Cet été, j’ai reçu ma mère et mon frère au chalet avec de grosses embrassades. L’heure était enfin venue de notre « petit party » familial.

Pendant une semaine, nous avons concocté de merveilleux plats, en nous trompant de verre de vin parfois, et en pigeant dans le même sac de chips le soir devant le feu de bois. Sans penser une seule seconde à la maudite COVID-19. Tout le contraire de l’an dernier, où ma mère m’accueillait chez elle avec du Purell et que nous jasions à distance sur son balcon.

Parce que nous sommes tous les trois vaccinés, avec nos deux doses. Mon frère a été le premier, puisqu’il travaille dans un hôpital, ma mère ensuite parce qu’elle faisait partie des personnes à risque, et puis moi, quand ma tranche d’âge est arrivée. Pfizer, Moderna et AstraZeneca à la même table. Les plus belles vacances depuis longtemps, dans une sorte de précieuse insouciance retrouvée.

Une fois de temps en temps, quand on ouvrait le cellulaire pour vérifier la météo, nous parvenaient les échos de manifestations contre les mesures sanitaires ou la vaccination. En France, en Australie, en Grèce… Quelque chose qu’on n’arrivait pas à comprendre, dans nos retrouvailles enchantées et légères précisément parce que nous étions protégés par les vaccins. Il faut dire que chez nous, ma mère a scrupuleusement tenu à jour notre carnet vaccinal dès notre enfance. Mon frère et moi les avons tous eus dans le bras, et j’en ai même rajouté quelques-uns de plus dans ma vie adulte avant mes voyages dans des pays où mon système immunitaire était forcément tout nu devant certains virus. Un peu comme ma mère n’a pas rechigné, quand elle travaillait comme préposée aux bénéficiaires, à recevoir le vaccin contre la H1N1 en 2009.

Alors un vaccin de plus ou de moins, surtout quand on en a plein le masque de cette pandémie, ce n’est pas ça qui allait nous énerver. Enweille, shoot, qu’on en finisse !

Tout de même, nous trouvions que manifester contre les vaccins était la façon la plus ennuyeuse de passer un été après une année de merde, alors qu’on commence enfin à respirer.

Rien de nouveau sous le soleil, quand on lit le livre Pandémie – Traquer les épidémies, du choléra aux coronavirus, de Sonia Shah, paru en 2016 aux États-Unis et traduit par Michel Durand en 2020 aux éditions Écosociété. Il n’y a pas une épidémie dans l’histoire qui n’a pas suscité de révoltes et de résistances, pour toutes sortes de raisons historiques, culturelles, politiques ou économiques.

« Au XIXsiècle, écrit l’auteure, c’étaient les médecins et les chefs religieux qui furent souvent la cible de la violence. Lorsque le choléra frappa l’Europe en 1832, des rumeurs commencèrent à circuler selon lesquelles on tuait les patients dans les hôpitaux pour débarrasser la société de ceux qu’on jugeait “excédentaires”. Les gens lapidèrent et attaquèrent des médecins, les accusant d’avoir tué des victimes du choléra dans le but exprès de disséquer leurs corps. Une trentaine d’émeutes éclatèrent en Grande-Bretagne… Pendant les flambées de choléra à New York, des foules attaquèrent des centres de quarantaine et des hôpitaux du choléra, et empêchèrent les responsables de la santé d’enlever les cadavres des victimes de leurs immeubles… » Cela rappelle quand des travailleurs de la santé ont été harcelés par des manifestants au début du confinement à New York.

Une pandémie provoque chaque fois une crise dans une société, mais dans une société déjà en crise, ça peut virer à la catastrophe. Une vérité demeure : quand les sociétés ignorent le réel fonctionnement d’une épidémie, c’est l’épidémie qui gagne à coup sûr.

Au fond, ce que nous raconte Sonia Shah dans son essai, qui remonte dans l’histoire des épidémies, est que notre absence de mémoire de ces traumatismes collectifs nous condamne à répéter les mêmes erreurs. « L’agent pathogène qui peut déborder, se propager et causer des maladies est une créature dangereuse, c’est certain, mais il n’est en fait qu’à mi-chemin de son périple en plusieurs étapes vers la catégorie des pandémies. L’issue de la deuxième moitié de son voyage est déterminée par la façon dont les sociétés réagissent. »

Je trouve fascinant, ces derniers temps, de voir des politiciens et des commentateurs opportunistes rétropédaler et dire que la vaccination est importante, après avoir convaincu plein de gens que la COVID-19 n’était qu’une simple grippe. Même Fox News a changé son discours. J’ai l’impression que ce n’est pas un éveil de conscience, mais une prudence pour sauver ses fesses, alors que le DAnthony Fauci, directeur de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, a affirmé que les États-Unis faisaient face à une épidémie des non-vaccinés. Car il y a une autre vérité dans les épidémies : les boucs émissaires, la recherche de coupables. Au début de la crise de ce coronavirus, les Asiatiques ont été la cible, nous le savons. Les pauvres, les immigrants et les minorités ont très souvent été les boucs émissaires des pandémies. Mais à mesure qu’on traverse cette épreuve et que les vaccins sont en train de faire leurs preuves, ça doit sentir la soupe chaude chez ceux qui ont surfé sur le scepticisme. On peut voir sur la carte des États-Unis que ça flambe dans les États qui penchent du côté des politiciens les plus irresponsables.

Même si tout cela semble décourageant, il faut se rappeler qu’une majorité de gens ont choisi les vaccins et respecté les consignes. Cette masse critique, qui commence à perdre patience, pas meilleure qu’une autre, va aussi chercher un bouc émissaire s’il y a de nouvelles vagues et des mesures restrictives. Les commentaires sont de plus en plus violents sur le sujet, de tous les côtés. Je ne pense pas que de se traiter de moutons ou de « covidiots » aide en quoi que ce soit dans une situation où la cohésion sociale est importante. La colère est mauvaise conseillère, et elle m’inquiète autant que le variant Delta.

Mais moi, au fond, tout ce que je retiens de l’été 2021, c’est une formidable semaine avec les miens.