Peut-être qu’après avoir lu ce livre, vous ne regardez plus jamais une ambulance de la même façon. Peut-être vous souviendrez-vous des histoires que Martin Viau raconte dans Un dernier tour d’ambulance, et que vous resterez songeur en imaginant les appels auxquels les deux paramédics assis à l’avant du véhicule ont dû répondre depuis qu’ils portent l’uniforme.

Au fil des pages, Martin Viau se demande si l’oubli sera possible, un jour. Certains voudront peut-être sauter des passages qui contiennent des descriptions (très) détaillées — on en avertit d’ailleurs le lecteur.

Non, on ne s’habitue pas à voir des scènes d’horreur, dit, avec circonspection, le paramédic (le terme qu’il préfère employer, plutôt que paramédical ou technicien ambulancier paramédical). « Ce sont les détails qui vont rester, qui viennent te chercher. Tu ne sais pas ça va être lesquels, tu ne sais pas pourquoi ni quand ils vont venir te chercher ; peut-être que ça va être sur le coup, peut-être que ça va être des semaines plus tard », confie Martin Viau.

Le premier texte du livre, il l’avait écrit en 2015, après un accident brutal entre son ambulance et un autre véhicule qui lui a valu une grave commotion cérébrale. Mais Martin Viau s’est sérieusement mis à l’écriture l’an dernier, alors qu’il se posait des questions sur son avenir dans ce métier qu’il exerce depuis bientôt 14 ans.

PHOTO FOURNIE PAR MARTIN VIAU

L’ambulance accidentée de Martin Viau, en 2015

« Écrire m’a fait du bien. J’avais besoin de recul », estime-t-il aujourd’hui, alors qu’il exerce désormais à temps partiel après être retourné aux études.

Si son livre revient en effet sur ses expériences personnelles — mélange de situations marquantes, de scènes d’horreur, aussi, et même de rêves significatifs qui ont suivi des chocs traumatiques —, il se veut également un plaidoyer pour de meilleures conditions de travail pour lui et ses pairs, appuyé par bon nombre de faits et de statistiques.

Je voulais raconter notre quotidien, mais en même temps, je ne pouvais pas passer à côté des conditions dans lesquelles on pratique. Puis à un moment donné, quand on met les deux ensemble, ça devient aberrant. Comment on peut exiger autant d’une personne, puis donner aussi peu en retour ?

Martin Viau

L’usure, à son avis, est à la fois physique, psychologique, émotionnelle. Et pourtant, les paramédics n’ont pas la possibilité de prendre leur retraite au bout d’un certain nombre d’années de service comme les policiers, par exemple.

Un appui au quotidien

Sa conjointe — et la mère de ses enfants —, Martin Viau l’a rencontrée dans le cadre de son travail, puisqu’elle exerce le même métier que lui. « Ça a toujours été un plus pour nous. Depuis le début, on ne s’est pas mis de limites, on se racontait nos appels et on a toujours été là l’un pour l’autre. Ça a bien fonctionné et ça fonctionne encore, mais c’est délicat comme balance ; il faut faire attention de ne pas surcharger l’autre. Si ma conjointe est en congé et que moi, j’arrive et je lui raconte mes appels, je lui transfère un petit peu de la charge à elle aussi. »

Il arrive même qu’ils s’arrangent pour travailler ensemble — ce que d’autres couples, concède-t-il, préfèrent éviter.

PHOTO FOURNIE PAR MARTIN VIAU

Martin Viau et sa conjointe, lors d’un quart de travail partagé à Noël

Aujourd’hui, elle aussi travaille comme paramédic à temps partiel, en plus d’occuper un deuxième emploi. Une façon de diminuer la charge mentale et physique qui vient avec le métier, tout en ayant plus de temps pour récupérer.

Laisser tomber complètement, Martin Viau n’est pourtant pas prêt à le faire. « J’aime quand même ce que je fais. J’avoue que j’aime l’adrénaline, mais ce n’est pas toujours ça. Il y a des journées où je peux faire six, sept, huit appels, et ça ne sera pas vraiment des urgences. C’est les relations humaines, aider les gens, les encadrer, leur donner des soins… Des fois, c’est juste leur donner une présence. »

« Puis il y a quelque chose que je ne néglige pas, ajoute-t-il, c’est la relation qu’on a avec nos collègues. On passe tellement de temps avec eux, on vit des moments intenses. »

Des histoires à raconter, Martin Viau en a encore amplement. Chose certaine, ce premier livre ne sera sûrement pas son dernier, dit-il avec détermination.

Un dernier tour d’ambulance — Récits d’un paramédic

Un dernier tour d’ambulance — Récits d’un paramédic

Les Éditions du Journal

312 pages