(Montréal) Kitchi a certainement le plus bel emploi de tout l’Hôpital de Montréal pour enfants.

Une seule journée de travail par semaine. Le temps supplémentaire obligatoire ? Connais pas.

Sa seule responsabilité est de distribuer tout l’amour dont il est capable. Et en échange, on lui offre des câlins et des gâteries.

Un job de rêve, quoi.

Kitchi est le nouveau membre de l’équipe de zoothérapie de l’hôpital. En poste depuis janvier, le goldendoodle de deux ans rencontre en ce matin de fin d’hiver (ou de début de printemps, pour les plus optimistes) Maève, une adolescente de 13 ans qui était hospitalisée depuis une semaine pour une mystérieuse infection qui l’a subitement envoyée à l’unité des soins intensifs.

Dès que la porte du local s’ouvre et qu’elle aperçoit celui qui sera son compagnon pour la prochaine demi-heure, le visage de Maève s’illumine d’un sourire qui ne disparaîtra plus.

« Je ne pensais plus à rien, a dit la jeune fille après sa séance avec Kitchi. Je pensais juste au moment que je passais avec lui. »

Et c’est là qu’opère la « magie » (on y revient dans un instant) de la zoothérapie : changer les idées à des patients dont le quotidien est souvent constitué d’une enfilade de tests et de traitements, en plus de leur procurer le réconfort, le courage et l’espoir dont ils ont besoin pour traverser tout ça.

Maève a rencontré Kitchi quelques heures seulement avant son congé de l’hôpital. C’était, en quelque sort, sa « récompense » pour l’épreuve de la dernière semaine. La veille, elle avait aussi rencontré P. K. Subban, l’ancien défenseur du Canadien de Montréal qui compte parmi les principaux bienfaiteurs du Children.

Elle n’a pas voulu répondre quand on lui a demandé quelle rencontre, celle avec Kitchi ou celle avec notre P. K. national, lui avait fait le plus plaisir. Mais l’étincelle qui brillait dans ses yeux nous a fait penser que l’ancienne vedette de la LNH n’aurait peut-être pas mérité la première étoile ce matin-là.

Preuves scientifiques

Les chercheurs sont encore à étudier et à documenter les bienfaits possibles de la zoothérapie. Quelques études publiées sur le sujet au cours des dernières années évoquent des preuves « préliminaires » ou encore un « effet à court ou à moyen terme » dont la source exacte reste à préciser.

Soit. Mais quand on est aux premières loges pour assister à l’interaction entre l’humain et l’animal, on n’a pas besoin d’une étude randomisée à double insu pour sentir ce qui se passe.

« Il y a un lien millénaire entre l’humain et l’animal, a rappelé Sarah Archambault, qui travaille en relation d’aide et en zoothérapie depuis plus de 15 ans, et qui accompagne Kitchi lors de ses visites à l’hôpital. Il y a quelque chose de magique qui n’est pas de la magie. On n’est pas dans le futur, on n’est pas dans le passé, on est là, et il y a quelque chose d’apaisant à être dans le présent, et c’est l’animal qui nous garde présents. C’est ça qui est un peu magique dans ça. »

Kitchi est le deuxième chien que Zoothérapie Québec envoie à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Si Kitchi est un colosse de 36 kilos, sa collègue Maya est un minuscule bichon maltais qui a récemment célébré son 10e anniversaire.

Les deux chiens appartiennent à de bons samaritains qui en offrent les services à Zoothérapie Québec. L’organisme décide, au terme d’une évaluation rigoureuse, si l’animal a le tempérament et le caractère appropriés pour ce genre de travail.

« Dans notre jargon, on appelle ça “connaître son travail”, a expliqué le directeur général de Zoothérapie Québec, Stéphan Francœur. Au bureau, (le chien) peut avoir un comportement XYZ. Mais à l’hôpital, il faut qu’il soit un peu plus calme, qu’il soit en mesure de se déposer. »

La présence du chien ne profite pas qu’au patient, ajoute-t-il. Les témoignages de proches et même du personnel soignant ― qui racontent à quel point il est bon de voir sourire un enfant qui n’a pas souri depuis une semaine, qui confient que l’enfant parle depuis plusieurs jours de sa visite animalière à venir ― sont nombreux.

En bout de compte, poursuit M. Francœur, l’animal est un peu un outil qui facilite ce qui est « d’abord et avant tout » une intervention humaine de la part d’un intervenant qualifié auprès d’un bénéficiaire ― un bénéficiaire qui, dans le cas du Children, est un enfant, ce qui en soi ajoute une charge émotive particulière, dont la présence lors du prochain rendez-vous ne sera pas toujours garantie.

« Les premiers temps, non, je n’étais pas capable, a admis Mme Archambault quand on lui a demandé si elle était en mesure de ne pas ramener à la maison ce qu’elle voyait à l’hôpital. J’arrivais chez moi et je pleurais pendant deux heures. J’ai dû me préparer mentalement avant d’arriver. Je m’en venais dans un milieu où ça va être des enfants (qui) ont des maladies graves, donc il faut un peu se blinder, il faut apprendre à venir ici faire ce qu’on a à faire puis quand on ressort, et bien un petit peu laisser aller tout ça. »

Offre et demande

Kitchi et Maya ne suffisent habituellement pas à répondre à la demande. Seul un alignement un peu particulier des astres ― davantage de tout-petits entre les murs de l’hôpital, davantage de patients trop malades pour côtoyer un chien, moins de patients à long terme ― a permis à Maève de passer quelques minutes avec Kitchi.

Même après avoir sélectionné soigneusement les patients admissibles à la zoothérapie, notamment pour s’assurer que leur santé ne sera pas menacée par un contact avec le chien, il y a normalement encore trop de patients pour ce qu’on peut accommoder, a confié Nathalie Major, la conseillère en milieu pédiatrique responsable de ce tri difficile.

« Ça donne aux enfants une chance de donner de l’amour, d’avoir un contrôle sur quelque chose, de recevoir évidemment beaucoup, beaucoup d’amour, a-t-elle dit. Les enfants qui par exemple ne parlent presque pas, tout d’un coup, ils se mettent à parler beaucoup. J’ai souvent souvent observé ça. Des enfants qui n’ont presque pas bougé parce qu’ils ont peur de bouger à cause de leur condition médicale, de ce qu’ils vivent, tout d’un coup ils reprennent le contrôle sur ce qu’ils vivent, puis ils bougent, ils ont le goût de bouger. »

Peu importe le département, précise-t-elle, plusieurs enfants lui confient que ce temps passé avec le chien est « le plus beau moment » de leur semaine et que ce sera « l’expérience qu’ils vont ramener à la maison ».

Maève fait certainement partie du lot. Au terme de plusieurs journées difficiles, sa rencontre avec Kitchi lui aura permis de clore son séjour au Children sur une note positive.

Au moment de quitter les lieux, le petit groupe composé des représentants de l’hôpital, de Mme Archambault, de Kitchi et du représentant de La Presse Canadienne est passé devant la porte de la chambre de la jeune adolescente. Encouragé par Mme Archambault, Kitchi a appuyé ses deux pattes dans la vitre de la chambre pour saluer sa nouvelle amie une dernière fois.

Maève, qui était en pleine conversation avec son père, s’est retournée et son sourire, qui n’était pas parti bien loin, est revenu, plus brillant que jamais.

La présence de Kitchi auprès des patients de l’Hôpital de Montréal pour enfants est rendue possible par l’appui du Fonds de Sarah des Cèdres et de la Fondation de la joie de Ronnie.