’histoire du soccer anglais : 20 championnats à United, 19 à Liverpool. La plus grande des rivalités. L’équivalent d’un match Canadien-Nordiques à la puissance 10.

On ne pouvait pas rater ça. Je me suis offert, à l’avance, un cadeau de la fête des Pères. Nous avons dissimulé nos maillots de United sous nos vestes et nous avons partagé une bière.

À la septième minute du match, les 53 000 spectateurs ont entonné You’ll Never Walk Alone, la chanson culte des supporters de Liverpool, afin de rendre hommage, en son absence, à l’attaquant vedette de United, Cristiano Ronaldo, dont le fils était mort-né la veille. J’en ai eu des frissons.

Un Allemand m’a confié être venu expressément à Liverpool avec son fils et sa fille afin de voir Ronaldo. Je n’ai pas osé lui dire que nous avions eu le bonheur de le voir jouer à Manchester quatre jours plus tôt. Je suis conscient de mes privilèges…

Nous avions aussi fait ce pèlerinage dans le nord-ouest de l’Angleterre surtout pour voir en chair et en os l’un des plus grands joueurs de l’histoire. En septembre dernier, CR7 (comme on le surnomme) a fait son grand retour au club qui l’a révélé sur la scène internationale, après une douzaine d’années d’exil en Espagne et en Italie.

Je me souviens comme si c’était hier de Fiston sautant de joie devant la télé, lorsque Ronaldo a marqué en finale de la Ligue des champions, remportée par Manchester United en 2008. Il avait à peine 4 ans. Nous étions en vacances aux États-Unis.

L’année suivante, après avoir remporté le Ballon d’or du meilleur joueur au monde, Ronaldo partait au Real Madrid. Je ne croyais jamais avoir la chance de le revoir porter le maillot rouge de United. Puis il est revenu cimenter sa légende au club mancunien, à 36 ans.

Nous sommes donc arrivés tôt à Old Trafford, le temps de visiter le musée du club et que Fiston achète avec son argent de poche un maillot vintage de l’époque Cantona.

Il connaît son foot sur le bout des doigts. Il est au courant des dernières rumeurs de transferts de joueurs, de la jeune pépite qui pousse dans les rangs de tel club français. Je l’admets : j’ai créé un monstre.

Cristiano Ronaldo a marqué un but en début de match, à cause d’une bête erreur défensive. Puis il y a eu un corner dans la zone adverse, et Fiston a eu le réflexe de filmer, au cas où… Ronaldo, bien sûr, a marqué de la tête en sautant plus haut que tout le monde. Norwich a remonté au score, en deuxième mi-temps, si bien qu’à la 75e minute, c’était 2-2 lorsque Ronaldo a marqué d’un typique coup franc, imparable et puissant.

Nous avons crié. Nous avons sauté de joie. Le sourire fendu jusqu’aux oreilles et des larmes aux yeux, submergés d’émotion. United a gagné 3-2. Ronaldo est devenu le premier joueur de l’histoire à inscrire 50 triplés en club, un mois après être devenu le meilleur buteur de tous les temps en club. Nous n’aurions pas pu imaginer un plus beau scénario.

« On refait ça dans 10 ans papa, a dit Fiston. Et la prochaine fois, ce sera moi qui paye ! »