Juliette et Raphaëlle voulaient jouer au soccer avec leur voisin Ulysse. C’est d’ailleurs ce qu’elles ont fait tout l’hiver, grâce au club de soccer de leur quartier. Sauf que lorsque le temps de les inscrire ensemble pour la session d’été est venu, le club a refusé de le faire. Un dirigeant a prétexté, devant Juliette et Ulysse, que les filles étaient « plus fragiles » et qu’elles devaient donc jouer entre elles dans des équipes non mixtes.

C’était en 2016. Juliette, Raphaëlle et Ulysse avaient à l’époque 4 et 5 ans. Leurs parents ont été abasourdis par le manque de flexibilité du club et par le motif de « fragilité » invoqué, qui perpétue à leur avis des stéréotypes et des préjugés envers les filles.

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui s’est saisie de l’affaire en faveur de la mère de Juliette et de Raphaëlle, estime que ses filles ont fait l’objet de discrimination. Ce n’est pas l’avis du Tribunal des droits de la personne, qui a rejeté la plainte le 21 mai.

J’ai lu la décision cette semaine. Certains arguments du Tribunal sont convaincants, à commencer par celui-ci : il y avait, à l’été 2016, des équipes de filles qui auraient pu accueillir Juliette et Raphaëlle. D’autres conclusions du juge, en revanche, me semblent beaucoup plus contestables. Il laisse notamment entendre, sur la seule foi de son expérience auprès des jeunes, qu’un entraîneur de soccer n’a pas tort de prétendre qu’une fille de 4 ou 5 ans est « plus fragile » qu’un garçon du même âge.

Je viens d’une famille de joueurs de soccer. Mes frères, ma sœur et moi (le moins doué du lot, sans fausse modestie) avons tous joué dans le junior élite et avons tous été médaillés aux championnats canadiens. Ma sœur cadette, qui a aussi joué au niveau universitaire, n’était pas « plus fragile » que son frère jumeau à 4 ou 5 ans, ni que de tout autre garçon de son âge, du reste. Élevée à la dure sur les terrains d’entraînement avec ses frères, elle aurait sans doute préféré, elle aussi, jouer en club avec les garçons. Elle en avait certainement les capacités.

J’ai aussi été entraîneur de soccer bénévole, chez les jeunes, alors que j’étais dans la jeune vingtaine. Lorsque nous avons sélectionné, mon frère jumeau et moi, une fille dans notre équipe compétitive de garçons de moins de 11 ans, c’était assez inusité. Quelques sourcils ont sans doute été soulevés (nous avons dû retrancher des garçons pour lui faire une place), mais jamais il n’a été question de « fragilité ».

« La non-mixité, lorsqu’elle n’est pas justifiée, construit et enfonce des stéréotypes à l’encontre des femmes et non à l’encontre des hommes. La non-mixité, elle, est préjudiciable aux femmes », plaide la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Le sport n’est pas neutre, rappelle la Commission. Aussi, une équipe masculine devrait par défaut être mixte, si cela se justifie.

Le Tribunal a jugé qu’une telle idée était « intrinsèquement sexiste ». J’en suis encore bouche bée. « Quand j’ai lu que les garçons seraient discriminés, ce fut un choc », m’a aussi avoué Karine Bellemare. La mère de Juliette et de Raphaëlle dit avoir voulu faire entendre une équipe de spécialistes multidisciplinaire, afin de faire valoir que les différences physiologiques et psychologiques entre les garçons et les filles, à 4 ou 5 ans, sont loin d’être énormes dans le sport. Cela n’a pas été possible.

« On a élevé nos filles pour qu’elles soient le moins possible complexées par les garçons », m’explique Karine Bellemare. Elle a encouragé ses filles à jouer avec les garçons. Juliette et Ulysse sont amis depuis qu’ils ont à peine 2 ans. Ils ont fait de la natation ensemble, puis du soccer intérieur. Karine Bellemare trouve paradoxal que l’hiver, alors que cela convenait au club, ses filles aient pu jouer avec leur ami, mais plus l’été suivant. « Je ne trouve pas que cet accommodement relevait d’une contrainte excessive, dit-elle. Ce n’était pas grand-chose ! »

Comme la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, je suis convaincu que les équipes féminines existent afin de favoriser la participation sportive des filles « en raison d’un historique de discrimination ». Prétendre que le même raisonnement devrait s’appliquer aux garçons, comme le fait le Tribunal, est au mieux ce que l’on décrit comme une fausse équivalence. C’est certainement faire abstraction des nombreux privilèges liés à la condition masculine, dès le plus jeune âge.

Accepter que des filles intègrent des équipes de garçons n’a absolument rien à voir avec une forme de « sexisme inversé ».

Est-il encore besoin d’expliquer, en 2021, pourquoi il n’existe pas un équivalent masculin au Conseil du statut de la femme ou à la Journée internationale des droits des femmes ?

Un indice : la journée internationale des droits des hommes a lieu 364 jours par année.

À 22 ans, si je suis franc, je ne réfléchissais pas à l’importance de la mixité dans la construction de l’identité, lorsque j’ai choisi une fille dans notre équipe de soccer. Mais mon frère et moi trouvions qu’à talent égal, sélectionner une fille dans une équipe masculine était un message intéressant à lancer à ses coéquipiers. Je suis convaincu que ces garçons de 10 et 11 ans – qui ont désormais 36 ou 37 ans – avaient moins de préjugés sur les filles dans le sport à la fin qu’au début de la saison.

La plus jeune des filles de mes amis Simon et Marie, Ève, a très hâte de jouer au basketball dans une équipe scolaire. Sauf qu’il n’y a pas d’équipe féminine à l’école secondaire où elle compte bientôt aller et les filles ne jouent pas avec les garçons, m’a-t-elle raconté, à juste titre indignée, le week-end dernier. Vous pouvez compter sur Ève-la-tornade pour que les choses changent. Les garçons n’auront qu’à bien se tenir.

Juliette et Raphaëlle, de leur côté, n’ont pas poursuivi le soccer après cette déception initiale. Et leur ami Ulysse a aussi abandonné le plus beau des sports quelques semaines plus tard. Ils font maintenant tous du skateboard. Ensemble.