Ma famille déteste l’hiver. Fiston ne met à peu près pas le nez dehors, de décembre à mars, sauf pour l’obligatoire trajet de la maison à l’arrêt d’autobus, les jours de semaine. Son frère est en déni vestimentaire hivernal, avec ses chaussures de basket portées en toute occasion, qu’il neige ou non, sans égard aux chutes brutales de température. La tuque semble pour eux un objet exotique. Des gants, n’y pensez même pas.

Leur mère hiverne, ni plus ni moins. Elle prétend que son corps n’est pas adapté au climat, ce que tendent à démontrer ses phalanges blanches, en déficit de circulation sanguine dès qu’elle quitte la chaleur du foyer. Son père et sa grand-mère sont nés en Afrique, ceci expliquant cela, selon elle.

J’aimerais prétendre que j’étais mieux préparé que mes fils pour affronter les rigueurs de l’hiver à leur âge, mais ce serait mentir. J’ai grelotté plus souvent qu’à mon tour, moi aussi, en attendant l’autobus à l’adolescence, en ne voulant rien sacrifier de mon look.

Un popsicle ambulant dans mes souliers blancs Stan Smith, mes jeans sans combines et mon manteau de hockey en feutre, aux manches de simili cuir. Des îlots de glace se formant dans mes cheveux longs encore humides après la douche. Je ne crois pas avoir porté une tuque durant tout mon secondaire et tout mon cégep. Des bottes ? Est-ce que j’ai l’air d’Agaguk ?

J’ai beau être né à Gaspé, je suis désespérément urbain.

Un citadin jusqu’au bout des doigts (qui ne souffrent pas de la maladie de Raynaud, dans mon cas). Je m’ennuie dans un chalet après deux jours. Je n’ai fait du ski alpin qu’une fois depuis la petite enfance, il y a presque 30 ans.

« Il n’y a pas de mauvaise météo, il n’y a que de mauvais vêtements », dit mon ancienne voisine de bureau Audrey Ruel-Manseau dans le reportage de ma collègue Ève Dumas. Vous ne me verrez jamais faire du surf comme Audrey ou de la plongée comme Ève, dans les eaux glacées du Saint-Laurent.

Les « bains polaires », très peu pour moi. J’entendais cette semaine un reportage à la radio de Radio-Canada sur des Torontois qui se baignent, en plein février, dans le lac Ontario, afin d’en retirer des bienfaits physiques et psychologiques. Je me suis inquiété pour leur santé mentale. Je préfère trouver d’autres manières de me ressourcer, de me revigorer et de me vivifier. Je ne tolère même pas une douche tiède.

La perception du froid, semble-t-il, varie beaucoup d’une personne à l’autre et serait liée à une variation génétique qui date de 80 000 ans, rapportait en mars dernier la BBC. Une protéine, l’alpha actinine 3, absente chez 1,5 milliard de personnes, les rendrait plus résistantes au froid (et plus performantes dans les sports d’endurance).

Je ne sais pas si je possède l’alpha actinine 3. Je ne suis ni très résistant au froid ni très performant dans les sports d’endurance. Il reste que dans ma famille, je suis l’exception qui confirme la règle. J’ai appris à aimer l’hiver. Ou plutôt à me réconcilier avec l’hiver.

Il n’y a rien qui me permet de renouer davantage avec les plaisirs hivernaux de l’enfance que de me retrouver sur une patinoire extérieure, les joues rosies par le froid, une rondelle sur ma palette, zigzaguant vers le but adverse en me prenant pour Wayne Gretzky ou Mike Bossy.

Par une magnifique journée d’hiver comme aujourd’hui, froide mais ensoleillée (selon les prévisions météo du week-end), j’anticipe avec bonheur la perspective de faire le plein d’air frais et d’endorphines. D’abord en faisant mienne la maxime d’Audrey – il n’y a pas de mauvaise météo, que de mauvais vêtements –, puis en trouvant une activité qui me fait apprécier la neige et le froid.

Depuis une quinzaine d’années, je cours l’hiver. Vous ne me verrez pas suer en m’échinant sur le tapis roulant d’une salle de sport. Et pas seulement parce qu’elles sont plus souvent fermées qu’ouvertes depuis deux ans. Je cours dehors, à longueur d’année, beau temps, mauvais temps.

Ce n’est pas un pis-aller. C’est un choix libre et éclairé. Je préfère courir sous une neige fondante en janvier que sous la pluie de novembre. Entre une course de juillet humide à 30 oC et une course de février à - 25 oC (quand il fait sec), j’ai vite choisi.

Parmi mes plus précieux souvenirs de course, il y a des sorties au parc du Mont-Royal, fin seul le matin de semaine, au lendemain d’une tempête. Le craquement régulier des pas, la neige lourde sur les branches, le paysage féerique.

J’ai souvent souffert de la canicule en courant (j’ai terminé mon premier marathon à 29 oC). Je n’ai jamais eu trop froid. Je me souviens d’une course par un temps polaire dans le parc linéaire du P’tit Train du Nord. Il devait faire - 30 avec le facteur éolien. Il avait fallu que le Bourreau de Nouveau-Bordeaux, alias mon beau-frère, me torde les deux bras pour que je l’accompagne. Mon cache-cou avait gelé en moins de deux, simplement au contact de mon souffle !

Le corps s’adapte lorsqu’il bouge l’hiver. Il s’autorégule. La chaleur qu’il dégage est aussitôt réinvestie. Je suis ma propre source d’énergie thermique, ma dynamo. À condition, évidemment, d’être bien habillé avec des vêtements adaptés (souliers à crampons isolés, pantalon de ski de fond, couches de base et coupe-vent).

« Qu’est-ce que t’as au menton ? », m’a demandé Fiston, le week-end dernier, alors que je rentrais d’une course. Des glaçons s’étaient logés dans ma barbe. Je n’ai jamais dit que le sport d’hiver était chic. Il sera toujours temps, plus tard en soirée, avant ou après le Super Bowl, de revoir les exploits des olympiens à Pékin. Ce matin, je sors courir. On se croisera peut-être à la montagne.