Acte politique ? Rejet de la culpabilité liée à l’alimentation ? Promotion de troubles alimentaires ? Tendance TikTok de l’été, le girl dinner, qu’on pourrait traduire par « repas vraiment pas compliqué », déclenche les passions sur les réseaux sociaux. Décryptage.

Girl dinner ? Ça sonne comme le nom d’un groupe indie rock…

C’est plutôt l’une des tendances en ligne les plus populaires de l’été. L’expression a été inventée par une utilisatrice américaine de l’application TikTok, Olivia Maher. « Voici mon souper », lance-t-elle à la caméra en montrant un bout de pain, du fromage, quelques raisins et un verre de vin. « J’appelle ça un girl dinner », poursuit-elle. Publiée en mai, la vidéo est rapidement devenue virale, inspirant des milliers de jeunes femmes à filmer leur repas peu élaboré. Sur TikTok, le mot-clic #girldinner compte plus d’un milliard de vues ! Même les grands médias, dont le New York Times et le Guardian, se sont intéressés au phénomène.

Qu’est-ce qui caractérise le girl dinner ?

Essentiellement, tout et n’importe quoi. Le girl dinner est un repas qui implique un strict minimum de préparation et de cuisson. Encore mieux s’il se mange directement de la boîte ou du sac.

Souvent, le résultat est une combinaison d’aliments variés qui ne vont pas nécessairement ensemble. Un bol de maïs soufflé avec des gaufres surgelées ? Une conserve de thon avec des craquelins et du fromage en grains ? Vous avez un girl dinner !

« C’est un repas qui demande peu d’énergie et qui se compose de tout ce qu’une personne a envie de manger », résume Olivia Maher en entrevue avec La Presse. Sa vidéo est née d’une expérience tout à fait banale. « Mon copain était parti pour la soirée. Je mangeais directement sur le comptoir de la cuisine et je me disais que je ne devais pas être la seule à faire ça ! », raconte la créatrice de contenu de 28 ans.

D’accord, c’est manger des restants, quoi… 

Certes. La tendance n’invente pas le fait de manger ce qui traîne dans le réfrigérateur parce qu’on a la flemme de cuisiner. Mais justement. Pourquoi des jeunes femmes le revendiquent-elles soudainement ? « Les gens, et les femmes en particulier, se sont fait dire toute leur vie ce qu’il fallait manger et surtout ce qu’il ne fallait pas manger », observe Olivia Maher. En ligne, elles se font constamment rappeler qu’elles doivent manger équilibré, éviter les aliments transformés, cuisiner le plus possible, surveiller leur ligne… Le rythme est difficile à suivre. Et c’est ce que dénonce la tendance. Il est difficile de cuisiner tous les soirs selon les recommandations du Guide alimentaire canadien. « Il y a des femmes qui voient ça comme une façon de se réapproprier leurs envies. Ce qui est important, c’est le sentiment d’excitation de manger ce dont tu as envie, et pas nécessairement ce dont tu sens que tu as besoin », estime Béatrice Gaudet, professeure de littérature au cégep de Saint-Laurent.

C’est donc un acte politique ?

Si on le souhaite ! Pour certaines, la tendance est une critique de la répartition inégale des tâches domestiques entre les femmes et les hommes, en particulier la charge mentale liée aux repas. Au contraire, le girl dinner est un repas pour le plaisir d’une seule personne. D’ailleurs, la tendance est surtout embrassée par des jeunes femmes célibataires. « Elles ne cuisinent pas pour leur mari ou leurs enfants », fait remarquer Mme Gaudet, qui a fait sa maîtrise en études culturelles. « C’est un rejet des normes sociales liées à l’alimentation », croit pour sa part Bernard Lavallée, nutritionniste et auteur. Selon lui, la popularité du mot-clic est révélatrice.

On est dans un monde où la culpabilité liée à l’alimentation est immense. Il y a beaucoup de gens qui se sont reconnus là-dedans et ça déculpabilise beaucoup.

Bernard Lavallée, nutritionniste et auteur

Car il ne faut pas se sentir coupable de manger ce qui nous tente une fois de temps en temps. « Il n’y a aucun danger ! », s’exclame M. Lavallée.

Pourquoi est-elle critiquée ?

Comme avec n’importe quelle tendance en ligne, certains ont poussé la blague à l’extrême. Par exemple : manger uniquement des cornichons ou boire un Coke Diète pour souper. Conséquence, des nutritionnistes ont critiqué la tendance parce qu’elle encouragerait les troubles alimentaires. C’est vrai, certaines portions ressemblent parfois plus à une collation qu’à un repas. Mais Bernard Lavallée met en garde contre les conclusions hâtives. On ne sait pas ce que la personne a mangé quelques heures avant ou après qu’elle a filmé la vidéo. « Oui, je pense qu’il y a ce risque-là chez des gens qui sont vulnérables, mais je pense que c’est vrai avec n’importe quoi. Il y a toujours des extrêmes », estime-t-il. « Je peux voir où les gens veulent en venir. Mais ce n’est pas ça. C’est simplement de dire que tu n’es pas une ratée parce que tu n’as pas cuisiné ton repas », conclut Olivia Maher.