Avons-nous atteint un nouveau sommet d’intimité ?

Les couples qui ont passé les deux dernières années confinés sous un même toit se sont révélés sous tous leurs angles. Ces partenaires se sont montrés vulnérables, complexes, abîmés. Ils se sont vus en situation de crise. Et ils se sont vus sans arrêt.

Si la vie les amenait à se séparer, sauraient-ils rebâtir une telle intimité avec autrui ?

J’ai l’impression que si mon amoureux et moi en venions à nous laisser, je ne retrouverais jamais ce que nous avons développé ensemble. Qu’il restera le seul à m’avoir connue aussi pleinement…

En fait, deux ans après le fameux 13 mars 2020, je crois avoir vécu une situation inédite, sur le plan sentimental. Est-ce que je me trompe ?

Cécilia Commo me confirme que non.

« Il y a les guerres, peut-être, répond la psychanalyste et sexologue. Avec ces couples qui se démobilisent ou qui se cachent ensemble… Sauf qu’on ne parle pas des mêmes conditions de vie. La pandémie nous a causé beaucoup de peur, il n’en demeure pas moins que nous sommes restés dans notre environnement et notre confort. Même au temps de la préindustrialisation, où on vivait en famille, on se séparait au moins pendant la journée pour faire nos tâches respectives. Là, on ne se quittait pas du matin au soir… Donc oui, c’était une situation unique ! »

PHOTO FOURNIE PAR CÉCILIA COMMO

Cécilia Commo, psychanalyste et sexologue

Une situation qui, selon Cécilia Commo, a fait des perdants (on le devine bien) et des gagnants (ça, on en parle moins).

Parmi ces derniers, trois cas de figure.

1) Les couples fusionnels qui se sont adaptés à l’isolement sans trop de mal.

2) Les couples qui avaient le privilège de vivre dans un lieu suffisamment grand. « Être coincés dans 20 m2, je peux te dire que c’est une expérience de laboratoire… On attend de voir lequel des deux va craquer », illustre la psychanalyste.

3) Puis, les couples qui ont eu l’occasion de se découvrir.

Selon Cécilia Commo, certains amoureux séparés par leur emploi et leur quotidien effréné ont vu le premier confinement comme une parenthèse. « Comme s’ils étaient tous les deux perdus sur une île déserte ! »

Tels Tom Hanks et son Wilson, ils se sont rapprochés.

Sauf qu’on ne s’est pas nécessairement découverts sous nos angles les plus reluisants. Je ne sais pas pour vous, mais au début de la pandémie, j’ai fait la rencontre d’une toute nouvelle Rose-Aimée Automne… Et elle était pas mal plus angoissée-stressante-terne que la bonne vivante avec laquelle mon chum sortait depuis quelques années. Ce fut une surprise pour nous deux.

Bonjour, Madame ! Qui êtes-vous ?

« Au quotidien, on est tous un anxieux qui s’ignore, me rassure Cécilia Commo. Avec la pandémie, certaines personnes ont finalement découvert leurs réactions face à l’anxiété. »

Mon amoureux, lui, y a réagi en déployant calmement sa voix grave dès que j’en avais besoin, tout en portant des joggings ou autres survêtements de sport. Chaque jour.

« Ça a été dur pour les gens de rester dans la séduction aussi longtemps, souligne à juste titre la sexologue… On est entrés de plein fouet dans la réalité de l’autre. Avec ses bons côtés et ses aspects plus irritants. »

(Ce n’est pas que les joggings sont irritants, mais ils correspondent effectivement moins à la définition populaire de la séduction…)

Plus important encore, en atteignant un sommet inégalé de compagnonnage, les couples isolés sont devenus des paires. L’intimité individuelle a cédé sa place à la vie à deux.

Récemment, mon conjoint a passé quelques jours chez un ami. Pour une très rare fois, j’ai senti une anxiété de séparation amoureuse… J’étais bouleversée de le voir partir 72 heures. Je ne me reconnaissais pas. J’étais devenue une nouvelle femme.

Conséquence logique des confinements, estime Cécilia Commo.

Quand on ne pratique plus quelque chose, on craint de devoir l’affronter à nouveau. D’un coup, on ne sait plus comment réagir devant la distance ! Cette pandémie nous a rendus fusionnels. Il faut réapprendre à mettre une distance entre nous sans se faire peur.

Cécilia Commo, psychanalyste et sexologue

Le problème, selon la psychanalyste, c’est qu’on n’est pas programmés pour revenir en arrière. Quand on a 50 ans, on sait bien qu’on n’en aura plus jamais 30… Or, il est maintenant temps de se rappeler qu’avant, on pouvait s’éloigner ou vivre notre individualité, et que ça allait très bien ! On a existé avant la pandémie. Peut-être même que certains aspects de cette relation ancienne méritent de revenir.

Qu’importe l’avenir, je pourrai au moins me féliciter de m’être complètement dénudée devant autrui, une fois dans ma vie. D’avoir abandonné les fards et les cachettes, pour le meilleur et pour le pire. Puis, dans ce tourbillon, j’aurai eu la chance inouïe de découvrir un homme dans toute sa vulnérabilité.

Une aventure qui fait d’ailleurs écho au tout récent essai de Cécilia Commo, Le couple parfait n’existe pas : éloge de l’imperfection.

« Dans mon livre, j’explique que ce qui est le plus délicat dans une relation, c’est l’acceptation de la différence. Accepter que l’autre ne pense peut-être pas comme nous ou qu’il n’aime pas les mêmes choses… On veut souvent quelqu’un qui est un peu notre clone ! Avec la pandémie, l’autre a fini par craquer et devenir lui-même. On a été contraints d’accepter la différence. »

Et à tous ceux qui ont survécu à ce grand dévoilement, Cécilia Commo propose un nouveau rituel…

« Peut-être que chaque 13 mars, vous pourriez célébrer le jour où on vous a dit : “Toi et toi, eh ben, vous allez rester ensemble. Longtemps.” »

J’embarque.