Les images léchées publiées sur Instagram ont des effets délétères sur la santé mentale et le rapport au corps de quantité d’utilisateurs du réseau social, en particulier des adolescentes. Des études internes le confirment. Les dirigeants de Facebook, qui détient Instagram, en ont été informés. Qu’ont-ils fait ? Rien du tout.

« Nous empirons le rapport à son corps d’une adolescente sur trois », met en garde une étude d’Instagram réalisée en 2019, à laquelle le Wall Street Journal a eu accès. « Les adolescents accusent Instagram d’augmenter leurs niveaux d’anxiété et de dépression », révèle la même étude, dont des extraits ont été publiés cette semaine.

La nature même d’Instagram est de projeter l’image d’une vie et d’un corps de rêve. La pression qui en découle provoque de graves problèmes d’estime de soi, d’anxiété, de troubles alimentaires (anorexie, boulimie), de détresse psychologique et de dépression, pouvant mener au suicide, chez nombre d’adolescentes, ont découvert des chercheurs indépendants mandatés par Facebook, selon ce que rapporte le Wall Street Journal.

Selon le WSJ, ces chercheurs ont déterminé que certains des problèmes de santé mentale observés chez les adolescentes étaient spécifiques à Instagram, et ne pouvaient être attribués de façon générale à l’ensemble des réseaux sociaux.

Ils en viennent à la conclusion qu’Instagram, essentiellement un média d’image, exacerbe la tendance des adolescentes à se comparer entre elles, en particulier en ce qui a trait à leur apparence, à leur succès, à leur popularité ou à leur richesse.

Parmi les adolescents sondés par les chercheurs qui déclarent avoir eu des pensées suicidaires, 13 % des utilisateurs britanniques et 6 % des utilisateurs américains d’Instagram ont révélé que le germe de ces idées noires était apparu sur le réseau social. La direction de Facebook est bien au fait de ces constats alarmants – des études semblables ont été réalisées en 2020 et 2021 –, mais ne cesse de les minimiser, affirme le WSJ.

C’est du reste ce qu’a fait le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, en mars dernier, lorsqu’il a témoigné devant un comité sénatorial américain. Non seulement il a déclaré que l’impact des médias sociaux sur la santé mentale des jeunes était « minime », mais il a affirmé que les études dont il avait pris connaissance démontraient au contraire leurs bienfaits.

Lorsque, le mois dernier, plusieurs sénateurs américains ont demandé qu’on leur transmette les résultats des études internes de Facebook à propos de l’impact d’Instagram sur la santé des jeunes, on leur a envoyé un document de six pages, sans y inclure les conclusions des chercheurs. Le Wall Street Journal précise pourtant que Mark Zuckerberg a été mis au parfum dès 2020 des résultats de ces études.

Près de la moitié des utilisateurs d’Instagram ont moins de 23 ans. Quelque 22 millions d’adolescents américains se branchent sur la plateforme quotidiennement. En comparaison, seulement cinq millions d’ados américains utilisent tous les jours Facebook, le réseau social de leurs parents et de leurs grands-parents. Et de moins en moins de jeunes fréquentent Facebook, révèlent les documents auxquels le Wall Street Journal a eu accès. Les adolescents se reconnaissent bien davantage dans TikTok, Snapchat et d’autres plateformes plus récentes.

Facebook a racheté Instagram en 2012, pour 1 milliard de dollars américains, avec l’objectif avoué de rajeunir sa clientèle. Et ça fonctionne, en particulier auprès d’un jeune public féminin, attiré notamment par les comptes de jeunes influenceuses qui, la plupart du temps, montrent sur les réseaux sociaux leur plus beau profil, sans aspérités. Et la roue de la comparaison malsaine de continuer de tourner, au détriment de la santé mentale de millions d’adolescentes.

Cette chronique n’y changera absolument rien, bien sûr. Facebook continuera d’engranger des milliards. Des centaines de millions de jeunes femmes – et de jeunes hommes – continueront d’envier des images corporelles trafiquées à coups de filtres et de chirurgie esthétique.

Le culte mondial du superficiel n’a que faire des états d’âme d’un chroniqueur montréalais de 48 ans.

Il reste que l’aveuglement volontaire, les omissions et l’inaction de Facebook et de ses dirigeants sont proprement scandaleux. Ils rappellent ceux des compagnies de tabac qui, pendant des décennies, ont dissimulé les études qui démontraient les effets nocifs de leurs produits et participé activement à rendre leurs consommateurs dépendants, jusqu’à la tombe.

En réaction au reportage accablant du Wall Street Journal, la plateforme TikTok a annoncé cette semaine que des outils de prévention du suicide et des troubles alimentaires apparaîtraient sur son application dans les prochains mois, grâce à la détection de mots-clés.

L’état-major d’Instagram a de son côté assuré que de nouvelles mesures seraient bientôt mises en place afin d’inciter ses utilisateurs à consulter différents contenus et « inspirer un changement dans la culture de l’apparence » d’Instagram. Bref, pour faire amende honorable auprès des adolescents dont elle met en péril la santé mentale, Instagram les encourage à demeurer sur sa plateforme. Bravo pour le mea culpa.

Pendant ce temps, Mark Zuckerberg, malgré les réserves des experts, des médias et des comités sénatoriaux, a réitéré il y a deux mois son intention d’aller de l’avant avec son projet d’application Instagram pour les moins de 13 ans. Parions qu’il connaîtra un succès monstre. À son image. Et tant pis pour les enfants.