« Nous comprenons que la fête des Mères est une période sensible pour certains. Nous aimerions vous donner l’opportunité d’éviter de recevoir des courriels à ce sujet. »

Mon amoureux m’a tendu son téléphone. « As-tu déjà vu ça ? »

Non, je n’avais jamais vu une entreprise (Vinyl Me, Please, pour être précise) inviter ses clients à se désabonner des infolettres relatives à la fête des Mères. J’ai répondu que c’était une belle idée et que les personnes endeuillées méritaient bien cette paix d’esprit. Puis, je me suis demandé comment celles-ci arrivent à se réapproprier un anniversaire dont les publicitaires s’emparent chaque mois de mai...

La poète Marjolaine Beauchamp s’apprête à vivre une première fête des Mères sans la sienne. Elle s’avoue terrorisée.

« Tu retournes dans la vie de tous les jours, les gens se lèvent, se chicanent, prennent leur auto, les annonces parlent de la fête des Mères, la vie continue... Mais toi, t’as juste envie de crier : “Ma mère vient de mourir, arrêtez de respirer !” »

Avec le temps, la douleur devient moins vive. Or, il demeure impossible d’échapper à l’anniversaire, estime la comédienne Léane Labrèche-Dor, qui avait 16 ans quand sa mère est morte. « C’est exagéré, toute raison est bonne pour nous vendre quelque chose ! »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Julie Artacho

« Les années où je vais moins bien, ça me met en colère de recevoir des courriels promotionnels, m’explique pour sa part Julie Artacho... Non, je ne vais pas acheter de nouveaux vêtements pour bruncher avec ma mère. Laissez-moi tranquille avec ça ! »

La photographe a perdu sa mère il y a 23 ans. Selon elle, les entreprises auraient tout à gagner en imitant l’initiative de Vinyl Me, Please. « Je trouve ça respectueux et honnête ; on va revenir nous vendre des affaires, mais on va avoir un peu de décence pendant deux semaines ! »

Entrepreneurs, prenez des notes.

Maintenant, s’il est tout à fait sain de se désabonner d’infolettres relatives à une fête qui nous blesse, il n’est pas nécessairement recommandé de se couper de toute campagne promotionnelle, selon Nathalie Parent.

La psychologue, autrice et conférencière a beaucoup travaillé sur le deuil. Elle croit que plus on évite un sentiment, plus il finit par revenir en force.

Les publicités peuvent nous confronter à l’absence de notre mère et faire jaillir certaines émotions, c’est vrai. Mais quand le contexte s’y prête, pourquoi ne pas prendre un moment pour se rapprocher de ladite émotion ?

« Publicité ou non, le manque est là de toute façon, estime Nathalie Parent. La fête des Mères peut être une occasion de le vivre, ce manque. Pour se sortir d’un deuil, il faut y entrer, disait Guy Corneau. »

PHOTO FOURNIE PAR MARJOLAINE BEAUCHAMP

Marjolaine Beauchamp (à droite) avec sa sœur Isabelle et sa mère, Roxane

C’est d’ailleurs ce que Marjolaine Beauchamp compte faire : « Je sais que cette journée-là sera marquée par un rituel. Parce qu’un rituel, ça sert à donner un sens. »

L’artiste ignore la nature exacte de l’activité pour laquelle elle optera, mais elle l’aura définie avec la complicité de sa fille.

« Ma mère a maintenant besoin de nous pour exister, ajoute-t-elle. C’était une excentrique dure à suivre. Elle était grandiose et généreuse. Comment rends-tu hommage à une femme comme ça ? Heureusement, elle m’a légué cette capacité à prendre les choses, les casser et les remodeler à ma manière. C’est un beau cadeau. »

Remodeler la fête des Mères, c’est justement le droit que s’accorde Julie Artacho.

« C’est une journée où je me donne maintenant de l’espace pour vivre ce dont j’ai envie. Je me permets de ne pas travailler, par exemple. J’essaie de voir mes amis et de faire une activité avec quelqu’un qui me fait du bien. Je vis les émotions qui se présentent et j’ai appris à ne pas me sentir coupable si je ne suis pas triste ! On a parfois l’impression d’être une mauvaise endeuillée, mais ça se peut que ce soit un dimanche comme les autres... »

Pour Léane Labrèche-Dor, c’est même un dimanche assez heureux.

« Au fil des ans, ma famille et moi avons appris à célébrer doucement. On s’envoie des messages, par exemple. De mon côté, je dis un petit mot à ma mère, en me levant... Je ne lui parle pas souvent à voix haute, mais je le fais cette journée-là. Et j’ai une grand-mère à qui je peux encore souhaiter une bonne fête des Mères ! »

En fait, la comédienne a rapidement pris l’habitude de souhaiter une joyeuse fête des Mères à toutes les figures maternelles importantes pour elle. Sa grand-mère, ses copines devenues mamans et les deux meilleures amies de sa mère, qui ont toujours été là pour elle...

Cette année, Léane Labrèche-Dor vivra pour la première fois l’anniversaire en tant que maman.

« Man, c’est quelque chose, lance-t-elle en riant. Ça va me rendre tellement heureuse de me faire dire bravo d’être mère ! Pas d’être une bonne mère – on fait toutes de notre mieux –, mais c’est la patente dans laquelle je mets le plus d’efforts et je vais être contente qu’on le reconnaisse... »

Est-ce que la maternité influencera les pensées qu’elle aura pour sa propre mère, le 8 mai au matin ?

« Ça a déjà tout changé, répond-elle. Avoir un enfant, ça a transformé la perspective que j’ai par rapport à ma mère, mais aussi par rapport au lien qu’elle entretenait avec moi. Sans comprendre ce qu’elle a vécu, ça me donne une couche d’empathie de plus... »

Joyeuses fêtes des Mères, donc, à toutes celles qui font de leur mieux.

Et bonne journée (malgré tout) à celles et ceux qui tentent aujourd’hui de composer avec l’absence d’une des femmes de leur vie...