Les murs du local sont bardés d’affiches qui prônent l’ouverture, l’estime de soi et le partage. Au centre de la pièce, une quinzaine d’élèves de 12 à 16 ans sont rassemblés autour d’une grande table. Tous et toutes font partie de la communauté LGBTQ+. Et on ne les empêchera certainement pas d’exister…

« Je suis bisexuelle, sauf que mes parents ne l’acceptent pas. Je me fais intimider par ma propre famille ! Ici, au moins, je suis libre. »

« On me dit qu’à 12 ans, je suis trop jeune pour savoir quoi que ce soit sur ma sexualité, mais c’est faux ! Ça dépend de chaque personne et de l’ouverture de la société dans laquelle on évolue… »

« J’aimerais expliquer à ma mère comment je fais pour savoir que je suis non binaire, mais je n’y arrive pas. Je suis née fille, mais je ne me sens pas fille. Ni gars. Je me sens… non binaire ! »

Je ne passerai qu’une heure avec les élèves du comité LGBTQ+ de l’école secondaire des Pionniers, à Trois-Rivières. Le temps d’un dîner de cafétéria englouti entre deux cloches. Pourtant, je quitterai l’endroit avec une pléthore de témoignages qui ne feront qu’augmenter l’admiration que je voue à la jeunesse queer d’aujourd’hui…

Quand j’avais leur âge, personne n’était ouvertement gai dans ma cohorte. Encore moins pansexuel ou aromantique… C’était le début des années 2000, c’était aussi une petite ville. Difficile alors de trouver la sécurité et l’espace nécessaires pour s’affirmer. Les temps ont changé, heureusement. Reste qu’il y a encore peu de comités LGBTQ+ dans les écoles secondaires du Québec. J’étais donc curieuse de découvrir ce qui se tramait, en ce début d’année scolaire, à Trois-Rivières…

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Line Desgagné, animatrice, vie spirituelle et engagement communautaire, à l’école secondaire des Pionniers à Trois-Rivières

« Je n’aurais jamais cru fonder un comité LGBTQ ! », me confie Line Desgagné, tandis qu’on attend l’arrivée du groupe. L’animatrice de vie spirituelle et engagement communautaire me raconte qu’il y a quatre ans, un élève de 4secondaire lui a demandé un coup de main : « Il voulait créer un comité parce qu’il était homosexuel et que son coming-out était fait, mais qu’il connaissait des personnes en questionnement qui se sentaient isolées. Environ cinq élèves ont assisté aux premières rencontres… À la fin de l’année, il y en avait 15 ! Cette année, on a déjà une trentaine d’inscriptions et ça vient tout juste de commencer. Un record ! »

Line m’indique que la plupart des jeunes impliqués sont bisexuels, que quelques-uns sont gais, qu’il y a aussi des élèves non binaires, des personnes trans et d’autres en questionnement sur leur genre. Sans oublier les alliés hétérosexuels, là pour soutenir leurs amis.

Ce qui me frappe le plus chez les jeunes de la communauté LGBTQ, c’est à la fois leur ouverture et leur solitude. Plusieurs de ceux que tu vas rencontrer aujourd’hui ne parlent pas de leur situation avec leur famille. Ça ne passerait pas nécessairement…

Line Desgagné

C’est d’ailleurs pourquoi les élèves m’ont demandé de préserver leur anonymat dans la présente chronique. J’ai évidemment acquiescé en essayant de leur transmettre beaucoup d’amour avec mon regard.

Inspirer des changements

Le comité ne se réunit que depuis deux semaines, mais des plans sont déjà en branle : les élèves veulent faire des kiosques de sensibilisation et des tournées de classes pour montrer aux autres qu’« ils et elles sont normaux ». Ça et inspirer quelques changements, dans leur école…

« On n’accepte pas très bien la fluidité de genres et honnêtement, ça me dérange. Les profs devraient nous demander quel pronom nous rend à l’aise. »

« Ils pourraient aussi demander quel prénom on préfère ! »

« Personnellement, je n’ai dit à aucun prof que j’étais une personne non binaire et c’est vrai que je trouve ça dur d’entendre mon nom de naissance. J’ai un peu peur de leur en parler… Il faudrait peut-être qu’ils viennent au comité ? »

« Il faudrait aussi qu’ils interviennent plus vite quand des élèves en insultent d’autres parce qu’ils sont différents. Moi, ça m’arrive souvent. »

« Oh, et j’aimerais ça que les profs arrêtent de dire des affaires comme : “Toutes les filles qui veulent être pom-pom girl, levez la main !” ll y a peut-être des gars à qui ça tente… »

Line est ravie.

« J’entends quelque chose que je n’ai jamais entendu dans les années précédentes du comité : vous voulez qu’on fasse de la sensibilisation auprès des enseignants ! »

Le groupe acquiesce à l’unisson. D’un coup, des sourires s’affichent.

Appui

Lorsqu’elle a créé le comité, Line Desgagné a pu compter sur l’appui du GRIS Mauricie – Centre-du-Québec. L’organisme a pour mission de favoriser l’émergence de groupes LGBTQ+ et d’accompagner les établissements scolaires dans le déploiement d’actions concrètes.

Sarah Lemay, intervenante aux services d’écoute et de soutien au GRIS, m’explique, en entrevue téléphonique, que les pronoms font partie des enjeux souvent nommés par les jeunes : « Je comprends les directions d’être un peu mélangées. Contrairement à nous, elles ne sont pas plongées chaque jour dans les préoccupations des personnes de la diversité ! Mais le GRIS peut les aider à être plus neutres. Par exemple, plutôt que de faire des équipes de gars ou de filles, pourquoi ne pas diviser un groupe entre élèves nés de janvier à juin et de juillet à décembre ? »

Dans le même esprit de neutralité, la question des toilettes non genrées est également une priorité pour bien des élèves, m’explique Sarah. D’ailleurs, il en est question, lors du dîner auquel j’assiste…

« Ça fait longtemps que je sais que je suis un gars. Mais comme j’ai un sexe féminin, il faut quand même que j’aille aux toilettes des filles…

— Moi aussi ! Pourtant, c’est assez simple de passer à une toilette non genrée ! Tu changes juste le logo… Pas besoin de mettre un bonhomme de garçon ou de fille ; c’est une salle de bains, tout le monde peut l’utiliser. »

Faire rayonner leur fierté

Quand je l’ai appelée, Sarah Lemay arrivait tout juste d’une autre école secondaire où elle espérait voir naître un groupe de discussion. Sur la feuille qu’elle avait laissée pour recueillir des inscriptions, quelqu’un avait barré « Comité LGBT » pour écrire « Comité crisses de gais ».

« Il y a encore beaucoup de travail à faire, m’a-t-elle avoué en soupirant. Et il faut en parler aux gens qui s’impliquent, parce qu’ils pourraient recevoir des commentaires irrespectueux. Par contre, si des situations problématiques se présentent, on est là pour eux. »

C’est ce qui me vient en tête, alors que l’atelier tire à sa fin. En fait, je constate que ces jeunes ont trouvé des moyens pour s’épauler. Malgré les insultes, la discrimination, les regards de biais, ils et elles ont investi des espaces pour faire rayonner leur fierté.

Autour de la table, il y a 15 élèves qui utilisent des mots précis pour définir leurs émotions, comme leur identité. Ces termes, ils et elles les ont appris sur le web, dans des groupes de discussion ou auprès de leur famille – parce qu’il y en a plusieurs qui sont entièrement ouvertes à la diversité qu’incarne dignement leur enfant. Ces jeunes parlent.

Ça commence peut-être dans ce local, mais ça ne s’arrête certainement pas au-delà de ses murs.

D’ailleurs, quand je demande aux élèves s’il y a un sujet qu’on devrait aborder en vitesse, avant que la cloche ne sonne, un jeune garçon me répond : « Tu peux écrire que j’ai crié quand j’ai appris qu’il y avait un comité LGBTQ dans mon école ! »

Il ne précisera pas sous quel effet, trop pressé de se rendre à son prochain cours, mais si je devais gager, je dirais que c’était de joie.

Ou alors, de soulagement.